La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2022 | Semaine 21

Le diable est dans les détails !
Les deux analyses que vous lisez cette semaine dans la Gazette du Carbone confirment l’adage. Nous vous proposons d’abord de faire le point sur l’avancement de la montée en puissance du fret ferroviaire, élément d’engagement de l’État dans sa Stratégie Nationale Bas Carbone. Enfin, vous trouverez un court décryptage sur la « Taxonomie verte » ayant labellisé le gaz fossile comme énergie de transition, et une réponse à la question : est-ce que ces nouvelles mesures écologiques de l’UE freineront notre dépendance aux énergies fossiles ? Bonne lecture !

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Questions émissions

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Quel avenir pour le secteur du transport de marchandises par le rail ?

Portée par M. Édouard Courtial (Oise - Les Républicains)

Le sénateur de l’Oise, Édouard Courtial s’interroge sur les moyens réellement donnés par l’État pour relancer le fret ferroviaire, stratégie incontournable pour la décarbonation du transport de marchandises dont les objectifs européens de baisse des émissions de gaz à effet de serre (GES) sont de 60% au moins en 10 ans1.

L’État a en effet des ambitions fortes et souhaite, conformément avec la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC), passer la part modale du fret ferroviaire de 9% en 2019 à 18% en 2030 pour atteindre 25% en 2050. Il entend également renforcer les liens et les échanges à l’échelle européenne et avec les autres modes de fret décarbonés, le fret fluvial et portuaire. Le ministère chargé des Transports a pour cela élaboré, en concertation avec l’ensemble des acteurs ferroviaires dont l’alliance 4F2, la Stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire, publiée en septembre 2021 et reçu avec enthousiasme par la filière.

La stratégie proposée repose sur trois axes (déclinés en 72 mesures).

Axe 1 : « Faire du fret ferroviaire un mode de transport attractif, fiable et compétitif »

L’objectif est d’assurer la viabilité des services et la pérennité du modèle économique des opérateurs de fret ferroviaire. Le principal levier est l’amélioration de la qualité du service apporté par le gestionnaire d’infrastructures (GI) aux entreprises ferroviaires (EF) : sillons de meilleure qualité, réduction de l’impact des travaux, simplification des démarches, facilitation des échanges d’informations entre GI et EF, notamment grâce à la digitalisation, et simplification de la réglementation.

Axe 2 : « Agir sur tous les potentiels de croissance du fret ferroviaire »

Ce deuxième axe consiste à améliorer et développer les synergies avec le fret fluvial et portuaire, et les liens avec le réseau de fret ferroviaire européen.

Axe 3 : « Accompagner la modernisation et le développement du réseau »

Ce troisième axe détaille les mesures visant à accélérer la régénération du réseau structurant, à moderniser les infrastructures spécifiques au fret ferroviaire (capillaires et voies de services) et à développer la capacité de chargement pour augmenter l’offre sans pénaliser les trains de voyageurs.

Cette stratégie est-elle à la hauteur des ambitions affichées par l’État ?

Les objectifs et mesures présentées par cette stratégie sont cohérents avec les préconisations du PTEF. Toutefois, bien que le consensus existe sur le diagnostic et les mesures à prendre, et bien que le décret d’application de ce plan ait été publié le 18 mars 2022 au journal officiel, des déconvenues sur les moyens financiers à mobiliser commencent à poindre.

En effet, l’État s’est engagé à investir 1 Md€ pour mettre en place cette stratégie dans le cadre du plan de relance (financé à 50% par l’État) et 170 M€ par an jusqu’en 2024. Or, dans un rapport de l’institut Montaigne publié en avril 2022, Jacques Gounon et Patrick Jeantet (ex-PDG de SNCF Réseau) évaluent à 10,5 Md€ le montant nécessaire pour adapter le réseau ferroviaire au fret. L’État a par ailleurs rejeté la demande de 55 M€ pour compenser les surcoûts liés à la crise énergétique.

Le fret ferroviaire ne saurait se développer sans planification stratégique à court, moyen et long terme, et sans visibilité quant au financement des investissements nécessaires. Cette planification doit être une priorité du prochain gouvernement.

1 Infrastructures de transport, Institut Montaigne : vers le futur et le durable : www.institutmontaigne.org/ressources/pdfs/publications/infrastructures-de-transport-vers-le-futur-et-le-durable-rapport_1.pdf

2 Stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire, Ministère chargé des transports : www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/210909_Strategie_developpement_fret_ferroviaire.pdf

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Taxonomie et la labellisation verte du gaz comme énergie de transition

Portée par M. André Chassaigne (Gauche démocrate et républicaine - Puy-de-Dôme)

M. André Chassaigne interroge M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, chargé des Affaires européennes, sur la taxonomie et la « labellisation verte » du gaz comme « énergie de transition ». Il s’inquiète notamment du fait que l’Union européenne intègre le gaz à la taxonomie européenne et, par ce biais, encourage les investissements dans ce secteur fortement émetteur de gaz à effet de serre. Il dénonce également le risque d’accroître notre dépendance à la Russie. Il souhaite donc savoir quelle est la position défendue par la France et connaître son appréciation sur les effets géopolitiques et climatiques de cette décision.

Il est vrai que le sujet du gaz fossile est incontournable quand on parle de changement climatique. En 2019, d’après le ministère de la transition écologique (MTE), la combustion du gaz naturel représentait 19% des émissions de CO2 mondiales.

Qu’est-ce que la taxonomie verte européenne ?

