La gazette du carbone

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The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2024 | Semaine 12

Chère lectrice, cher lecteur,

La Gazette du carbone vous emmène dans un long voyage cette semaine en wagon-lits afin de réfléchir aux différentes façons de redynamiser le train de nuit.

En voiture et bonne lecture !

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Questions émissions

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Redynamisation du train de nuit : quel avenir pour les mobilités ?

Portée par Vincent Rolland (LR)

Le 21 novembre 2023, le député républicain Vincent Rolland a interrogé le ministère des Transports au sujet de la « Redynamisation du train de nuit en France »1. M. Rolland, élu dans la deuxième circonscription de Savoie, attire notamment l’attention sur les bénéfices de cette solution pour réduire l’impact du tourisme alpin et contribuer activement à la transition écologique de ce secteur qui reste stratégique en France.

Les évolutions du secteur

Les trains de nuit ont été conçus pour permettre aux voyageurs d’effectuer un long trajet pendant leur sommeil. Les voitures sont aménagées avec des places couchées et aucun ou peu d’arrêts intermédiaires sont effectués.

Le train de nuit est né en France avec la création des lignes à longue distance dans les années 1850 et a été largement utilisé jusqu’aux années 1980, au moment du développement de moyens de transport tels que le TGV ou l’avion. La concurrence de ces alternatives, sensiblement plus rapides, ainsi qu’une baisse des investissements sur les réseaux ferroviaires secondaires ont contribué au déclin du modèle. Le coût est également pointé du doigt : « Chaque billet de train de nuit vendu nécessite plus de 100€ de subventionnement public en moyenne », rappelle Alain Vidalies, secrétaire d’État aux Transports, en 20162.

Cet argument semble toutefois masquer un biais en faveur du transport aérien. En effet, comme le rappelle le président de la fédération nationale des associations d’usagers des transports (FNAUT), « l’État subventionne à la même hauteur les vols intra-muros entre les petits aéroports très déficitaires »3, pour un impact carbone beaucoup plus élevé.

Le résultat a été une baisse de la fréquentation de ces trains, argument souvent utilisé pour accélérer et justifier la suppression de ce moyen. Malgré cela, d’après un rapport de 2018 de l’ARAFER « en 2015, le taux d’occupation des trains de nuit (47%) était près de 10 points au-dessus de la moyenne de l’activité Intercités4« . En 2017, donc, il ne restait plus que deux liaisons exploitées en France : Paris – Briançon et Paris-Rodez (Albi) / Toulouse.

Un réseau de collectifs et d’associations a continué à défendre l’intérêt des trains de nuit, en s’appuyant notamment sur le fait qu’ils représentent une solution essentielle pour les villes moyennes non-desservies par le TGV, ainsi qu’une solution considérablement plus écologique que l’avion.

À partir de 2018, la situation évolue. Élisabeth Borne, alors ministre des Transports, annonce le maintien des deux dernières liaisons et des investissements pour moderniser le matériel roulant5. Cette tendance est renforcée par une déclaration du président de la République en 2020 en faveur de la mobilité ferroviaire : « […] on va redévelopper les trains de nuit, on va redévelopper les petites lignes de train […]6« . L’amélioration de la qualité de service pour les passagers des trains de nuit a été également intégrée dans le plan France Relance, lancé en réponse au Covid-197.

Aujourd’hui, les efforts du gouvernement ont permis l’ouverture de plusieurs lignes de train de nuit : Paris-Nice et Paris-Tarbes-Lourdes en 2021, Paris-Aurillac en 2023, mais surtout Paris-Vienne en 2021 et Paris-Berlin en 2023, en coopération avec quatre exploitants européens, dont la SNCF.

Impact environnemental et social

Le développement des liaisons en train de nuit représente un axe important pour contribuer à la transition du secteur du transport, qui représente 23,2% des émissions de GES8 à l’échelle européenne et 39%9 à l’échelle de la France en 2022.

Comme l’indique le rapport du Shift Project sur les mobilités longues distances10, les Français réalisent 6,3 voyages par an, à destination principalement de la France métropolitaine (86% des voyages). La voiture représente 72% des modes de transport utilisés. En nombre de kilomètres par voyageur, la voiture et l’avion se partagent respectivement 42 et 43% des déplacements longues distances.

Le train est ainsi moins utilisé alors qu’il est le moyen le plus durable pour voyager  : sur une distance de 500 km, le TGV émet 1,5 kg CO2eq, un intercité 4,5 kg CO2eq alors qu’un avion 115 kg CO2eq11. Les trains de nuit, étant particulièrement adaptés pour des trajets de plus de 8 heures, pourraient donc représenter une alternative bien moins carbonée que le transport aérien davantage mis en avant.

De plus, cette solution pourrait également remplacer la voiture dans les mobilités longues distances et, de façon plus générale, pourrait représenter un des leviers à disposition pour favoriser la transition du secteur du tourisme.

