La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2024 | Semaine 23

Chère lectrice, cher lecteur,

Retour sur le rapport de la Cour des comptes au sujet du trait de côte, avec un second article venant compléter le précédent.

Bonne lecture !

Sommaire

Réflexions décarbonées

Réflexions décarbonées

Gestion du recul du trait de côte : comment s'adapter ?

Dans son dernier rapport1, la Cour des comptes souligne l’importance de mieux anticiper les conséquences du recul du trait de côte en France, à l’échelon local et national pour adapter les territoires menacés sur la base de contrôles ayant portés sur 45 organismes locaux ainsi que sur les principaux ministères concernés. Cette analyse reprise ici de façon synthétique dans deux articles rejoint ainsi en large partie les préoccupations et les préconisations des Shifters.

Le précédent article soulignait la prise en compte insuffisante du phénomène aux plans scientifique, administratif et politique. Celui-ci insiste sur la nécessité de s’adapter de façon anticipée au recul du trait de côte plutôt que de chercher à lutter contre l’irrémédiable.

S’adapter plutôt que lutter : un choix encore rare

Plus de dix années après qu’a été affichée, au niveau national, une préférence pour les alternatives à la défense contre la mer, il est temps de sortir de la logique d’expérimentation qui a prévalu jusqu’à présent pour donner toute leur place aux solutions de gestion souple et pour planifier les recompositions spatiales nécessaires, comme le souligne la Cour des comptes.

Les différentes parties prenantes témoignent encore d’une préférence pour la fixation du trait de côte, plutôt que pour l’adaptation à sa mobilité, ce qui est pourtant encouragé.

La priorité donnée par la SNGITC2 au développement des solutions d’adaptation par rapport à la défense contre la mer ne s’est pas encore traduite dans les faits.

Le choix entre ces modes d’intervention doit être précédé d’une évaluation socio-économique afin de comparer la rentabilité d’une action par rapport à une autre (analyse coûts-avantages) et sa conformité à d’autres facteurs (analyse multicritères), comme l’impact sur les espaces naturels, la faisabilité juridique ou l’acceptabilité locale. Ces analyses, promues par la SNGITC, ne sont pas toujours menées et, lorsqu’elles le sont, présentent des fragilités. Des scénarios, souvent celui de la relocalisation, en sont exclus ab initio ou bien les critères retenus ne sont pas hiérarchisés. L’exigence de justification des choix, pratiquée dans la prévention des inondations, devrait s’appliquer avec la même rigueur à la gestion du trait de côte, qui peut être beaucoup plus coûteuse.

La lutte active souple est récurrente, et parfois massive, sur le littoral sableux, souvent sous la forme de rechargements de plage. Elle peut être réalisée en urgence ou sans disposer du recul suffisant sur son impact environnemental. Sa comptabilisation en dépenses d’investissement par certaines collectivités en facilite la mise en œuvre, en leur permettant de les financer par l’emprunt, alors que ces opérations présentent un caractère éphémère et ne sont pas réalisées sur leur domaine. Ce mode d’intervention devrait être pratiqué avec d’autant plus de prudence qu’il reporte l’échéance du recul sans la faire disparaître, faussant l’effectivité de la « protection » qu’il procure.

Sur le plan financier, les dépenses encore modérées vont croître fortement ce qui requiert un modèle futur à inventer.

Les dépenses annuelles de l’État dans ce domaine ont crû de manière significative, passant de 14 M€ en 2021 à 28,7 M€ en 2022 et 48,2 M€ en 20233. Cette hausse a été financée par le plan de relance et par le fonds d’accélération de la transition écologique dans les territoires, dit « fonds vert », qui comprend une enveloppe consacrée à l’adaptation au recul du trait de côte.

Les besoins futurs en termes de recompositions spatiales ne sont pas connus avec précision. Le Gouvernement en évalue la part publique à 50 M€ par an jusqu’en 2040 quand d’autres évoquent un montant de 150 M€ par an4. Le seul rachat éventuel de biens menacés par le recul du trait de côte pourrait mobiliser entre 140 et 800 M€ de fonds publics d’ici 20405 selon les hypothèses d’érosion et d’intervention publique retenues, sans préjudice des dépenses de démantèlement (destruction, dépollution et renaturation) et d’éventuelle relocalisation de ces biens, dont le recensement est probablement sous-estimé. Parmi les rares travaux menés pour approcher le coût complet d’une seule recomposition spatiale, une étude a évalué à 22 M€ le coût sur 20 ans de la relocalisation d’un quartier de 30 maisons individuelles et jusqu’à 835 M€ celui de la relocalisation de l’ensemble d’un front de mer de 3 km (comprenant 2 000 logements et 80 commerces)6.

L’imprécision des besoins pour la recomposition des territoires littoraux est symptomatique d’un défaut plus général de quantification de l’effort en faveur de la gestion du trait de côte dans son ensemble, à l’image des difficultés de suivi des dépenses d’adaptation au niveau national.

