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2024 | Semaine 42Chère lectrice, cher lecteur, La Gazette reprend de plus belle avec des articles toujours plus passionnants sur la décarbonation. Cette semaine, nous nous penchons sur le principe de la Responsabilité élargie des producteurs. Bonne lecture ! |
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Réflexions décarbonées |
Réflexions décarbonées |
La Responsabilité élargie des producteurs de matériaux de construction : pas assez de recyclage
IntroductionDepuis le 1er janvier 2023, le principe de la Responsabilité élargie des producteurs (REP)1 qui se préoccupe de l’impact des produits manufacturés sur l’environnement pendant l’ensemble de leur cycle de vie, s’applique également aux acteurs fabricants ou producteurs de produits et matériaux de construction du bâtiment (PMCB). La mise en place d’une REP sur ce type de déchets est certes bienvenue, puisque le secteur du BTP bâtiment représente environ 42 Mt/an de déchets2. Le Shift Project, dans son rapport « Habiter dans un monde bas carbone »3, saluait d’ailleurs l’arrivée de la REP PMCB. Toutefois, certaines problématiques commencent à émerger quant au fonctionnement de cette filière. Le sénateur M. Corbisez, issu du « groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste – Kanaky », a interrogé le 16 mai 2024 le ministre de la transition écologique à propos de l’impact sur les recycleurs indépendants du déploiement du dispositif de REP4. Contexte et définitionsC’est la loi AGEC (Anti-gaspillage pour une économie circulaire) qui a fixé le principe de création d’une filière pour les PMCB visant à réduire les dépôts sauvages, prévenir la saturation des décharges et développer le recyclage et le réemploi des déchets. Dans ce cadre, la REP s’articule autour de deux principes législatifs majeurs :
Le décret n°2021-1941 du 21 décembre 20215 modifiant l’article L.541-10-1 (4°) du code de l’environnement précise l’application de ces obligations et explicite les matériaux concernés, en les divisant en deux catégories : les PMCB à base de minéraux6 et les PMCB à base d’autres matériaux tels que le bois7. Quatre éco-organismes et un organisme coordonnateur sont actuellement agréés par l’État. Ces éco-organismes se financent à travers l’éco-participation payée par les producteurs en fonction des ventes de produits neufs. S’appuyant sur ces ressources, ils sont ensuite chargés d’établir un maillage territorial des installations qui reprennent sans frais les déchets, dans les conditions prévues au 4° de l’article L.541-10-1, suivant l’arrêté du 10 juin 20228. Cet arrêté précise en effet le cahier des charges des éco-organismes et détermine notamment les conditions d’ouverture des nouveaux points de reprise. Dans les faits, les éco-organismes délèguent donc la gestion opérationnelle de la collecte et du traitement des produits par des appels d’offres à des opérateurs. Des conséquences négatives pas toutes anticipéesOn peut regretter que l’organisation de la filière ait provoqué l’exclusion des recycleurs indépendants au profit des grandes enseignes de la distribution ou des grands recycleurs. Samuel Lostis, président de l’Association des recycleurs indépendants (ARI9), dénonce par exemple les « conséquences préjudiciables pour les 2.000 indépendants […], mais aussi pour la gestion des déchets sur tout le territoire national »10. D’autres associations ont également critiqué les modalités d’application de cette REP : la CAPEB, Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment, a par exemple jugé « prématuré » le lancement de la REP tandis que la FFB, Fédération française du bâtiment contestait la définition de producteur de déchets11. Cette dynamique négative a plusieurs raisons :
D’une façon générale, il semble que l’approche appliquée par les éco-organismes s’oriente plus vers une efficacité opérationnelle dans la collecte, au détriment de la création de valeur grâce au recyclage et au réemploi local des matériaux qui seraient favorisés en s’appuyant sur les recycleurs locaux. On peut par exemple citer le recours intenté par la Fédération des recycleurs (FEDEREC) demandant la suspension de l’agrément PMCB de l’éco-organisme Valdelia12. La requête liste une série de griefs contre l’éco-organisme qui privilégie l’approche opérationnelle, au détriment d’un soutien financier aux opérateurs en activité. Quelques propositions de solutionsLes solutions proposées par certains acteurs du secteur pour sortir de cette situation consistent, tout d’abord, en un contrôle sur l’attribution des marchés de sous-traitance, la publication d’une liste de l’ensemble des acteurs du recyclage, ainsi que la fixation des barèmes de rémunération pour favoriser les sous-traitants qui valorisent les déchets collectés et leur réintégration dans l’économie locale. Ces mesures amélioreraient les conditions actuelles de concurrence inégale, qui ne se soucient guère du développement local de l’économie liée à la revalorisation. Dans un prochain article, nous nous concentrerons sur la filière bois dans cette perspective de REP. 1 RESPONSABILITÉ ÉLARGIE des PRODUCTEURS. Il s’agit de dispositifs particuliers d’organisation de la prévention et de la gestion de déchets qui concernent certains types de produits. Ces dispositifs reposent sur le principe selon lequel les producteurs peuvent être rendus responsables du financement ou de l’organisation de la prévention et de la gestion des déchets issus de ces produits en fin de vie, en référence au principe pollueur-payeur. 2 Produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment 3 Habiter dans une société bas carbone (The Shift Project, octobre 2021) 6 Filière PMCB sur le site de l’ADEME 7 Métal, verre, plastiques également inclus dans cette catégorie. 9 Association des recycleurs indépendants (ARI) 11 Critiques de la CAPEB (Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment) et FFF |
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