La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2024 | Semaine 16

Chère lectrice, cher lecteur,

Un rapport récent de la Cour des comptes effectue une analyse intéressante des politiques publiques sur la résilience des villes.

Excellente lecture !

Sommaire

Réflexions décarbonées

Réflexions décarbonées

Quelle stratégie adopter pour la résilience des villes ?

Pour l’édition 2024 de son rapport annuel, la Cour des comptes a judicieusement choisi la thématique de l’action publique pour s’adapter au changement climatique. Ce rapport décrypte l’ampleur des transformations à engager pour tenir le cap de l’adaptation et alerte ainsi sur le retard pris par la France en la matière. Si ce rapport brille par le large panel de politiques publiques analysées, les Shifters se concentrent cette semaine sur le chapitre consacré à l’adaptation des villes au changement climatique.

Pourquoi s’intéresser spécifiquement à l’adaptation des villes ?

D’après les projections de la Banque mondiale, près de sept personnes sur dix vivront en milieu urbain en 20501. Les habitants des villes sont plus vulnérables à la chaleur et ressentent d’autant plus les effets des canicules, notamment en raison du phénomène d’îlot de chaleur urbain (ICU). Le phénomène d’ICU décrit la différence de température – plus prononcée la nuit – entre les centres-villes et les campagnes environnantes. À titre d’exemple, l’écart observé entre la ville de Paris et la périphérie peut atteindre 8°C, faisant de la capitale française la ville européenne la plus exposée en cas de canicule2. La taille de la ville, la densité bâtie, le manque de végétation, les rejets de chaleur du trafic routier et des climatiseurs sont autant de paramètres qui intensifient l’effet d’ICU3. Les canicules représentent également un risque important pour la santé (avec une hausse de la morbidité et de mortalité).

Dans ce chapitre, la Cour des comptes se focalise sur les mesures permettant un rafraîchissement urbain et écarte volontairement les autres risques climatiques pouvant affecter de manière différenciée l’ensemble des territoires.

Renforcer en matière d’adaptation la planification territoriale encore trop embryonnaire

La France revendique une tradition planificatrice accompagnant le développement des territoires, et plus récemment, afin d’orchestrer la transition écologique. La Cour des comptes souligne que les Plans Climat Air Energie Territoriaux (PCAET) supposés représenter la pierre angulaire de la planification de l’adaptation n’ont pas permis d’enclencher une véritable action publique à la hauteur des enjeux4. Elle souligne les insuffisances des diagnostics de vulnérabilité visant à analyser les différents risques auxquels seront confrontés les territoires, liées à une trop faible mobilisation des projections climatiques futures. Aussi, les PCAET se contentent souvent d’un inventaire de mesures potentielles à déployer et souffrent d’un faible caractère opérationnel5. Leur articulation insuffisante avec les plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUi), qui permettent de concrétiser des actions via des prescriptions sur le droit des sols, limite souvent la portée des PCAET6.

La Cour alerte également sur le manque de cohérence subsistant parfois entre les objectifs du Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC), les documents de planification régionaux et locaux et les diverses démarches de contractualisation7. Une véritable planification doit reposer sur un cap fixé par l’État et mis en œuvre dans un cadre réglementaire et financier favorable à l’adaptation au changement climatique. Ces trajectoires devront être déclinées dans le cadre de concertations partenariales, en tenant compte des spécificités locales et en laissant une certaine liberté d’action locale pour atteindre les objectifs8.

La Cour des comptes insiste sur l’impératif de clarifier la gouvernance des différents dispositifs pour en améliorer la coordination et les complémentarités (notamment entre l’échelon communal et intercommunal).

