La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2021 | Semaine 49

La Gazette du Carbone relaye cette semaine la réponse du Shift Project à une consultation publique de la mission interministérielle « Green Tech » sur l’écoconception des services numériques. Et puis, pour les amoureux du train, vous trouverez en deuxième partie une réflexion sur le train français face à la concurrence, les coûts d’entretien du réseau et les incertitudes quant à l’avenir des « petites lignes ».

Sommaire

Notre sélection de la semaine

Questions émissions

Notre sélection de la semaine

Mission interministérielle "Green Tech" : réponse du Shift Project à une consultation

Alors que la première loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique vient d’être votée par le Parlement, la mission interministérielle « Green Tech » lance un Référentiel Général d’Écoconception des Services Numériques (RGESN). Décryptage par des Shifters, qui se sont penchés sur le sujet pour contribuer à la consultation publique.

Depuis 2018, The Shift Project a conduit des travaux sur l’impact environnemental du numérique. Ses rapports ont contribué à une prise de conscience de l’empreinte croissante du numérique sur l’environnement et des raisons systémiques amenant à cette situation.

Le numérique est au cœur des transformations de notre société. Mais les émissions de GES de ce secteur augmentent de 6% par an, et pourraient doubler d’ici 20251. Une telle croissance est incompatible avec les objectifs de neutralité carbone à l’horizon 2050 et exerce de surcroît une pression insoutenable sur les matières premières.

Réduire l’impact environnemental du numérique représente un enjeu sociétal majeur, pour donner aux systèmes numériques une trajectoire compatible avec les contraintes énergie-climat. The Shift Project estime que la progression des émissions de GES pourrait être ramenée à 1,5% en adoptant la sobriété numérique comme principe d’action.

Inscrite dans la feuille de route interministérielle Numérique et Environnement, la mise à disposition d’un Référentiel Général d’Ecoconception des Services Numériques (RGESN) élaboré par la mission « GreenTech » (associant la DINum, le MTE, l’ADEME et l’INR) témoigne d’une mobilisation accrue sur ce sujet. Il représente à la fois un signal positif en direction de l’ensemble des acteurs publics et privés, et une avancée vers des services numériques plus sobres et durables.

Les points forts du RGESN :

  • Un guide méthodologique intégrant des axes d’analyse pertinent : Très détaillé (le référentiel comprend 79 critères regroupés en 8 thématiques), le RGESN se présente sous la forme d’un guide méthodologique qui recense les bonnes questions à se poser pour mettre en œuvre une démarche d’écoconception. Les différentes étapes du projet sont bien identifiées et permettent une lecture claire et fluide du référentiel. Des moyens de contrôle / indicateurs sont également mentionnés, de manière à pouvoir auditer la méthodologie mise en œuvre.
  • Un outil pédagogique utile pour sensibiliser les équipes et diffuser des pratiques plus sobres : Cette approche formelle fait du RGESN un outil pédagogique intéressant pour sensibiliser les équipes à l’écoconception et leur permettre de gagner en maturité dans la démarche. La nomination d’un référent en écoconception, évoquée dans le référentiel, est intéressante à la condition de contribuer à sa diffusion. Sur ce sujet émergent au sein des administrations, l’identification d’un expert peut faciliter le portage du projet et garantir le respect des exigences fixées. Il semble toutefois important de réaffirmer que l’objectif est de parvenir à une culture partagée de l’écoconception, ce qui passe par son appropriation par l’ensemble des équipes.
  • Une recherche d’amélioration de la performance environnementale : Le souci de performance environnementale et d’efficacité énergétique sont bien présents et se traduisent par un ensemble de critères dédiés à l’implémentation technique des services numériques et à leur hébergement. Le référentiel vise également à agir sur la durabilité des produits numériques et à limiter le renouvellement des terminaux via des mesures de lutte contre l’obsolescence logicielle, ce qui est pertinent du fait de l’impact environnemental de la fabrication des équipements.
  • Une approche de l’UX plus éthique : le référentiel interroge le design et le modèle économique dominants en visant à donner à l’utilisateur davantage d’autonomie pour choisir et gérer ses usages. Un approfondissement de ces critères serait particulièrement intéressant en vue d’une régulation des services numériques développés par les grandes plateformes.
  • Un effort d’articulation avec les autres référentiels : Le référentiel est construit en complémentarité d’autres référentiels (RGAA, RGPD, RGS, référentiel d’interopérabilité, etc.). L’application de certains d’entre eux, tel le RGAA, fait l’objet d’une obligation légale et d’un cadre règlementaire. On notera cependant que les points d’articulation entre ces référentiels ne sont pas toujours identifiés et mériteraient d’être explicités en termes d’opportunités ou de contraintes pour le déploiement du RGESN.

