La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2025 | Semaine 26

Chère lectrice, cher lecteur,

Nos « chères » autoroutes sont l’objet d’un projet de loi remettant en cause leur statut. Mais n’est ce pas un levier ou un point de blocage de la décarbonation de notre économie ?

Bonne lecture !

Sommaire

Réflexions décarbonées

Réflexions décarbonées

L'avenir des autoroutes en question

Quel avenir pour les péages autoroutiers ?

Le secteur des transports représente 30% des émissions de gaz à effet de serre (GES) de la France en 2021, dont la très grande majorité (95%) sont dues au secteur routier1. Le réseau autoroutier concentre à lui seul plus de 30% des distances parcourues2, et le trafic sur autoroutes est à l’origine de 20% à 25% des émissions de GES du secteur routier3,4, soit environ 6 à 7,5% des émissions de GES nationales. Il y a donc un potentiel important de décarbonation pour ce secteur.

Dans la proposition de loi n°1203 du 1er avril 2025, M. Christophe BEX et 83 co-signataires proposent la nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes comme un moyen pour « baisser le montant des péages, renforcer l’entretien du réseau et financer des alternatives de transport durables ».

La gestion des concessions autoroutières et leur avenir font débat

Le réseau autoroutier français s’est largement développé grâce au modèle des concessions : l’introduction des péages en France date de 1955, avec l’instauration de premières concessions autoroutières visant à financer, construire et exploiter le réseau autoroutier interurbain français. Les premières sociétés chargées de ces missions étaient fondées sur des intérêts publics. Des évolutions législatives ont peu à peu permis le recours à des sociétés privées, et depuis la privatisation de 2006, la quasi-totalité des concessions autoroutières sont gérées par des sociétés concessionnaires d‘autoroute (SCA) à capitaux privés, appartenant majoritairement à trois grands groupes (Vinci, Eiffage et Sanef-Abertis).

Les concessions dites « historiques », débutées entre 1961 et 1975, arriveront à échéance entre 2031 et 2036, ce qui alimente les débats autour de leur avenir et de leur modèle économique. La proposition de loi rappelle les nombreuses critiques émises depuis le début des années 2000 à propos des contrats de concession, et en particulier les hypothèses économiques qui ont permis de les négocier. Entre 2020 et 2023, un rapport issu d’une commission d’enquête du Sénat5, ainsi qu’un rapport de l’Inspection Générale des Finances demandé par le Ministère de l’économie6, mettent en évidence une « sur-rentabilité » de certaines SCA, et alimentent un débat parlementaire et médiatique portant sur la possibilité de baisser le prix des péages ou de raccourcir la durée des concessions, voire de renationaliser les autoroutes7,8,9,10. Il existe différents scénarios pour gérer les autoroutes après la fin des contrats de concessions actuels11,12, la nationalisation proposée dans le texte de M.Bex étant une proposition parmi d’autres. Il est nécessaire que le débat ait lieu, mais il convient d’attirer l’attention sur plusieurs enjeux liés aux péages, afin que leur gestion future aille dans le sens d’une décarbonation des transports.

Les péages autoroutiers comme source de financement des infrastructures de transport terrestres

Une partie des critiques envers le système actuel porte sur le prix des péages. Revenus pour les SCA permettant un retour sur investissement au terme de la concession, ils représentent également une source de revenus pour l’État. En effet, une part importante du prix actuel des péages (37%) est constitué de taxes et d’impôts, dont une partie est fléchée vers le financement de la transition écologique. Ainsi, la taxe d’aménagement du territoire et la redevance domaniale versées par les SCA sont toutes deux affectées aux budgets de la SNCF et surtout de l’AFITF (Agence de financement des infrastructures de transports de France); au total, plus de 40% du budget de cette agence est issu de contributions des secteurs routiers et aériens. Baisser trop fortement les tarifs des péages risquerait donc de priver l’État français d’un levier important de financement des transports bas carbone tels que le ferroviaire.

Le think tank TDIE, à l’origine de plusieurs publications en lien avec l’avenir de la gestion des autoroutes, a publié en janvier 2025 un rapport13 dans lequel il propose la mise en place de trois flux financiers distincts :

  • un péage destiné à l’entretien et à l’évolution du réseau routier, et notamment le développement d’infrastructures pour la mobilité électrique et le covoiturage;
  • des taxes spécifiques, fixées au titre des externalités négatives, qui seraient affectées aux besoins en investissements du mode ferroviaire;
  • des taxes de droit commun (TVA et impôt sur les sociétés) versées à l’État, qui pourra les utiliser pour les autres besoins prioritaires de la transition (production d’énergie, rénovation énergétique des bâtiments…);

afin de garantir à l’État des recettes futures pérennes, fléchées vers des investissements dans la mobilité bas-carbone, et de permettre une communication claire et transparente à propos de ces flux financiers. Ceci est de nature à améliorer sensiblement l’acceptabilité des péages.

Par ailleurs, notons que le même rapport propose un scénario visant à utiliser une partie des recettes de péages (estimées à 8 milliards d’euros par an à partir de 2035) pour réaliser des emprunts, en s’inspirant de la mise en œuvre du projet du Grand Paris express (GPE). En appliquant un effet de levier similaire, les auteurs estiment que 450 à 500 milliards d’euros pourraient ainsi être mobilisés entre 2035 et 2050, sommes à mettre en regard des besoins avancés par le Conseil d’Orientation des Infrastructures14 ou encore l’Autorité de Régulation des Transports15, qui estiment les besoins d’investissement pour la modernisation du réseau ferroviaire à 175 à 204 milliards d’euros d’ici 2042.

