La gazette du carbone

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The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2024 | Semaine 11

Chère lectrice, cher lecteur,

La Gazette du carbone embrasse cette semaine le vent de l’énergie éolienne et s’intéresse à l’impact de la construction en balsa des pales d’éolienne.

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Questions émissions

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Utilisation du balsa pour les pales d'éolienne : quel impact pour la transition énergétique ?

Portée par Jordan Guitton (RN)

Le 3 octobre 2023, M. Jordan Guitton a interpellé Agnès Pannier-Runacher, alors ministre de la transition énergétique sur la composition des pales des éoliennes, et plus particulièrement sur l’utilisation du balsa. La forte hausse de la demande mondiale de ce bois, utilisé en raison de ses propriétés techniques (légèreté et rigidité), dans le contexte de la transition énergétique et de l’essor des parcs éoliens, est en effet à l’origine d’une aggravation de la déforestation en Amazonie. Ainsi, le député a demandé à connaître la part des éoliennes composées de ce bois en France. Cet enjeu souligne la nécessité de développer les énergies renouvelables de manière durable et responsable.

Qu’est-ce que le balsa ?

Le Balsa désigne aussi bien un arbre pouvant mesurer jusqu’à 40 mètres de haut, qui pousse dans les forêts tropicales d’Amérique du Sud et centrale, que son bois. Aujourd’hui, il constitue l’une des causes de la déforestation de l’Amazonie. L’Équateur est en effet le principal exportateur, des sociétés comme Plantabal SA, accaparant à elles seules 75% du marché mondial1. En 2019, l’exportation de balsa en Équateur a rapporté près de 195 millions d’euros, soit 30% de plus qu’en 20152.

Pourquoi utiliser du balsa dans la fabrication d’une éolienne ?

Une éolienne est constituée de quatre parties principales3 : le rotor (partie rotative composée de trois pales), la nacelle, la tour et la base. C’est pour la fabrication des pales que le balsa est utilisé. Ce bois est aujourd’hui souvent employé avec d’autres matériaux composites pour fabriquer des « structures sandwiches » composées de différentes couches de matériaux prises entre deux « peaux » en fibres. Le but d’une telle technologie est d’obtenir des structures rigides et légères ; c’est pourquoi le balsa est employé dans la fabrication de pales d’éoliennes. L’utilisation de balsa a permis de fabriquer des pales beaucoup plus longues, ce qui accroît la production d’électricité.

D’après le National Renewable Energy Laboratory4, il faut 150 mètres cubes de bois pour fabriquer une pale de 100 mètres de long, soit 450 mètres cubes pour une éolienne.

Le marché du Balsa

Depuis 2018, l’offre de balsa est inférieure à la demande. Ce déséquilibre sur le marché a été causé par une hausse de la demande en Europe, aux États-Unis et en Chine1. Les parcs éoliens de la Chine et des États-Unis, qui constituaient alors 60% de la demande, ont en effet tenté d’accélérer la construction de nouvelles installations avant l’échéance des programmes de subventions et de crédits d’impôt (en 2021 en Chine et en 2022 aux États-Unis)5.

Le plus gros consommateur de balsa à l’échelle mondial est Siemens Gamesa6. Par exemple, leur usine éolienne au Havre est le plus gros projet industriel dédié aux énergies renouvelables en France7 ; ils y utilisent notamment du bois de balsa pour la production des pales. L’entreprise a cependant annoncé la production d’ici 2030 d’une pale entièrement recyclable pour les éoliennes en mer8.

L’impact environnemental et social de l’exploitation du balsa en Amazonie

La hausse de la demande de balsa s’est traduite par une flambée des prix et le développement du marché noir. En effet, ce bois est encore peu cultivé et les exploitants s’emparent du balsa qui pousse naturellement sur les berges de l’Amazone. Les « balseros » (exploitants de balsa) illégaux se sont donc multipliés ; or, outre l’exploitation forestière, ils contaminent les sites d’extraction avec des plastiques, du pétrole et des machines, et participent ainsi au déséquilibre des écosystèmes locaux.

