Risques de la compensation carbone des émissions du secteur aérien
Question de M. Dominique Potier - Sénateur Socialistes et apparentés (Meurthe-et-Moselle ) :
M. Dominique Potier alerte M. le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports, sur les risques que présente un mécanisme de compensation carbone des émissions du secteur aérien. Le projet de loi climat et résilience pose les jalons d'un tel mécanisme pour compenser les émissions des vols intérieurs métropolitains ainsi que, sur une base volontaire, des vols depuis et vers l'outre-mer. (...)
Premièrement, peut-il garantir que la compensation carbone des émissions du secteur aérien ne générera pas directement ou indirectement des déséquilibres écologiques, sociaux et économiques, tant pour le pays que pour la planète ?
Dispose-t-il d'études scientifiques conduites par des institutions comme le Haut conseil pour le climat ou le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat démontrant l'efficacité de la compensation carbone pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés par la stratégie nationale bas carbone et l'accord de Paris ?
Ce que nous en pensons :
Compensation carbone : les limites de la reforestation
Dans le cadre du protocole de Kyoto, 37 pays et entreprises se sont engagés à limiter leurs émissions de GES et à contrebalancer leurs émissions excédentaires par le financement d’un projet bas carbone dans un pays moins émetteur.
Réduire ailleurs plutôt que chez soi peut être équivalent, si le projet financé induit une réduction immédiate des émissions. Cependant, l’exemple courant des projets forestiers (choisis notamment par Total, Shell, etc.) ne permettent la séquestration du CO2 que sur des décennies de croissance de l’arbre, et non pas à la date d’achat du crédit.
Or d'après le GIEC (et dans un scénario relativement optimiste de reforestation intensive à horizon 2050), les sols et forêts ne seraient en capacité d’absorber au mieux que quatre gigatonnes des émissions de CO2 d'origine anthropique. Cela suffirait à peine à compenser les émissions incompressibles d'activités indispensables pour l’alimentation.
D'autant plus que le réchauffement climatique menace lui-même les forêts : plus grande mortalité des arbres liée à la multiplication des sécheresses, des incendies et des maladies. A cela s’ajoute que le stockage de ce carbone peut s'avérer relativement temporaire si les forêts replantées sont exploitées à des fins commerciales (bois de chauffage, de construction, etc.). Et nous n’avons pas parlé des risques d’une massification des reforestations pour la biodiversité, le cycle de l’eau, etc.
En somme, même volontariste, la compensation (notamment via la reforestation) n’est pas la panacée. Ce levier est plutôt à réserver en priorité aux secteurs où la réduction des émissions de CO2 n’est pas possible (les secteurs nourriciers en particulier).
Les programmes de compensation dans le secteur aérien
Le programme « CORSIA » de l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI) traite des émissions mondiales de l’aviation civile, alors que l’Union Européenne s’y intéresse dans son « Système d’échange de quotas d’émission de l’UE » (EU-ETS). Or le programme CORSIA, définit par les acteurs du secteur aérien eux-mêmes, ne concerne pas les vols domestiques, s’applique uniquement aux émissions supérieures au niveau de 2019 et ne vise à compenser que la combustion – et non la fabrication et maintenance des appareils.
Le Système européen d’échange de quotas d’émission est plus restrictif, cependant si les états membres de l’UE quittaient le programme CORSIA, cela créerait des déséquilibres politiques et économiques également (par exemple, le report des usagers sur une compagnie étrangère concurrent ou envol depuis un pays voisin). Le Shift Project, dans son rapport co-signé avec le collectif Supaéro Décarbo « Pouvoir Voler en 2050 » propose une solution « 50/50 » : soumettre l’ensemble des vols en partance de l’Espace Economique Européen (EEE) au système EU-ETS et les vols en provenance d’un pays hors-EEE au programme CORSIA.
Enfin, une pensée plus globale : il est important de souligner qu’investir dans des projets “verts” de compensation nécessite de passer par des intermédiaires et ralentit la mise en œuvre de la décarbonation de nos sociétés. Le caractère immédiat de réduction de GES induite par ces projets n’est pas garanti, alors que le temps joue contre nous dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Acheter un crédit carbone via la compensation est une pratique à encourager, mais qui ne pourra jamais se substituer à une réduction des émissions.
Source :
Carbone 4 - Ne dites plus « compensation »: de la compensation à la contribution http://www.carbone4.com/neditespluscompensation-de-compensation-a-contribution/
Pouvoir voler en 2050 : quelle aviation dans un monde contraint ? https://theshiftproject.org/article/quelle-aviation-dans-un-monde-contraint-nouveau-rapport-du-shift/
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