La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2025 | Semaine 20

Chère lectrice, cher lecteur,

À l’heure de la première crise grave du réseau électrique espagnol et à la montée des intermittences si difficiles à gérer, nos anciennes centrales à charbon peuvent elles apporter un soutien au réseau électrique après une conversion « forcée » vers la biomasse ou le gaz naturel  ?

Sujet chaud, lui aussi…

Bonne lecture !

Sommaire

Réflexions décarbonées

Réflexions décarbonées

Faut il convertir nos centrales à charbon?

La difficile conversion des centrales électriques à charbon

Le chemin vers l’arrêt de l’usage du charbon comme source de production d’énergie électrique s’est enrichit d’un nouveau chapitre, grâce à une loi adoptée à l’Assemblée nationale le 7 avril publiée au Journal Officiel du mardi 15 avril 20251. Le but de cette mesure est de faciliter la conversion des centrales à charbon encore en fonction en France vers des combustibles moins émetteurs, pour permettre une « transition écologique plus juste socialement ».

La Loi reprend la proposition qui se composait de deux articles :

  • L’article 1: les installations dépassant le seuil de 550 g CO₂/kWh qui font l’objet d’un projet de conversion comme des installations neuves.
  • L’article 2 : les installations faisant l’objet d’une conversion sont éligibles au « mécanisme de capacité » du RTE2.

L’avenir des centrales à charbon a été réglementé à plusieurs reprises. D’abord, la Loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019, dite « Énergie & Climat » établissait l’arrêt de la production d’électricité issue du charbon à partir de 2022. Et pour les installations produisant de l’énergie électrique à partir de combustibles fossiles elle fixait une limite de 0,55 tonne d’équivalent en dioxyde de carbone (tCO₂eq) par mégawattheure (MWh) de puissance électrique3 installée. Les quatre centrales actives sur le territoire français au moment de l’entrée en vigueur de la loi étaient: Le Havre (Seine Maritime), Gardanne (Bouches Bouches-du-Rhône du Rhône), St Avold (Moselle) et Cordemais (Loire Atlantique).

La crise énergétique de 2022 justifia de revenir sur cette décision: la dégradation des relations UE – Russie et les difficultés de la structure nucléaire française générant une baisse des approvisionnements énergétiques en Europe, le gouvernement rectifia ses décisions afin de prévenir des pénuries pendant l’hiver suivant. À travers le décret 2022-1233 du 14 septembre 20224, les seuils d’émissions de GES furent modifiés pour permettre le maintien en activité de la centrale de Cordemais et le redémarrage de St Avold.

L’exécutif prolongea encore la date limite de fermeture des deux dernières centrales à charbon, par le décret n° 2023-817 du 23 août 20235, qui reconduisit le seuil d’émissions autorisées à 1,8 tCO₂eq/MW et permit l’exploitation des centrales jusqu’en décembre 2024. Dans ce contexte, une proposition visant à « proscrire le recours au charbon » à partir d’avril 2024 avait été déposée en octobre 2023 sans pourtant avoir une suite.

Enfin, l’article 41 oblige la présentation d’un plan de conversion des installations vers des combustibles moins émetteurs en dioxyde de carbone, pour atteindre un niveau d’émission inférieur au seuil de 550g/KWh de CO₂ au plus tard le 31/12/2026.

L’impact du charbon et l’avis du Shift

L’arrêt du recours au charbon pour production la d’électricité est urgent du fait des impacts négatifs que ce combustible a sur l’environnement et sur la santé humaine. C’est la source d’énergie la plus émettrice de dioxyde de carbone: en production d’électricité, le charbon rejette 1,06kg CO₂eq/kWh, contre 0,418 kg CO₂eq/kWh du gaz naturel ou les 0,73 kg CO₂eq/kWh du fioul6.

En outre, la combustion du charbon produit d’autres substances polluantes atmosphériques (dioxyde de soufre (SO₂), oxydes d’azote (NOₓ), particules fines (PM), monoxyde de carbone (CO) et métaux lourds) qui sont directement dangereuses pour la santé humaine. Le rapport Europe Dark Cloud7 estime que les rejets des centrales à charbon actives en UE ont été à l’origine de 22 940 morts prématurés, dont 1380 en France en 2013.

De plus la contribution du charbon au mix énergétique français est négligeable : en 2021, les 4 dernières centrales à charbon de France n’ont fourni que seulement 1,18 % de la consommation nationale d’électricité, tout en étant responsables de près de 30 % des émissions de GES du secteur électrique (10 millions de Tonnes de CO₂eq)8. L’impact du charbon sur le changement climatique est également amplifié par les émissions de méthane (CH4) lors de son extraction.

Le Shift Project conclue à la nécessité de se passer des centrales à charbon et de structurer l’électrification en Europe autours des énergies renouvelables ou du nucléaire d’ici 20509, si l’on veut respecter l’Accord de Paris. Il s’agit d’une des 9 propositions préconisées en complément du « Manifeste pour décarboner l’Europe » de 2017.