Outre l’enjeu écologique majeur, l’exploitation du balsa a également un impact sur les peuples indigènes amazoniens. Cette problématique a été particulièrement mise en avant en 2019 avec l’accélération de la construction d’une route dans la province de Pastaza à l’ouest de l’Équateur, les peuples indigènes implantés considérant qu’il s’agissait d’une infrastructure destinée à la déforestation plutôt qu’au développement et au désenclavement.

Existe-t-il une alternative au balsa ?

Le balsa est utilisé pour ses propriétés techniques : il permet d’obtenir des structures rigides et légères. En raison de son impact environnemental et des pénuries provoquées par une forte hausse de la demande non compensée par une augmentation aussi rapide de l’offre, les pays importateurs cherchent des alternatives à ce bois d’Amazonie. Parmi elles, on peut citer la mousse polymère synthétique9 qui est plus facile à produire que ne l’est l’exploitation du balsa, et qui est également légère et résistante. On peut cependant noter que cette solution n’est pas parfaite puisque la production actuelle de mousse polymère est dérivée d’hydrocarbures… or le but de développer les énergies renouvelables comme l’éolien est justement de se libérer de notre dépendance aux hydrocarbures afin de parvenir à une société zéro carbone !

Les matériaux composant les éoliennes peuvent-ils être recyclés ?

À défaut de trouver un autre matériau pour remplacer le balsa, recycler les éoliennes en fin de vie permettrait de faire baisser la demande de ce bois en privilégiant son réemploi. La durée de vue d’une éolienne est en effet relativement courte (de 15 à 30 ans en moyenne) alors que le parc éolien se développe beaucoup, ce qui nécessite toujours plus de matériaux. Aujourd’hui, 90% de la masse des éoliennes est recyclable, mais le principal défi concerne les pales qui sont constituées de matériaux composites, plus compliqués à recycler que des matériaux séparés. Des solutions de valorisation sont pour l’instant préférées, comme la réutilisation des pales dans d’autres secteurs d’activité (automobile, construction, etc) ou bien leur combustion dans la cimenterie. Siemens Gamesa a par ailleurs lancé sa « RecyclableBlade », pour des éoliennes maritimes recyclables à 100% d’ici 204010, grâce à la séparation des composants et à une fibre de verre11. Les éoliennes maritimes ne représentent cependant à horizon 2030 que 20% du marché mondial de l’éolien ; les éoliennes terrestres étant composées de deux morceaux, elles sont en effet plus difficilement recyclables à cause de la colle utilisée.

La transition énergétique participe-t-elle donc à la déforestation ?

Ce sujet encore méconnu pose réellement question, car cet aspect de la transition énergétique contribue à la déforestation. Produire une énergie décarbonée perd de son sens si cela s’effectue au détriment de l’environnement. Or la demande de balsa a récemment augmenté suite à la création du Pacte Vert pour l’Europe et aux ambitions de Xi Jinping en 2020 d’accroître la capacité énergétique éolienne et solaire de la Chine de 243 GW à 1200 GW d’ici 2030.

Pour protéger la forêt amazonienne, l’industrie exploitant le balsa pourrait, à défaut d’abandonner l’utilisation de ce bois, appliquer des règles strictes pour déterminer l’origine du bois et éviter que la pression sur le marché ne mène à la déforestation. De plus, il serait pertinent d’exiger plus de transparence dans la filière de construction des éoliennes afin de privilégier une meilleure gestion de cette ressource naturelle.