La taxonomie verte européenne est un règlement européen du 18 juin 20201 visant à établir une classification des activités considérées comme durable sur le plan environnemental afin de favoriser les investissements dans celles-ci.

Que prévoit la taxonomie pour le gaz fossile ?

L’acte délégué de la Commission européenne du 4 juin 20212, qui précisait les critères techniques à satisfaire pour qu’une activité soit considérée « comme contribuant substantiellement à l’atténuation du changement climatique ou à l’adaptation à celui-ci et comme ne causant de préjudice important à aucun des autres objectifs environnementaux » ne couvrait pas les activités nucléaires et gazières, la Commission considérant qu’un examen approfondi était nécessaire.

En janvier 2022, cette dernière a fait une proposition d’acte délégué complémentaire3 visant à inclure les activités nucléaires et gazières. Trois activités recourant au gaz fossile pourraient être considérées comme activités transitoires éligibles à la taxonomie : la production d’électricité, la co-génération de chaleur/froid et d’électricité et la production de chaleur/froid.

Ce projet d’acte délégué propose que toute nouvelle centrale électrique fonctionnant au gaz doive respecter un taux d’émission de GES inférieur à 100g CO2eq/kWh tout au long de son cycle de vie. Ce seuil ne permettra qu’aux projets recourant à la technologie Carbone Capture and Storage ou s’appuyant en grande partie sur du gaz renouvelable d’être éligibles à la Taxonomie.

La Commission européenne propose néanmoins de pouvoir déroger à ce principe, pour les nouvelles centrales électriques fonctionnant au gaz fossile dont les permis de construire auront été accordés avant le 31 décembre 2030.

Une dérogation certes, mais qui vient avec son lot de critères techniques à respecter

Par exemple, il est exigé (jusqu’au 31 décembre 2030) que les émissions directes de GES du projet soient inférieures à 270 g CO2eq/kWh, ou ne dépassent pas une moyenne annuelle de 550 kg CO2eq/kW/an de la capacité de l’installation sur 20 ans. Ceci signifie que pour respecter ce critère, il sera nécessaire :
  • soit de recourir à la technologie Carbone Capture and Storage (CCS)
  • soit de mélanger le gaz fossile avec du gaz renouvelable
  • soit de faire fonctionner la centrale au gaz à pleine puissance seulement 17% de l’année (en prenant une hypothèse d’émission pour la production d’électricité à partir de gaz fossile de 370 gCO2eq/kWh4).
En outre, le respect de ce seul critère d’émission de CO2 n’est pas suffisant pour être considéré comme une activité durable. La Commission a ajouté six autres conditions, cumulatives, à respecter. Parmi celles-ci, on retiendra :
  • « L’électricité à remplacer ne peut pas être produite à partir d’énergie renouvelable ». En effet, une centrale électrique fonctionnant au gaz pourrait s’avérer être une source de flexibilité nécessaire dans un mix électrique où les énergies renouvelables intermittentes constituent une part significative de celui-ci. Cependant, RTE dans son rapport « les Futurs énergétiques 2050 » ne met pas en évidence un besoin accru de flexibilité à l’horizon 2030 pour la France5.
  • « L’activité remplace une activité existante de production d’électricité à fortes émissions ».
  • « L’installation est conçue et construite de manière à utiliser 100% de combustibles gazeux renouvelables et/ou bas carbone au plus tard le 31 décembre 2035 ». En raison de la faible production actuelle de gaz renouvelable en France, ce critère pourrait être difficilement atteignable.

Que retenons nous ?

A la vue de ces éléments, il nous parait peu probable que la dérogation au principe d’émettre moins de 100 gCO2/kWh accordée aux activités recourant au gaz fossile conduise à « accroître la dépendance de la France à une énergie carbonée » dans les années à venir.

Les critères à respecter à l’horizon 2031 et au-delà nous paraissent suffisamment strictes pour limiter les risques de dérive. A noter néanmoins deux points d’attention :
  • La quantité de biogaz disponible pour réduire l’impact carbone des centrales électriques au gaz ne doit pas être surestimée. The Shift Project estime qu’avec une montée en puissance très importante de l’industrie de la méthanisation, la quantité de biométhane ainsi produite pourrait être de 7 Mtep environ en 2050, soit à peine un plus d’1/6 de la quantité de gaz consommée actuellement en France.
  • Si la technologie Carbone Capture, Utilization and Storage (CCUS) permet bien de décarboner l’énergie, elle ne résout en aucun cas notre dépendance aux importations de gaz fossile. Insistons également sur le fait que, bien que les progrès technologiques en la matière soient encourageants, le déploiement du CCUS ne permet pas de fournir la capacité de captation du CO2 nécessaire aux engagements des Accord de Paris6.

1 eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32020R0852&from=F

2 eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32021R2139&from=EN

3 eur-lex.europa.eu/resource.html?uri=cellar:8cee7f13-a162-11ec-83e1-01aa75ed71a1.0008.02/DOC_2&format=PDF

4 Datalab. Chiffres clés du climat. p82. Ministère de la transition écologique : www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-du-climat-2022/pdf/chiffres-cles-du-climat-2022-integral.pdf

5 RTE. Futurs énergétiques 2050. Chapitre 7 – Garantir la sécurité d’approvisionnement : assets.rte-france.com/prod/public/2022-02/BP50_Principaux%20re%CC%81sultats_fev2022_Chap7_securite%20approvisionnement_0.pdf

6 www.iea.org/reports/ccus-in-industry-and-transformation

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