Il est possible mentionner comme exemple le tourisme alpin liée au ski : les transports représentent, effectivement, la première cause de pollution lié aux sports d’hiver, estimé entre 52% et 57% des émissions de GES d’une station12. Le développement du réseau des lignes ferroviaires nocturnes vers les Alpes, couplé avec un système de navettes en station pourraient permettre de réduire sensiblement les déplacements en voiture, également source de fréquents pics de pollution en hiver.

Outre la contribution à la décarbonation des secteurs du transport et, indirectement, du tourisme, la création de nouvelles lignes et le fonctionnement du réseau pourrait générer jusqu’à 130 000 emplois13 et permettre à des territoires isolés ou exclus par les axes du transport ferroviaire à grande vitesse de stimuler leur vie économique.

Surmonter les obstacles techniques et systémiques des trains de nuit

Malgré les évidents bénéfices et le rôle important que les trains de nuit peuvent jouer dans la transition, de nombreux freins techniques et systémiques peuvent être identifiés.

Tout d’abord, des investissements importants sont nécessaires pour rénover le matériel roulant, notamment les wagons Corail qui datent des années 1980. Deuxièmement, il serait nécessaire de modifier partiellement l’organisation du trafic, notamment à cause du fait que les trains de nuit constitueraient un obstacle pour les travaux effectués sur les voies, en majorité pendant la nuit.

Pour finir, dans un contexte où l’usage de l’avion pour les trajets longue distance est vu comme un modèle, plus confortable et plus pratique, il est impératif d’intervenir tant au niveau technique que sur le plan des perceptions sociales pour renforcer l’attractivité du train.

L’avis des Shifters

La redynamisation du train de nuit s’inscrit pleinement dans le cadre des recommandations du Shift Project concernant la transition de mobilité. Dans le rapport « Voyager bas carbone » publié en 2022, il est préconisé de privilégier les déplacements en train sur le territoire français et l’État français est exhorté à investir sur cette solution. De façon globale, le développement du transport ferroviaire est un axe porteur du Plan de transformation de l’économie française (PTEF) : « la mise en place du PTEF […], donne une place plus forte au train (multiplication par 3), tout en réduisant celle de l’avion (-35%) et de la voiture (-20%) ».

Afin de réaliser ces objectifs, le Shift Project promeut un ensemble de mesures ayant pour but d’agir sur l’attractivité du train et de le rendre préférable aux autres modes :

  • investir dans un réseau ferroviaire transeuropéen,
  • proposer des offres de train de nuit de différents niveaux, de la version grand luxe au voyage low cost,
  • améliorer l’accès aux grandes lignes dans les territoires,
  • proposer des services permettant un voyage porte à porte aisé,
  • réduire la TVA sur le train,
  • réactiver les tarifs sociaux pour accompagner les personnes à faibles revenus.

En plus de ces leviers centrés sur le train, le PTEF insiste sur le besoin d’agir sur les représentations, notamment par la promotion du tourisme en France, la régulation de la publicité pour favoriser de nouveaux récits sur le voyage, développer les offres touristiques sur le territoire afin de désaisonnaliser les activités et les flux touristiques. Ces travaux d’ampleur nécessitent une planification ainsi qu’un suivi, c’est pourquoi le Shift Project appelle à la mise en place d’une gouvernance carbone du tourisme, à chaque échelon territorial.

En conclusion, le train de nuit émerge comme une solution prometteuse pour répondre aux impératifs de l’accord de Paris tout en offrant une alternative écologique et pratique aux déplacements. De plus, le développement du train de nuit présente des avantages multiples, allant de la diminution de la congestion routière à la revitalisation des régions moins desservies par les transports traditionnels. Il offre également une expérience de voyage unique, permettant aux passagers de profiter pleinement du paysage et de reprendre contact avec une forme de voyage plus contemplative et moins stressante. Il semble ainsi urgent de redynamiser le train de nuit mais il faudra plus que de la bonne volonté : c’est un chantier à planifier qui doit s’inscrire dans une stratégie d’ensemble de transition du secteur des mobilités longues distances et qui implique une réévaluation collective de notre rapport au voyage.

1 Question de Vincent Rolland – Assemblée Nationale

2 Le crépuscule des trains de nuit – Libération

3 Comment les trains de nuit ont été effacés de la carte de France avant un nouveau départ – Franceinfo

4 Bilan du marché ferroviaire des voyageurs 2018 – Autorité de Régulation des Transports

5 Les deux derniers trains de nuit en France seront maintenus et rénovés – Franceinfo

6 Emmanuel Macron veut redévelopper le ferroviaire : les questions en suspens – Le Parisien

7 Transports : Quel bilan pour la relance des trains de nuit ? – L’Humanité

8 Eurostat, cité dans l’article Les émissions de gaz à effet de serre dans l’Union européenne – Toute l’Europe

9 Gaz à effet de serre et polluants atmosphériques. Bilan des émissions en France de 1990 à 2022

10 Voyager bas carbone – The Shift Project

11 Les données comprennent la construction et l’usage et ont été calculées ici : impactco2.fr

12 Réalisation de bilans de gaz à effet de serre et stratégie climatique associéeADEME

13 Relancer les trains de nuit et améliorer l’infrastructure créera des emplois – Blog Mediapart

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