Ce qu’en pensent les Shifters

Si on replace la production d’électricité par l’éolien terrestre dans le mix énergétique de la France, tel qu’il est prévu par le Plan de transformation de l’économie française12 (PTEF) à horizon 2050, elle ne représenterait que 5% (soit la production actuelle) mais pourrait monter jusqu’à 10% selon le reste à arbitrer du mix. La projection choisie dans le PTEF met donc bien plus l’accent sur la décarbonation de l’électricité par le nucléaire qui représente 54% de la production dans ce scénario13. Le nucléaire est en effet la technologie “la plus efficace en termes de consommation de matériaux au niveau du système électrique (plus le système électrique en dispose, moins il est consommateur de matériaux pour un niveau de production donné) ; elle permet de réduire les besoins en vecteurs gazeux pour l’équilibrage du réseau, qui seront en disponibilité limitée ; elle apporte de la stabilité au système électrique, ce qui permet de s’affranchir du risque technologique que pose la faible maturité des technologies permettant le fonctionnement stable d’un système électrique avec 100% ENR.”14

Cependant, cette nuance ne vaut que pour le cas de la France et les besoins mondiaux en matériaux nécessitent une véritable prise en compte de l’impact des installations sur l’environnement à toutes les étapes de leur cycle de vie (les matières utilisées, l’artificialisation des sols, le recyclage…).

Dans tous les cas, cela demande de mettre en place rapidement de grands travaux d’infrastructures électriques (nucléaire et ENR), car plus nous tarderons plus les risques de rupture d’approvisionnement seront grands. La cadence de construction est ainsi très soutenue, comme l’indique le Shift Project : “D’après ses propres estimations, l’industrie électronucléaire française sera au mieux capable de produire une paire de réacteurs de type EPR tous les deux ans à partir de 2035, si leur construction est actée au cours du prochain quinquennat. Mais ces mutations seront loin de suffire : le nucléaire et les barrages hydroélectriques ne répondraient alors qu’à environ 65% de la consommation des secteurs du PTEF en 2050. Il est en outre nécessaire d’accélérer l’installation d’énergies renouvelables électriques (les « EnR », éolien et photovoltaïque essentiellement) sans tomber dans la surconsommation de matériaux et d’espace foncier, et/ou de faire appel à une filière électronucléaire étrangère (ou privée ?). Selon les estimations les plus récentes d’RTE, avec la base de nucléaire que nous avons retenue, un complément par les ENR signifierait environ 10 000 mats d’éoliennes terrestres en plus qu’aujourd’hui, soit 14 000 mats. Si on imagine que les éoliennes se répartissent en parc de 10 éoliennes en moyenne, soit 1400 parcs au total, ce serait environ 2% des communes françaises qui verraient un nouveau parc s’installer chez elles.”14

L’extension du parc éolien français est ainsi nécessaire pour compléter la production nucléaire, mais elle doit faire face à de nombreux défis, il faut construire avec une cadence soutenue tout en minimisant l’impact de cette construction sur l’environnement.

1 « How the wind power boom is driving deforestation in the Amazon » – El País

2 « The Wind-power boom set off a scramble for balsa wood in Ecuador » – The Economist

3 « Quels sont les constituants d’une éolienne » – Connaissances des énergies

4 Materials Used in U.S. Wind Energy Technologies: Quantities and Availability for Two Future ScenariosNREL

5 « Climat. En Équateur, le balsa emporté par la fièvre éolienne » – Courrier International

6 « Vos éoliennes contiennent-elles du balsa d’Amazonie ? » – Sauvons la forêt

7 Siemens Gamesa

8 « Siemens Gamesa annonce d’ici 2030 une pale entièrement recyclable pour l’éolien en mer » – Énergies de la mer

9 « From Balsa Wood to Polymer Foam in Wind Turbine Blades: Material Input Substitutes in Low-Carbon Technologies », United States International Trade Commission, Executive Briefings on Trade, December 2022

10 « Le recyclage des éoliennes en France: mythe ou réalité ? » – Les Échos

11 « Éoliennes : quel avenir pour les pales ? » – Polytechnique insights

12 Climat, crises : le plan de transformation de l’économie française – The Shift Project

13 Ce mix énergétique repose sur le scénario N03 de RTE présenté dans le rapport Futurs énergétiques 2050.

14 L’évaluation énergie-climat du PTEF – The Shift Project

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