La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2022 | Semaine 04

Nous poursuivons la série de réponses à la concertation du Ministère de la transition écologique sur la Stratégie française sur l’énergie et le climat avec une analyse du volet n°10 : « Quelle agriculture dans un futur bas-carbone ? »
Et pour parler Europe, nous présentons une proposition de résolution européenne de deux sénatrices françaises qui demandent un meilleur encadrement des géants du web sur le continent.

Sommaire

Notre sélection de la semaine

Notre sélection de la semaine

Stratégie française sur l’énergie et le climat : l’agriculture dans un monde bas-carbone

Réponse des Shifters à une Consultation Publique du Ministère de la Transition écologique

Dans un monde bas carbone, le secteur agricole doit évoluer en priorité à deux niveaux : les techniques et le type de production agricole doivent changer (58% des émissions), tout comme les circuits de distribution (13,5%) qui pourraient notamment reposer sur un réseau ferroviaire dense.
Il est crucial de rappeler que la question du carbone ne doit pas évincer celles relatives aux enjeux de biodiversité, de besoins en eau, de dégradation des sols et de justice alimentaire.
Dans l’idéal, pour résoudre l’ensemble de ces problématiques, notre organisation territoriale devrait se restructurer autour de pratiques agroécologiques performantes et bénéfiques pour l’ensemble du territoire en termes d’emploi, d’accessibilité à l’alimentation durable et de préservation paysagère.
Une agriculture locale à taille humaine, respectueuse de l’environnement et adaptée aux conditions pédo-climatiques ainsi qu’aux spécificités culturelles régionales doit être préférée à une agriculture consommatrice d’intrants fortement mécanisée.

Sans projet de territoire cohérent qui rendrait désirable la profession d’agriculteurs, le monde agricole ne trouvera pas les actifs qui lui manquent tant : rappelons que la France va perdre un quart de ses agriculteurs dans les dix prochaines années si la tendance actuelle se poursuit.

Le PTEF dessine déjà les contours de l’agriculture dans un monde bas-carbone autour de 11 objectifs :

  • Faire évoluer les régimes alimentaires
  • Réduire le gaspillage et les emballages alimentaires
  • Mettre fin à la déforestation importée
  • Développer l’agriculture et les filières de proximité
  • Recycler les nutriments
  • Réduire les productions animales
  • Généraliser les pratiques agroécologiques
  • Renforcer la résilience face aux perturbations climatiques
  • Développer la contribution énergétique du secteur agricole
  • Revaloriser, renouveler et accompagner les professionnels de la terre et de la mer
  • Dessiner le cadre de notre souveraineté alimentaire

I. Une agriculture décarbonée : identifier les émissions de GES

  • a) Baisse de la taille des cheptels de deux tiers
    90% des émissions de GES sont liées à l’élevage, principalement l’élevage de ruminants. Réduire le cheptel et rétablir l’autonomie fourragère permettrait également d’importer moins d’aliments pour animaux (-90%). Ainsi, nous pourrions réduire de 60% les émissions de GES du secteur agricole.
  • b) Diminution de la fertilisation azotée et suppression de l’utilisation d’énergies fossiles
    Nous dépendons des gisements de phosphates non renouvelables pour la fertilisation des cultures. On peut limiter cette consommation en retrouvant une circularité dans l’utilisation des nutriments et en développant la culture des légumineuses, cultures fixatrices d’azote.
    De plus, les pratiques agroécologiques permettent d’apporter plus de matière organique dans les sols agricoles et limitent le lessivage des nutriments.
    Les excrétats humains sont à valoriser et recycler à grande échelle. Enfin, la biomasse agricole produite pourrait être convertie en énergie pour couvrir quasiment tous les besoins du secteur hors électricité. L’on prévoit même un surplus d’énergie de l’ordre de 2,5 Mtep.
  • c) Les limites du stockage du carbone par les sols agricoles
    L’agro-foresterie et les cultures intermédiaires pourraient permettre de stocker davantage de carbone dans les sols : seulement, la majorité de la séquestration associée aux changements de pratiques agricoles aura déjà eu lieu d’ici 2050, et sera négligeable par la suite.
    L’augmentation des sécheresses ne permet pas d’établir de prévisions.
    Ainsi, le PTEF ne prend pas ce poste en compte pour le chiffrage GES l’horizon 2050.