Quand la végétalisation des villes ne suffit plus, ou l’illustration des limites de la segmentation sectorielle pour penser l’adaptation

À l’heure actuelle, les politiques de végétalisation et de renaturation forment les piliers de l’action des collectivités interrogées par la Cour des comptes en matière de rafraîchissement urbain et d’adaptation au changement climatique. Les solutions d’adaptation fondées sur la nature sont fortement plébiscitées, à juste titre, par les collectivités, en raison de leur pouvoir de rafraîchissement et des nombreux co-bénéfices associés (meilleure infiltration des eaux pluviales, stockage carbone, support de biodiversité et amélioration du cadre de vie)9. La végétalisation permet de réguler le climat urbain grâce au phénomène d’évapotranspiration et d’ombrage : à titre d’exemple, un arbre isolé permet de réduire la température de l’air à proximité d’environ 2 à 3 °C10.

Toutefois, la végétalisation ne saurait être l’antidote à tous les maux urbains. Il est impératif de bien veiller à la qualité des plantations, au choix des essences en lien avec les évolutions climatiques et leur consommation en eau, ainsi qu’à leur entretien, pour garantir leur pouvoir rafraîchissant et éviter la mal-adaptation11. Le rafraîchissement urbain est encore trop souvent limité à la végétalisation, alors qu’il est important de « diversifier la palette des solutions », notamment lorsque les plantations ne sont pas possibles en raison de contraintes techniques12. En parallèle, l’adaptation des bâtiments et des logements est encore insuffisamment appréhendée par les collectivités, alors qu’il s’agit d’un levier crucial pour accroître le confort thermique estival. Le développement des réseaux de froid ou de systèmes de refroidissement passif représente une opportunité pour rafraîchir l’intérieur sans recourir à des climatiseurs qui contribuent à renforcer le phénomène d’ICU. Favoriser la ventilation naturelle, adopter des principes bioclimatiques13 ou utiliser des revêtements à albédo élevé14 participent également à garantir l’habitabilité des villes dans le futur. Le Shift Project incite à privilégier les actions dites « sans-regret » qui profitent au maximum d’acteurs et évitent la mal-adaptation. À cet égard, la rénovation énergétique s’illustre par ses nombreux co-bénéfices15 pour les ménages et la lutte contre le changement climatique. Enfin, des « solutions douces » fondées d’une part sur l’ajustement des comportements et des usages, et d’autre part sur les modalités de gestion de la ville ont également fait leurs preuves pour favoriser la résilience des centres urbains en période de canicule16.

Par ailleurs, les politiques de rafraîchissement urbain des collectivités restent embryonnaires car souvent circonscrites à la végétalisation des espaces publics. Elles peinent encore à mobiliser le foncier privé, pourtant essentiel pour adapter la ville à large échelle en créant de véritables infrastructures vertes et des corridors écologiques. Le rapport souligne, avant tout, l’importance de préserver les surfaces arborées existantes et d’engager des plans de renaturation des villes. Les Shifters ne peuvent qu’abonder en ce sens, tout en rappelant en parallèle la nécessaire réduction de l’artificialisation des sols.

Accélérer le financement de l’adaptation des villes tout en renforçant le suivi des dépenses

La Cour alerte sur le faible niveau de dépenses engagées par les collectivités au regard des enjeux d’adaptation. Elle estime à environ 350 millions d’euros par an entre 2025 et 2035 les dépenses nécessaires pour augmenter la part d’espaces arborés dans les villes à un seuil minimum de 10%, sur la base des recommandations de la Commission européenne17. Certes, le think tank IC4CE évalue les dépenses en faveur de l’adaptation des villes à 500 millions d’euros par an, un montant pour l’instant en cohérence avec l’enveloppe du Fonds Vert consacrée à la renaturation. Néanmoins, la Cour souligne la faible mobilisation des fonds existants, dont le Fonds vert18, sans même s’attarder sur les causes et les manques structurels d’ingénierie et d’accompagnement au sein des collectivités qui freinent la constitution des dossiers de financement.

De même, les initiatives visant à créer des budgets verts intégrant l’adaptation sont encore balbutiantes. Les dépenses en faveur de l’adaptation au changement climatique ne sont pas encore suffisamment identifiées dans les programmes financiers. De plus, elles ne sont ni évaluées ni comparées aux coûts de l’inaction. Si la mise en œuvre d’une obligation de programmation financière et d’un suivi des dépenses en matière d’adaptation semble primordiale pour s’assurer de l’efficacité de la dépense publique, il importe surtout de progresser sur l’évaluation de l’impact des actions sur l’adaptation et la résilience du territoire.