Les péages autoroutiers, un signal prix indispensable pour la décarbonation du transport

Une baisse trop forte du prix des péages réduirait aussi le rôle du signal-prix et pourrait mener à un report modal inversé. Cela a été le cas en Espagne après la suppression des péages, où la forte augmentation du trafic sur les portions concernées aurait mené à une hausse de 7% net du trafic routier16. Le choix modal des automobilistes étant principalement influencé par le coût variable de leurs déplacements (péages et prix de l’énergie)17, là où les tarifs du mode ferroviaire s’approchent davantage du coût complet du déplacement18, baisser le coût des péages reviendrait à renforcer les avantages du mode routier par rapport au mode ferroviaire.

Les révisions récentes de la directive « Eurovignette » encouragent les États européens à intégrer les coûts externes générés par l’usage des autoroutes dans leur tarification, selon les principes de l”« usager-payeur » et du « pollueur-payeur », en prévoyant pour les poids lourds une modulation des péages en fonction des classes d’émissions de CO2 ainsi que la mise en place d’une redevance supplémentaire pour coûts externes liée à la pollution atmosphérique; des dispositions facultatives applicables à tous les véhicules sont également prévues. Elle invite également les États membres à utiliser les recettes de ces redevances pour « rendre les transports plus durables ». Cependant, en France, le choix a été fait de ne transposer que les dispositions obligatoires portant sur les poids-lourds, et seulement pour les nouveaux contrats de concession initiés à partir de 2022, ce qui concerne donc une fraction très faible du réseau autoroutier19,20.

Ce qu’en pensent les Shifters

Quel que soit le modèle choisi à l’avenir pour les concessions autoroutières, il est essentiel de maintenir voire d’augmenter le niveau global des tarifs de péages, et d’améliorer le fléchage d’une partie des recettes vers des investissements dédiés à la transition vers des transports décarbonés. Par ailleurs, afin de renforcer en France le principe du “pollueur-payeur” il serait bénéfique de profiter de toutes les possibilités données par la directive Eurovignette visant à moduler les tarifs selon les performances énergétiques des véhicules, non seulement pour les poids-lourds mais aussi pour les véhicules particuliers. Cela permettrait d’envoyer à tous les usagers de l’autoroute, à la fois les acteurs du transport de marchandises et les particuliers, un signal-prix qui les incite d’une part à choisir des véhicules moins émetteurs, et d’autre part à privilégier des modes de transports moins polluants comme le ferroviaire.

On peut imaginer plusieurs paramètres et types de modulation des tarifs de péages :
  1. Modulation en fonction du niveau d’émissions de CO2, pour favoriser les véhicules à faibles émissions;
  2. Modulation en fonction du poids et/ou de l’efficacité énergétique du véhicule, pour inciter les usagers à privilégier les véhicules légers et économes, y compris parmi les véhicules hybrides ou électriques (pour limiter le phénomène des SUV électriques par exemple);
  3. Modulation en fonction du nombre de passagers dans le véhicule, ce qui permet d’encourager le covoiturage et de favoriser les familles;
  4. Modulation en fonction de la vitesse moyenne sur un tronçon, afin d’inciter les usagers à réduire leur vitesse, ce qui peut contribuer à la réduction des émissions.

Ces différentes modulations pourraient être combinées entre elles, et devraient être réfléchies avec des objectifs d’acceptabilité et d’équité, certains usagers n’ayant pas d’autre choix que d’emprunter le mode routier ou ne pouvant se permettre de changer de véhicule.

1 Émissions de gaz à effet de serre du transport | Chiffres clés transports 2023

2 Source : SDES, Bilan de la circulation 2023

3 La révolution environnementale des mobilités – Vinci, 2021

4 Transports : roulerons-nous plus vert grâce aux autoroutes bas carbone ? – Les carnets de l’économie, 2021

5 Concessions autoroutières : des profits futurs à partager équitablement avec l’État et les usagers – Sénat, 2020

6 L’État a-t-il fait la sourde oreille à un rapport préconisant de baisser les tarifs des autoroutes ? – Le Figaro, 2023

7 Question n°3399 : Échéance des concessions autoroutières – Assemblée nationale

8 Question d’actualité au gouvernement n°0226G – Concessions autoroutières – Sénat

9 Question d’actualité au gouvernement n°0227G – Concessions autoroutières – Sénat

10 Déclaration du 3 mai 2023 à l’Assemblée nationale – Superprofits des Concessionnaires d’autoroutes

11 Préparation de l’échéance des contrats de concessions autoroutières – Sénat, 2024

12 Quel système autoroutier à l’issue des concessions ? Cinq scénarios pour poser le débatTDIE, 2023

13 Comment financer et réaliser les investissements nécessaires à la transition écologiqueTDIE, 2025

14 Rapport de synthèse : Investir plus et mieux dans les mobilités pour réussir leur transitionCOI, 2023

15 Scénarios de long terme pour le réseau ferroviaire françaisART, 2023

16 Source : Pierre Copey à l’occasion du débat TDIE, TI&M ET Mobilettre du 5 décembre 2023

17 Les déterminants du choix modal – Institut Paris Région, 2020

18 Comment mener le débat sur l’avenir du système autoroutier françaisTDIE, 2024

19 Code de la voirie routière, chapitre X : Dispositions relatives aux péages

20 Avis n° 2023-039 du 27 juillet 202 de l’Autorité de Régulation des Transports

▲ Sommaire

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