Les sujets à approfondir

  • Évaluer la pertinence des services numériques : Maîtriser l’impact environnemental du numérique passe par l’évaluation systématique de la pertinence environnementale et/ou sociétale des services numériques en amont de leur déploiement. L’évaluation ex-ante constitue un outil d’aide à la décision qui doit permettre de dédier les ressources aux usages et solutions numériques qui ont une plus-value environnementale et/ou sociétale. À cet égard, le volet stratégique du référentiel pourrait être renforcé afin de contribuer efficacement à adapter les mécanismes de prise de décision. Dit autrement, avant d’éco-concevoir, il est important de décider s’il faut concevoir.
  • Associer les utilisateurs à la démarche : La mise en œuvre du RGESN sous-tend un dialogue étroit avec le métier avant le lancement du projet et sur toute sa durée de vie. L’enjeu ne se limite pas à l’optimisation du niveau applicatif et à son appel au niveau technique, ou encore à l’optimisation technique. Le raisonnement doit porter en amont sur les processus métier et l’appel à des procédures automatisées par des logiciels applicatifs. Chacune de ces étapes nécessite un dialogue et des arbitrages entre les services informatiques et les services métiers pour définir l’allocation optimale des ressources au regard de contraintes définies par chaque organisation.
  • Renforcer la robustesse de certains critères : La robustesse de certains critères doit être renforcée en s’appuyant sur des indicateurs fiables et mesurables. Par exemple, l’objectif de compatibilité du service numérique avec des terminaux de 5 ans minimum est difficile à objectiver du fait de l’hétérogénéité des équipements des utilisateurs finaux. Il serait préférable de faire référence à des configurations logicielles (navigateur, système d’exploitation).
  • Déterminer des indicateurs de résultat : Le référentiel porte en partie sur des objectifs de moyens qui visent à mesurer l’engagement dans la démarche d’écoconception et le niveau de maturité. Pour les critères concernés, l’absence d’objectifs de résultat ne permet pas de déterminer des standards et un niveau de conformité. Par exemple, le critère visant à restreindre le poids maximum par écran pourrait s’accompagner si ce n’est d’objectifs précis, a minima de points de repère permettant au fournisseur de services de se positionner sur le travail d’optimisation à accomplir. En l’absence de seuils, une organisation peut avoir des difficultés à identifier les efforts à accomplir pour atteindre un niveau acceptable. Le risque est d’avoir des niveaux d’investissement et d’ambition très hétérogènes selon les organisations, ce qui mettrait en cause la crédibilité du RGESN.
  • Pondérer les critères et les niveaux d’exigence : Dans le but d’aider les organisations à identifier les axes d’optimisations prioritaires et structurer leurs travaux, il pourrait être pertinent d’une part d’intégrer une pondération aux critères et d’autre part d’organiser ces critères par niveaux de conformité. L’objectif est de donner des clés pour aiguiller la démarche à son lancement. Le référentiel pourrait rendre progressivement les critères obligatoires pour arriver à terme au plus haut niveau d’exigence, à l’image de l’évolution du référentiel RGAA.
  • Garantir des résultats à la hauteur des enjeux : Pour éviter de générer une dette environnementale difficilement réductible, ce référentiel doit permettre de mesurer la performance environnementale du service et devenir opposable. L’application d’un taux de conformité nécessitera probablement de différencier les services numériques. L’enjeu est de permettre aux fournisseurs de services numériques d’être transparents non seulement dans la démarche engagée mais aussi dans la mesure de l’empreinte environnementale.

Pour aller plus loin

  • Affirmer dès à présent l’objectif de parvenir à une certification du RGESN, basée sur une logique d’écoconception qui n’est pas uniquement logicielle, mais aussi servicielle. Préalablement, distinguer les services numériques par catégorie afin de préciser les bonnes pratiques, les règles opposables et les critères d’évaluation pour chacun d’entre eux.
  • Intégrer la démarche d’écoconception dans le pilotage environnemental du SI en faisant du RGESN un des axes de progrès en matière de réduction de l’empreinte carbone des organisations. Compte tenu de la nécessité croissante de raisonner l’empreinte environnementale des activités humaines, réaliser un bilan carbone complet intégrant les biens et services numériques (scopes 1, 2 et 3) est incontournable. Dans cette perspective, il est utile d’évaluer l’impact des services numériques sur la trajectoire des émissions de GES de chaque organisation.
  • Faciliter le passage à l’action en positionnant un centre de ressources en capacité d’apporter un soutien à l’ensemble des acteurs publics et privés. Dans un contexte où la pratique de l’écoconception est émergente en France comme en Europe, il est essentiel de fournir un appui méthodologique pour guider les initiatives de terrain et soutenir les plus petites structures, qui ne disposent pas des ressources / compétences requises.

