Limites économiques et écologiques de l'analyse du cycle de vie dynamique
Question de M. Hugues Saury - Sénateur LR (Loiret) :
M. Hugues Saury attire l'attention de Mme la ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement sur la règlementation environnementale 2020. La nouvelle règlementation environnementale des bâtiments neufs (RE 2020) a été prévue par [une] loi de 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN). Son entrée en vigueur est prévue au 1er janvier 2022. Son but principal est de diminuer significativement les émissions de carbone dans le secteur du bâtiment qui représente à lui seul 19 % des émissions de gaz à effet de serre, conformément aux objectifs de la stratégie nationale bas carbone (SNBC). Pour atteindre cet objectif, la RE 2020 prévoit de changer la méthode actuellement en vigueur de calcul statique des émissions de CO2, par la méthode ACV (analyse du cycle de vie) dynamique. [...] La mise en place de la RE 2020 comporte néanmoins une double limite. Sur le plan économique d'abord. À moyen terme, les acteurs de la filière béton déjà durement touchés par la crise sanitaire, sont menacés de disparaître. D'un point de vue écologique ensuite. L'augmentation sensible de la demande de bois induite par la RE 2020 ne saurait être comblée par les seules ressources de la forêt française. S'ensuivrait nécessairement une augmentation massive de l'importation de bois qui viendrait fausser les améliorations recherchées en matière d'émission de gaz carbonique. Il souhaite connaître ses intentions sur ces deux points.
http://www.senat.fr/questions/base/2021/qSEQ210321533.html
Ce que nous en pensons :
Au bout de 4 ans de calcul et d'essais, les maîtrises d'ouvrages ont finit par comprendre ce qu’impliquent les ACV (Analyse de Cycle de vie) statiques type "E+C-".
Le passage à une ACV dynamique bouscule donc ce secteur qui s’était emparé de la méthode statique, suite à un arrêté de 2017.
La grande nouveauté de la RE 2020, c’est l'introduction de seuils réglementaires d'émissions carbone par usage (logement collectif, maison individuelle, bureaux, etc.) et par m² de construction. La réglementation pose qu'il vaut mieux reporter une émission en 2075 plutôt qu'émettre en 2025, si nous voulons tenter de respecter l'objectif des +2°C en 2100.
Tout est dans la question du coefficient de pondération : les émissions de carbone et les bénéfices réalisés en fin de vie, principalement via la revalorisation des matériaux et le recyclage, sont pondérés d'un coefficient inférieur à 1.
Si l'on prend le cas d'un produit dont la fin de vie est à 50 ans, les impacts liés à sa fin de vie ainsi que ses bénéfices seront pondérés d'un coefficient à 0.58, ce qui réduit par le calcul la valeur des produits en fin de vie. Cela revient à favoriser fortement les produits biosourcés, notamment le bois primaire, dont les émissions à 50 ans deviennent inférieures au stockage du carbone au moment de sa coupe, du fait de l'application de ce coefficient de 0.58. À propos des bénéfices en fin de vie, on peut effectuer un parallèle avec les gains de matière et l'épuisement des ressources naturelles, puisque le gain carbone lié à la valorisation de fin de vie est globalement équivalent aux ressources primaires que l'on évite d'extraire via le recyclage.
Cela va donc pénaliser les matériaux avec une grande valeur de recyclage, comme les produits métalliques, qui présentent les meilleurs gains de valorisation, puisqu'ils peuvent facilement être recyclés sans être downcyclés (un bardage en aluminium peut redevenir un bardage en aluminium, alors que du béton sera plutôt concassé en sous-couche de voiries, et du bois massif sera déchiqueté pour faire du bois reconstitué), et qui présentent des différences très élevés d'impact entre matière primaire issue de l'extraction des minerais, de leur transformation, etc. (beaucoup de CO²), et matière secondaire par recyclage (moins de CO²).
En ce qui concerne le renouvellement des produits, si l'on prend l'exemple d'un produit qui a une durée de vie de 25 ans, et qui est donc renouvelé une fois, sa première production sera pondérée d'un coefficient 1 (coefficient RE 2020 à t=0), sa première fin de vie et sa seconde production d'un coefficient de 0.79 (coefficient RE 2020 à t=25 ans), et sa seconde fin de vie d'un coefficient de 0.58 (coefficient RE 2020 à t=50 ans). On remarque donc que la seconde production est associée à un coefficient de 0.79, alors que la majorité des impacts pour les produits non biosourcés a lieu lors de leur production. La méthode vient donc minorer par le calcul les impacts des produits renouvelés. À l'inverse, pour des matériaux plus pérennes, qui auraient une durée de vie de 50 ans, la production – la phase qui émet le plus – est pondérée d'un coefficient 1. Ce qui de fait annule cet avantage. La méthode a donc également tendance à favoriser les produits renouvelés plus souvent. Par construction, l’application de coefficient minore l’impact du renouvellement par rapport à d'autres produits ayant une plus longue durée de vie, ce qui va à l'encontre d'une stratégie d'économie de matière.