Le poids de la question sociale

Néanmoins, les députés ont opté pour favoriser la conversion de ces structures, plutôt qu’en décréter l’arrêt définitif. À la base de ce choix, il y a la volonté de sauvegarder une partie des emplois (le Shift Project prévoyait une baisse de 94% des emplois dans les centrales thermiques entre 2017 et 205010). La fermeture des deux centrales encore en fonction impacterait effectivement près de 700 salariés directs, 200 salariés portuaires et 500 salariés sous-traitants. Ce qui pèserait sur les électorats et aussi sur les finances des collectivités. Miser sur la reconversion vers des sources moins émettrices permettrait donc de protéger au moins une partie de la filière, d’où la mention de « transition énergétique socialement juste » du texte.

L’option pilotable une nécessité qui s’impose

La grande panne d’électricité qui a touché les réseaux espagnol et portugais, dont les causes ne sont pas encore établies, c’est produite alors le réseau était alimenté à 70% par le photovoltaïque et l’éolien, dans un moment de faible demande11. La production d’électricité issue du solaire ou de l’éolien est en effet intermittente, disponible en abondance dans certains moments et absente dans d’autres, difficiles à stocker et subit fortement la pression de facteurs externes tel que la météo ou la saisonnalité, un poids trop élevé des sources intermittentes constitue un danger pour le réseau électrique. Se pose la question de conserver une partie de production électrique thermique pilotable pour permettre d’amortir les intermittences des énergies renouvelables1213.

Comment utiliser la capacité de production pilotable des centrales thermiques?

L’éligibilité des infrastructures à charbon, en projet de transition, au mécanisme de capacité permet de rémunérer la capacité de production, même si elle est nécessaire qu’épisodiquement. Le mécanisme de capacité14 doit assurer la sécurité d’approvisionnement électrique lors des périodes de forte demande et il s’appuie sur l’obligation de couverture de la consommation en heure de pointe par les acteurs obligés dont les capacités de production sont certifiées et rémunérées. Sans ce mécanisme, très couteux, les centrales ne trouveraient pas de rémunération suffisante sur le marché de l’énergie pour maintenir leur fonctionnement alors qu’elles pourraient être indispensables pour passer les jours de pointes de consommation.

La conversion vers le Gaz ou la Biomasse ?

Les deux options de conversion des centrales thermiques sont le gaz naturel, option privilégiée à St Avold, ou la Biomasse. Celle-ci est mise à œuvre à Gardanne avec une part significative de bois importé (eucalyptus brésiliens « certifiés durables »), des déchets de bois et du bois collecté dans les forêts de la région15. Cette option, en théorie renouvelable, n’est pas neutre en CO₂, l’évaluation de la ressource réellement disponible est en cours. La stratégie de conversion de Cordemais reste indécise suite à l’échec du premier projet biomasse.

Conclusion

L’arrêt du recours au charbon en France est nécessaire pour décarboner et est une urgence sanitaire. Toutefois, un réseau électrique fiable et capable de répondre aux grandes variations de demande, nécessite aussi une part de production pilotable. Mais la reconversion des centrales à charbon n’est qu’une réponse partielle et supplétive de l’énergie hydraulique, premier recours de pilotage. Si elle permet le maintient des emplois, c’est une solution qui reste complexe et couteuse. Le recours au gaz semble bien maîtrisé, en revanche l’appel à la biomasse forestière soulève beaucoup de questions et de réserves. La combustion du bois n’est pas neutre en carbone, contrairement à ce que beaucoup ont cru comprendre. De plus elle génère des risques de santé16. Enfin l’origine du bois doit être maîtrisée, son importation nous semble un total non sens, car ne contribue pas à la souveraineté énergétique.

1 LOI n° 2025-336 du 14 avril 2025 visant à convertir des centrales à charbon

2 Gestionnaire du réseau du transport d’électricité

3 Seuil mentionné dans la loi exprimé avec des unités de mesure différentes (gCO₂eq vs tCO₂eq).

4 LOI n° 2025-336 du 14 avril 2025visant à convertir des centrales à charbon

5 Décret n° 2023-817 du 23 août 2023 modifiant le plafond d’émission de gaz à effet de serre

6 base ADEME

7 Europe’s dark cloud

8 Les quatre dernières centrales à charbon de France devraient fermer d’ici 2022

9 Shift Project 9 propositions

10 Shift Project L’emploi : moteur de la transformation bas carbone

11 How Spain’s Success in Renewable Energy

12 « Les réseaux électriques Europe sont calibrés sur une fréquence standard de 50 hertz (Hz). Une fréquence inférieure à ce niveau signifie qu’il n’y a pas assez d’électricité produite par rapport à la demande ; au-dessus, cela signifie qu’il faut produire moins de courant. »

13 Comment un réseau électrique peut-il s’effondrer en cinq secondes ?

14 Participer au mécanisme de capacitéRTE

15 Centrale de Provence – Wikipedia

16 Réduction des émissions issues du chauffage

▲ Sommaire

La gazette du carbone résulte du travail des bénévoles de l'association The Shifters, essentiellement réalisé sur la base de l’expertise du Shift Project. Son objectif est d'informer sur les opportunités que présente l'arsenal juridique français pour décarboner notre société.
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