1 Impact environnemental du numérique : tendances à 5 ans et gouvernance de la 5G

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Questions émissions

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L'avenir du train : concurrence, "petites lignes" et entretien du réseau

Question posée par Alexis Corbière (La France insoumise – Seine-Saint-Denis )

Le député Alexis Corbière interpelle le Ministre délégué aux transports sur les moyens financiers qui vont être mis en œuvre pour l’entretien du réseau ferroviaire français, notamment celui des « petites lignes » afin de garantir aux usagers une qualité de service et un niveau de sécurité effectifs. Il lui demande également quelles sont les garanties, dans un contexte d’ouverture à la concurrence, de maintien des lignes de desserte fine qui permettent le désenclavement de certains territoires et contribuent largement à la politique de décarbonation du pays.

L’entretien du réseau ferroviaire

Le nouveau contrat de performance entre l’État et SNCF Réseau, pour les 10 prochaines années, a été présenté début novembre 2021 au conseil d’administration de SNCF Réseau. Il fait actuellement l’objet d’un processus de consultation.
Cependant, les experts estiment qu’il faudrait 1 milliard d’euros de plus par an en régénération (sur 2,84 milliards d’euros par an) pour rattraper le sous-investissement de ces dernières années.

Ce nouveau contrat de performance limite l’installation de « commandes centralisées du réseau » sur une seule partie du réseau français —uniquement sur Marseille – Vintimille. Concrètement, cela signifie le maintien de postes d’aiguillages obsolètes actionnés « à la main » alors qu’une commande centralisée permet de substantiels gains de productivité et financiers.

Sur la partie financière, le contrat de performance prévoit un cash flow positif à partir de 2024. Les bénéfices de SNCF Voyages (l’entité faisant circuler les TGV et Intercités) doivent être reversés au gestionnaire d’infrastructure : SNCF Réseau. Mais SNCF Réseau risque d’être concurrencé sur ses liaisons les plus rentables par d’autres acteurs, notamment Trenitalia entre Paris et Lyon, qui seront exonérés de verser leurs dividendes au gestionnaire d’infrastructure !
De plus, les chiffres de ce contrat sont en euros courants et n’intègrent pas un taux d’inflation annuel, alors que que le coût des matières premières augmente rapidement.

Il manque à ce contrat de performance une vision stratégique et des indications sur le dimensionnement du réseau. En outre, ce contrat prévoit de la régénération (c’est-à-dire de la remise à l’identique), mais pas d’actions de modernisation du réseau, ce qui signifie que SNCF Réseau devra financer ces dernières sur fonds propres.

Sur le maintien des lignes de dessertes fines du territoire dans un contexte de concurrence

L’État a segmenté le réseau ferroviaire de la manière suivante pour les infrastructures :

  • Lignes structurantes, financées à 100% par SNCF Réseau,
  • Lignes cofinancées par SNCF Réseau et les Régions, selon des clés de répartition à déterminer,
  • Lignes de dessertes fines du territoire (LDFT), financées à 100% par les Régions.

Pour les LDFT, on peut imaginer les Régions plus volontaires que SNCF pour ces lignes appelées « pompeusement » petites lignes. Dans les faits, ce sont souvent ces lignes dont l’état est le plus dégradé et qui nécessitent le plus d’investissement. Il n’est pas certain que les Régions aient les moyens financiers de toutes les sauver, même en imaginant des dispositifs plus frugaux.

Une LDFT doit faire l’objet d’une convention de transfert entre SNCF Réseau et la Région. Cette convention doit traiter des éléments financiers. À ce jour, aucune convention de ce type entre une Région et SNCF n’a été signée.
La plupart de ces lignes nécessitent d’importants travaux de régénération et de modernisation. La question des capacités financières des Régions à les financer est réelle et sans réponse garantie pour le moment.

Source :
Etat – SNCF Réseau ou le statu quo régressif

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