La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2025 | Semaine 35

Chère lectrice, cher lecteur,

La loi « Duplomb » a passionné et généré une pétition hors norme. Nous ne pouvions pas ne pas nous y intéresser…

Bonne lecture !

Sommaire

Réflexions décarbonées

Réflexions décarbonées

La loi Duplomb pour une agriculture d'avenir ou du passé ?

Une proposition de loi au secours des agriculteurs ?

La proposition de loi « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur », déposée le 1er novembre 2024 par les sénateurs Laurent Duplomb (Les Républicains) et Franck Menonville (Groupe Union Centriste), a suivi un chemin législatif épineux. Étudié en commission mixte paritaire (CMP), le texte a trouvé un compromis éclair adopté le 2 juillet par le Sénat puis le 8 juillet à l’Assemblée (316 voix pour, 223 contre)1.

Dans sa version adoptée par le Parlement, le texte comportait notamment :

  • La réintroduction limitée2 d’un insecticide : l’acétamipride3 ;
  • La réautorisation, dans certaines conditions, pour les distributeurs de produits phytopharmaceutiques à réaliser une activité de conseil ;
  • Le relevage des seuils d’obligations d’évaluation environnementale  des  élevages de porcs et de volailles ;
  • La qualification « d’intérêt général majeur » les stockages d’eau (dont les « mégabassines ») ;
  • D’autres mesures, moins controversées, comme l’amélioration de l’assurance récoltes ou la sécurisation du recours à la technique de l’insecte stérile4 pour la lutte contre les insectes ravageurs.

Les potentielles conséquences sur l’environnement du texte ont engendré une mobilisation citoyenne rare. Le 10 juillet, une pétition déposée sur le site de l’Assemblée nationale et demandant son abrogation a recueilli 500 000 signatures en quelques jours – seuil ouvrant la voie à un débat dans l’hémicycle – pour dépasser les deux millions de signatures à la fin du mois5.

Que change la décision du Conseil constitutionnel ?

Le Conseil constitutionnel a validé le 7 août 2025 la quasi-totalité de la loi, mais a censuré la disposition la plus contestée : la réintroduction de l’acétamipride. Les autres volets, dont les simplifications administratives et les procédures liées aux ouvrages de stockage de l’eau, ont été jugés conformes, sous réserves. Si l’article 5 de la loi prévoit une présomption « d’intérêt général majeur » pour ces ouvrages, le Conseil constitutionnel en limite la portée en écartant les nappes inertielles (c’est-à-dire celles peu réactives face aux évènements météorologiques) de leur champ d’application6.

Ce qu’en pensent les Shifters

Concernant le stockage de l’eau en surface, la loi Duplomb semble apporter une réponse aux demandes des agriculteurs. Alors que les besoins diffèrent d’un territoire à l’autre et nécessitent que de tels projets s’appuient sur des politiques publiques basées sur une approche scientifique rigoureuse et adaptée aux spécificités locales et que les experts demandent le conditionnement  leur déploiement à des engagements concrets de sobriété hydrique (cultures sobres, pratiques agroécologiques, procédés d’irrigation plus efficaces, etc.), ce texte néglige la première source des conflits d’usage : la gouvernance local de l’eau.

La pétition record contre la réintroduction des néonicotinoïdes montre un soutien populaire fort pour une agriculture plus respectueuse de l’environnement. Mais comment transformer cette mobilisation citoyenne en mesures concrètes et durables ? Les réponses issues de la Grande Consultation des Agriculteurs, menée en 2024 auprès de plus de 7700 professionnels,  révèlent une réalité complexe7 :

  • Le métier agricole reste difficile, peu reconnu et faiblement rémunéré ;
  • Les rendements sont de plus en plus incertains, du fait du dérèglement climatique et des réductions d’intrants;
  • la main d’œuvre se raréfie et la complexité administrative pèse sur le quotidien au travail, la compétitivité de l’agriculture française baisse, les importations montent;
  • L’avenir est très incertain face aux risques climatiques, économiques et sanitaires.
Les agriculteurs souhaitent des pratiques vertueuses, mais sous conditions

Malgré ce contexte peu favorable à la transition, plus de 80% des agriculteurs et agricultrices interrogés lors de la consultation ont déclaré souhaiter adopter des pratiques agronomiques plus durables. Cependant, 87% conditionnent cet engagement à la viabilité économique. Le changement climatique, le prix de l’énergie et les risques liés aux produits phytosanitaires figurent parmi leurs préoccupations majeures. Plus spécifiquement, trois quarts des répondants s’inquiètent directement des impacts des produits phytosanitaires sur leur santé.  

En France, le secteur agricole représente 18% des émissions de gaz à effet de serre. Les émissions sont à la fois directes et indirectes, notamment via le méthane (CH4) rejeté par les ruminants, le protoxyde d’azote (N2O) issus des engrais et le CO2 issu des machines et du transport. À ces émissions directes s’ajoutent plusieurs dépendances structurelles : énergies fossiles, importation d’intrants8, ressource en eau. La Loi Duplomb en souhaitant réduire la contrainte administrative qui pèse sur les projets d’investissement d’élevage, n’apporte aucune réponse à la question des gaz à effet de serre. Pire, elle donne un signal positif à la poursuite d’une agriculture industrielle qui pousse à la séparation des activités d’élevage des cultures. Alors que toutes les expertises montrent qu’il faut aller dans le sens inverse, que ce soit pour réduire les besoins en fertilisants, pour réduire les émissions de N2O, pour relancer la fixation du carbone dans les sols, pour augmenter la capacité de rétention en eau des sols, pour réduire les risques de dégradation des sols, pour augmenter la biodiversité… Il faut retrouver le lien entre l’élevage et la culture.