Ce qu’en pensent les Shifters

La publication de ce rapport est une bonne nouvelle concernant l’exposition des enjeux d’adaptation, longtemps négligés et pourtant indissociables et complémentaires des politiques d’atténuation. Les recommandations du Shift Project sont en phase avec celles de la Cour des comptes qui exhortent les autorités à prendre les mesures nécessaires, alors que les impacts du changement climatique sont déjà visibles.

S’il est prioritairement du ressort des collectivités d’agir pour l’adaptation des territoires en différenciant les solutions selon les contextes locaux, la résilience territoriale ne peut advenir sans l’aide de l’État. Elle dépend en effet des capacités à mobiliser et coordonner un ensemble de parties prenantes locales engagées dans une logique coopérative (territoires, entreprises, citoyens) et implique des compromis locaux.

Il est toutefois regrettable que le rapport s’arrête uniquement à la question des vagues de chaleur et n’intègre pas les autres risques climatiques pourtant significatifs dans les territoires urbains, à l’instar des inondations. Sur cet enjeu également, la coordination des actions en vue d’une adaptation globale à la pluralité des risques semble primordiale.

1 Développement urbain – Banque Mondiale

2 Record à 42,6°C en température de l’air.

3 Surchauffe urbaine : recueil de méthodes de diagnostic et d’expériences territorialesADEME

4 Pour rappel, toutes les collectivités n’en sont pas dotées, et celles qui les ont adoptés l’ont globalement réalisé hors du calendrier imparti et ne répondent pas à la hauteur des enjeux.

5 Démarche TACCT : Adapter son territoire au changement climatiqueADEME

6 La planification stratégique et territoriale pour l’intégration des solutions d’adaptation fondées sur la nature et la lutte contre l’îlot de chaleur urbain : le cas des PCAET

7 Notamment celles des opérateurs de l’État, bien que ces établissements insistent sur le caractère complémentaire de leur démarche. La piste d’une structuration d’un guichet partenarial unique rassemblant l’offre d’ingénierie des opérateurs de l’État œuvrant dans le domaine de l’adaptation (Ademe, Météo France, Cerema, OFB, Agences de l’eau…) représente une avancée en ce sens.

8 Crises climat : comment transformer nos territoires – The Shift Project

9 Rafraichir les villes, des solutions variéesADEME

10 Planter un arbre – Plus Fraîche Ma Ville

11 D’après le GIEC, la maladaptation est définie comme les mesures susceptibles d’aggraver le risque de conséquences néfastes associées au climat, d’accentuer la vulnérabilité face aux changements climatiques ou de dégrader les conditions de vie actuelle ou futures. Par exemple, la végétalisation doit se penser en accord avec la ressource en eau, au risque d’entraîner des actifs échoués car le stress hydrique annule le potentiel de rafraîchissement. Dossier de Fond Citepa du résumé 6e rapport du Giec

12 Par exemple installer des ombrières lorsque la densité et les réseaux ne permettent pas de planter en pleine-terre.

13 Penser le bâtiment dans son environnement, avec le climat local, l’orientation par rapport au soleil, avoir recours à des matériaux isolants biosourcés, repenser les usages du bâti… Bâtiment et adaptation au changement climatique – Cerema

14 Par exemple, « Cool roof » : peinture blanche sur les toits.

15 Réduction des factures d’énergie, amélioration du confort thermique estival et hivernal, réduction des consommations énergétiques et des émissions de GES

16 Ouverture prolongée des lieux publics frais, adoption de certains gestes face à la chaleur… Rafraîchir les villes, des solutions variéesADEME

17 Le Shift Project dans son rapport sur la résilience des territoires pointe les limites de ces modalités de financement via appels à projets qui s’opèrent souvent au détriment des petites collectivités moins outillées.

18 Fonds européens, Fonds vert, Gemapi, aides des Agences de l’eau…

▲ Sommaire

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