II. De nouveaux systèmes alimentaires : renforcer la résilience de notre société

  • a) Végétalisation des régimes alimentaires et lutte contre le gaspillage
    Actuellement, l’assiette moyenne est riche en produits animaux et ultra-transformés. La nouvelle assiette prévoit une baisse de la viande, des poissons fruits de mer, des plats préparés à base de viande ou de poisson, des produits laitiers, des pizzas, tartes, sandwichs, biscuits salés, produits sucrés ; une stagnation des oeufs, des plats préparés à base de végétaux, des sauces et épices, des stimulants ; une augmentation des produits végétaux.
    Ce changement est incontournable pour réduire d’un facteur quatre nos émissions de GES.
    Cette nouvelle assiette représente une baisse considérable de la surface agricole par habitant (3950m2 à 1700m2).
    De plus, elle représente une baisse des charges pour les pouvoirs publics et pour l’agriculteur, qui réalise des économies au niveau des engrais, des pesticides, des aliments pour animaux, des dépenses vétérinaires et de la consommation d’énergie.
    La transition agroécologique du système agricole français n’entraînerait pas nécessairement une augmentation du prix des denrées : le consommateur paierait seulement 1% plus cher pour les produits végétaux et 7% pour les produits animaux.
    Enfin, le PTEF prévoit de diviser par 4 les pertes et le gaspillage alimentaire, qui représente aujourd’hui 150 kg d’aliments par personne par an en France (15 MteqCO2).
  • b) Diversification du système agricole et dé-spécialisation des territoires
    Il s’agit de promouvoir la diffusion des pratiques agroécologiques.
    Nos systèmes agricoles sont encore plus vulnérables aux perturbations climatiques et à l’émergence de nouveaux pathogènes en raison de l’homogénéité génétique des variétés cultivées et des races animales, des rotations et des paysages ; la spécialisation entraîne une forte dépendance aux transports.
    Un territoire résilient doit diversifier sa production et fournir des fruits, des légumes, de la viande, des produits laitiers, de l’huile et des aliments peu transformés à base de céréales et légumes secs à sa population.
    Il faut également relocaliser des infrastructures de stockage et de petites unités de transformation.
    L’agroécologie doit être appliquée à l’ensemble des terres agricoles : agroforesterie, allongement et complexification des rotations, associations de plusieurs cultures au sein d’une même parcelle, mélanges de différentes variétés pour une culture donnée, couverts végétaux entre deux cultures, retour au sol de la matière organique, travail superficiel du sol et arrêt du labour, lutte biologique sans pesticides, troupeaux mixtes, élevage à l’herbe, accroissement des surfaces d’intérêt écologique, agriculture biologique ou de conservation.
    Les stratégies locales de gestion de la ressource en eau doivent également être optimisées pour limiter la pollution et les conflits d’usage.
  • c) Souveraineté alimentaire et gouvernance
    L’enjeu est de promouvoir une justice agro-alimentaire démocratique et transparente. Seule une politique de subventions et d’investissements permettrait aux agriculteurs et aux consommateurs de mieux produire et s’alimenter, tout en réduisant les risques d’inégalités.
    De plus, la production et le commerce international doivent être réglementés grâce à des politiques alimentaires articulées à l’échelle européenne, nationale et territoriale.

Pour conclure, nous rappellerons que la transition du secteur agricole ne s’effectuera pas sans l’encadrement des métiers de la filière : la création de vocations, de nouvelles exploitations et d’infrastructures, ainsi que l’accompagnement des agriculteurs doivent faire l’objet de politiques ambitieuses.

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UE - Digital Services Act : Inclure l'impact environnemental dans la réglementation des grandes plateformes du web

Portée par Florence BLATRIX-CONTRAT et Catherine MORIN-DESAILLY

Une proposition de résolution européenne de Florence BLATRIX-CONTRAT et Catherine MORIN-DESAILLY sur le Digital Services Act (DSA) appelle à engager une réforme ambitieuse du cadre juridique des géants d’Internet. On salue cette initiative sénatoriale mais on aimerait qu’un volet sur la régulation de l’impact environnemental vienne la compléter !