Les détracteurs de la loi Duplomb se félicitent de la décision du conseil constitutionnel sur l’acétamipride, alors que ses partisans s’interrogent sur la distorsion de concurrence: la France peut-elle interdire chez elle, et importer sur son sol, ce que ses voisins européens autorisent ? Alors que les molécules peu ou non biodégradables, que sont les néocotinoïdes doivent disparaître du marché du simple fait de leur éternité, la loi Duplomb visait à entretenir l’illusion de leur maintien. Au final la décision du conseil va accélérer l’inévitable remplacement de ces molécules par de nouvelles techniques durables, ce qu’attendent les agriculteurs avec impatience. Les Shifters notent aussi que ce débat n’a pas questionné la question primordiale : pourquoi avons nous besoin de tant de sucre ?

Quelles pistes pour redonner espoir aux agriculteurs?

Au-delà de la controverse législative, ce débat  relance la  question de la nécessité de repenser en profondeur le modèle agricole français. Comment rendre notre agriculture  plus résiliente face aux enjeux géopolitiques et climatiques actuels et à venir ?  Dans son rapport « pour une agriculture bas carbone, résiliente et prospère » publié en 2024, le Shift Project formule plusieurs recommandations pour décarboner l’agriculture9. L’objectif : réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre tout en préparant le secteur aux chocs climatiques et économiques à venir.

Parmi les leviers identifiés figurent la décarbonation des engrais – en relocalisant et en décarbonant leur production tout en réduisant leur usage –, la baisse des émissions du secteur de l’élevage, la diminution de la consommation énergétique et la transition vers des sources d’énergie propres. Sans un modèle agricole en bonne santé, la France peinera à réduire ses émissions de gaz à effet de serre. 

Cependant, l’adoption de pratiques durables dépendra aussi de leur viabilité économique : la majorité des agriculteurs ont des revenus insuffisants malgré un temps de travail maximal. Les solutions nécessitent un accompagnement technique, avec une vraie rémunération du travail agricole au titre des services environnementaux. Le pilier environnemental de la PAC n’y suffit pas. En ce sens,  défendre seulement la compétitivité du milieu agricole avec une vision curative et court-termiste et s’aligner sur les pratiques les moins-disantes en matière d’environnement,  ne permettra pas de défendre les intérêts des agriculteurs, qui sans adaptation et résilience  subiront le dérèglement climatique, la dégradation des sols, etc.

Mobilisation citoyenne et adaptation des comportements

La forte mobilisation autour de la pétition record montre que les français et les françaises se sentent concernés par les enjeux climatiques et environnementaux. Dans le même temps, la campagne « Décarbonons la France » du Shift Project, qui a récolté plus de 4,6 millions d’euros, montre qu’une partie de l’opinion publique est prête à soutenir financièrement une trajectoire écologique plus ambitieuse.

Dès lors, une question s’impose : la transition agricole peut-elle réussir sans accepter un surcoût alimentaire lié à une production plus durable ? Les réformes à venir devront reposer sur plusieurs dynamiques, comme l’évolution des pratiques de consommation et des dispositifs permettant de mieux valoriser les pratiques durables. 

1 https://www.vie-publique.fr/loi/297070-loi-duplomp-agriculture-pesticides-bassines-11-aout-2025

2 Notamment pour des filières sans solution par rapport aux autres filières européennes, comme la betterave et la noisette. À ce sujet, l’ANSES a publié deux rapports portant sur les alternatives aux néonicotinoïdes (2018). et notamment sur la filière de la betterave (2021). 

3 « L’acétamipride est un insecticide utilisé pour lutter contre les insectes dits ravageurs qui se nourrissent des cultures comme les pucerons ou les aleurodes. Cet insecticide est interdit depuis 2018 en France et sera interdit en 2033 au sein de l’Union Européenne. »

4 « La technique de l’insecte stérile (TIS) est une méthode de lutte biologique qui repose sur l’élevage en grande quantité d’un insecte cible posant des problèmes sanitaires ou environnementaux. Elle consiste à en inonder la population sauvage de mâles rendus stériles afin d’empêcher les femelles qui s’accouplent avec eux de produire une descendance. (INRAE) »

5 https://petitions.assemblee-nationale.fr/initiatives/i-3014

6 https://www.publicsenat.fr/actualites/politique/loi-duplomb-apres-la-censure-que-contient-le-texte

7 https://theshiftproject.org/app/uploads/2025/01/241212_Presentation-Grande-Consultation-des-Agriculteurs_PDF.pdf

8 « La majorité des intrants nécessaires au fonctionnement du système agricole, comme les engrais et l’alimentation animale, est importée »

9 https://theshiftproject.org/app/uploads/2025/01/RF-Agri-Rapport-Complet-DEF.pdf

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La gazette du carbone résulte du travail des bénévoles de l'association The Shifters, essentiellement réalisé sur la base de l’expertise du Shift Project. Son objectif est d'informer sur les opportunités que présente l'arsenal juridique français pour décarboner notre société.
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