Ces deux points ci-dessus montrent que la volonté d'encourager le biosourcé risque de créer des « dommages collatéraux ». Toutefois, si cette méthodologie favorise clairement les éléments biosourcés, cela ne rend pas pour autant les autres matériaux non conformes. De plus, cette réglementation fait apparaître un seuil de conformité sur le confort thermique des bâtiments et un renforcement des exigences sur la conception bioclimatique, thématiques où les produits minéraux par exemple, du fait de leur forte inertie, sont mieux valorisés.
Afin de ne pas augmenter la pression exercée sur les forêts, liée à cette meilleure valorisation du bois, le Plan de Transformation de l'Economie Française (PTEF) préparé par The Shift Project prévoit une hausse de près de 40% de la production de bois d’œuvre, et pointe la nécessité de renforcer les usages circulaires du bois.
En parallèle de cette nouvelle réglementation sur la construction neuve, le Shift Project, dans son rapport de synthèse du PTEF « préparé par The Shift Project », préconise de diminuer les nouvelles constructions ; il prévoit une division par 3,5 du nombre de nouveaux logements construits à échéance 2050, ainsi qu’une réduction de 85 % de la consommation de matières premières dans le secteur du bâtiment par rapport à 2018. La rénovation du bâti existant présente en effet un plus grand gisement d'économie carbone et matière que la construction neuve vertueuse.
Pour aller plus loin :
Rapport de synthèse du Plan de Transformation de l'économie Française: https://theshiftproject.org/article/vision-globale-v1-plan-de-transformation-shift/
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L'impact écologique de la transition numérique
Question de Mme Florence Granjus - Députée LREM (Yvelines) :
Mme Florence Granjus interroge M. le secrétaire d'État chargé de la transition numérique et des communications électroniques sur l'impact écologique de la transition numérique. La transition numérique est un enjeu important du quotidien, tant pour les particuliers que pour les entreprises. Alors que l'objectif du développement du « dématérialisé » est une réduction de l'impact des activités humaines et de la consommation sur l'environnement, la consommation d'énergie reste conséquente. [...] Selon l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), le numérique représenterait 4 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, soit 1,5 fois plus que le transport aérien. [...] Elle (...) demande quelles mesures pourraient être envisagées par le Gouvernement afin de concilier transition écologique et transition numérique.
https://questions.assemblee-nationale.fr/q15/15-37917QE.htm
Ce que nous en pensons :
La députée met en lumière un volet peu connu du numérique : son empreinte environnementale. Les rapports sont pourtant unanimes, si le numérique peut constituer une opportunité dans la transition environnementale, ses émissions de GES pèsent aujourd’hui plus que l’aviation et pourraient doubler d’ici 2025. Les progrès techniques ne compenseront pas la croissance du secteur, bien au contraire.
Comme le recommande Mme Granjus, sensibiliser à la sobriété des usages et à l’allongement de la durée de vie des équipements est un bon levier. La production des terminaux rassemble 40 % de l’empreinte mondiale du numérique tandis que la vidéo en streaming représente 80% du trafic.
Cependant, le consommateur n’est pas le seul acteur. L’éco-conception matérielle et logicielle est indispensable pour éviter l’obsolescence des équipements. Coopérer avec les plateformes numériques permettrait d’avancer dans ce sens, mais semble bien insuffisant.
C’est bien aux pouvoirs publics de porter une politique sociale et environnementale du numérique et de réfléchir en termes de pertinence des usages. Comme l’indique le rapport du Shift Project déployer la sobriété numérique, Il s’agit de « piloter les choix technologiques, les déploiements d’infrastructures et les usages associés afin de préserver les apports essentiels du numérique » au regard de la transition environnementale.
Pour aller plus loin :
Impact environnemental du numérique : tendances à 5 ans et gouvernance de la 5G https://theshiftproject.org/article/impact-environnemental-du-numerique-5g-nouvelle-etude-du-shift/ Lean ICT : Pour une sobriété numérique : https://theshiftproject.org/article/pour-une-sobriete-numerique-rapport-shift/ Déployer la sobriété numérique : https://theshiftproject.org/article/deployer-la-sobriete-numerique-rapport-shift/
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