La soutenabilité de ces dépenses pour l’avenir est donc incertaine, à une échéance plus ou moins brève selon les collectivités. Leur coût va indéniablement croître par l’effet de l’amplification des risques d’érosion et de submersion marines, dans un contexte de changement climatique accéléré et à mesure de l’engagement des territoires ayant jusqu’à présent peu investi cette gestion. Le déplacement des infrastructures publiques vulnérables (routes, stations d’épuration, réseaux, etc.) et notamment la mise en œuvre de la préemption des biens menacés par l’érosion, devraient conduire à la multiplication des stratégies foncières nécessaires aux recompositions spatiales.

En toute hypothèse, la réflexion en cours sur la soutenabilité de la gestion de l’érosion côtière doit s’insérer dans le cadre plus général du financement des politiques d’adaptation au changement climatique. Une solidarité sera d’autant mieux acceptée qu’elle sera limitée et s’articulera avec des cofinancements privés, provenant en particulier des propriétaires, responsables de la protection de leurs biens contre la mer.

Il paraît nécessaire de renforcer l’ingénierie locale.

L’adaptation à la mobilité du trait de côte engage les territoires littoraux dans des actions et dans des projets d’une grande complexité, requérant des compétences rares. Or le secteur de l’ingénierie a été marqué, ces dix dernières années, par un désengagement de l’État, avec la quasi-disparition des capacités auparavant portées par les directions départementales de l’équipement7. L’appel à des agences techniques ou d’urbanisme départemental et à des prestataires privés n’a pas complètement compensé l’insuffisance d’ingénierie.

Conclusion

La Cour des comptes formule les recommandations suivantes :

  1. Couvrir l’ensemble des territoires fortement menacés par le recul du trait de côte d’un diagnostic du risque opposable aux autorisations d’urbanisme et tenant compte de l’élévation prévisible du niveau de la mer imputable au changement climatique (ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, communes et EPCI) ;
  2. Assortir la prochaine stratégie nationale de gestion du trait de côte d’objectifs et d’indicateurs permettant d’en suivre et évaluer la mise en œuvre (ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires) ;
  3. Faire de la gestion du trait de côte une mission obligatoire de la GeMAPI exercée par le bloc communal (ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires et ministère de l’intérieur et des outre-mer) ;
  4. Opérer un suivi rigoureux et homogène des coûts et financements actuels de la gestion du trait de côte afin d’objectiver les besoins futurs (ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, ministère de l’Intérieur et des Outre-mer, ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, communes et EPCI) ;
  5. Mettre en place un dispositif de financement de la gestion publique du trait de côte instituant une solidarité financière entre territoires littoraux et comprenant un reste à charge pour chaque collectivité ou groupement littoral financé sur ses ressources (ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, ministère de l’Intérieur et des Outre-mer, ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, communes et EPCI).

Concernant les travaux du Shift Project, la partie des cahiers résilience des territoires8 consacrée aux littoraux9 identifie un certain nombre d’obstacles notamment économiques et techniques. Cependant, c’est aussi sur l’acceptabilité des mesures pour les habitants qu’il faudra jouer. Ainsi, selon le rapport, le succès des actions dépendra de leur préparation avec les habitants. C’est pourquoi les trois leviers d’action que préconise le Shift Project mettent en avant la participation locale :

  • Préparer le retrait des infrastructures non viables en concevant dès aujourd’hui la forme future du territoire avec les citoyens dans un scénario de réchauffement supérieur à 2°C ;
  • Anticiper des solutions de relocalisation de long terme en concertation avec les habitants et d’autres collectivités ;
  • Préparer dès aujourd’hui l’avenir des zones abandonnées (renaturation et restauration de zones humides).

1 Le rapport public annuel 2024, La gestion du trait de côte en période de changement climatique

2 Dans le prolongement des recommandations du Grenelle de la mer, et sur propositions de groupes de travail, la France s’est dotée en 2012 d’une stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte.

3 Hors dotations aux collectivités territoriales faisant l’objet d’une gestion déconcentrée et pour lesquelles les données sont encore plus parcellaires

4 I4CE, Se donner les moyens de s’adapter aux conséquences du changement climatique en France : de combien parle-t-on ?, 2022.

5 CGEDD, IGA et IGF, La recomposition spatiale des territoires littoraux, 2019, pp. 45-46.

6 André, C., Sauboua, P., Rey-Valette, H. & Schauner, G., Acceptabilité et mise en œuvre des politiques de relocalisation face aux risques littoraux : perspectives issues d’une recherche en partenariat, VertigO, 15, 2015.

7 CGEDD et IGA, Le rôle du Cerema en matière d’appui aux collectivités territoriales, renforcer son activité au bénéfice des collectivités locales, 2021 ; Cour des comptes, Les effectifs de l’administration territoriale de l’État, observations définitives, mai 2022.

8 Climat, crises : comment transformer nos territoires ? – The Shift Project

9 Cahier Littoraux – The Shift Project

▲ Sommaire

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