Les plateformes numériques ont pris une place croissante dans notre quotidien et nos activités professionnelles, culturelles ou sociales. Leur modèle économique, fondé pour la plupart sur la collecte de données et la publicité ciblée, les a conduit à développer des technologies persuasives pour orienter le comportement des utilisateurs et maximiser le temps passé sur leurs services. Les effets nocifs sur les individus et les sociétés sont de plus en plus tangibles, et des alertes sont lancées sur le rôle délétère des réseaux sociaux dans la diffusion de _fake news et le risque qu’ils représentent pour les démocraties. Face aux principaux acteurs internationaux en situation hégémonique, le cadre réglementaire dont s’est doté l’Europe, le RGPD, est aujourd’hui insuffisant pour encadrer les algorithmes de traitement et les infrastructures de calcul qui exploitent les données._

Une évolution de la réglementation européenne nécessaire pour renforcer la responsabilité sociétale des plateformes

Si les médias traditionnels sont responsables des contenus qu’ils diffusent, ce n’est pas le cas des plateformes en ligne. Les hébergeurs bénéficient en effet d’un « régime de responsabilité limité »1. Pour aller vers un environnement en ligne plus sûr, un projet de règlement européen, le Digital Services Act (DSA)2, appelle à réguler les pratiques et les contenus. L’objectif est de renforcer les obligations concrètes de modération et de transparence des fournisseurs de services intermédiaires pour les contenus et produits illégaux. Les exigences sont graduelles, en fonction de la nature et de la taille des fournisseurs de services (10 000 plateformes en ligne sur le marché européen, mais une poignée d’entre elles capte l’essentiel de la valeur). En cas d’infraction au règlement, des sanctions financières dissuasives pourront être appliquées. Pour limiter le risque de contournement, une proposition de résolution européenne émanant du Sénat formule des recommandations afin d’atteindre la cible visée : les très grandes plateformes.

Une absence de débat sur la responsabilité environnementale des très grandes plateformes

Si les enjeux de souveraineté numérique face aux GAFAM apparaissent de plus en plus comme une évidence, la question des impacts environnementaux est absente des débats, ou du moins dissociée. Pourtant, la consommation des services fournis par les « GAFAM »3 est désormais connue. Elle peut représenter 80 % du trafic sur le réseau de certains opérateurs et s’accompagne d’une augmentation du volume de données stockées dans les data centers. Or, le développement de ces plateformes exerce une pression croissante sur des infrastructures dont ces acteurs n’assument pas le coût.

Pour maîtriser les effets inflationnistes des GAFAM sur les infrastructures et réseaux européens, c’est le modèle économique lui-même qu’il faut réinterroger. De nouveaux outils de régulation doivent être proposés. Par exemple, les fournisseurs de services pourraient être contraints d’assumer le coût environnemental de leurs pratiques en fonction de la part de trafic qu’ils génèrent. Un référentiel d’éco-conception des services pourrait également imposer le droit d’être informé sur les dispositifs de captation de l’attention et de paramétrer les contenus et les émetteurs (pour éviter notamment le lancement automatique de videos).

La France s’est placée à l’avant garde de l’Europe en promulguant la première loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique. De ce point de vue, la Présidence Française de l’Union Européenne (PFUE) doit être une opportunité pour une vision plus intégrée des enjeux climat / énergie dans la réglementation des 27 pays membres de l’UE. Réaffirmer et encadrer la responsabilité sociétale et environnementale des plateformes en ligne est aujourd’hui indispensable pour aller vers un numérique plus soutenable.

1 Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« Directive sur le commerce électronique »).

2 « Proposition de RÈGLEMENT DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL relatif à un marché intérieur des services numériques (Législation sur les services numériques) et modifiant la directive 2000/31/CE »: https://eur-lex.europa.eu/legal-content/fr/TXT/?qid=1608117147218&uri=COM%253A2020%253A825%253AFIN

3 Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, auxquels on ajoute de plus en plus leurs homologues chinois Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi (BATX)

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