La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2024 | Semaine 07

Chère lectrice, cher lecteur,

La Gazette du carbone mérite tout particulièrement son titre cette semaine puisqu’elle vous parle de… charbon. Elle enquête sur les raisons du retard dans l’interdiction de l’utilisation du charbon en France.

Bonne lecture !

Sommaire

Notre sélection de la semaine

Notre sélection de la semaine

Le retard de l'interdiction du recours au charbon en France

Proposition portée par M. Antoine Vermorel-Marques (LR)

Un groupe de députés issus principalement du parti Les Républicains a présenté en octobre 2023 une proposition de loi « visant à proscrire le recours au charbon comme source de production d’énergie électrique ». L’initiative législative suggère de compléter le titre préliminaire du livre Ier du code de l’énergie par un article qui fixerait la fin du recours au charbon comme source d’énergie à compter du 1er avril 2024.

Le sujet des centrales à charbon avait déjà été réglementé à travers la Loi n° 2019-1147 du 8 novembre 20191, dite « Énergie & Climat », qui établissait l’arrêt de la production d’électricité à partir du charbon d’ici 2022.

Cette loi faisait suite aux engagements de Emmanuel Macron lors de la campagne électorale des présidentielles de 2017. Le président de la République avait déclaré « … dans le quinquennat, nous devrons fermer toutes les centrales à charbon qui existent encore dans le pays, avec un accompagnement des personnes et des territoires »2.

Les centrales encore actives sur le territoire français au moment de l’entrée en vigueur de la loi étaient au nombre de quatre : Le Havre (Seine-Maritime), Gardanne (Bouches-du-Rhône), Saint-Avold (Moselle) et Cordemais (Loire-Atlantique). La première aurait été mise à l’arrêt en 2021, la deuxième aurait fait l’objet d’une reconversion à la biomasse début 2022, comme celle de Cordemais, planifiée pour 2026, tandis que la centrale mosellane aurait été fermée en mars 2022.

Cependant, eut égard à la dégradation des relations UE – Russie et aux difficultés du nucléaire français, le gouvernement a jugé le recours au charbon nécessaire à l’autonomie énergétique et est revenu sur cette décision.

À travers le décret 2022-1233 du 14 septembre 20223, il a remanié les seuils d’émissions GES prévus pour les installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles qui dépassent les 0,55 kilotonne CO2eq par mégawatt de puissance électrique installée.

  • Entre janvier 2022 et février 2022, le seuil passe de 0,7 TCO2eq/MW à 1 TCO2eq/MW.
  • Entre mars 2022 et mars 2023, le seuil à ne pas dépasser est fixé à 3,1 TCO2eq/MW.
  • D’avril 2023 à décembre 2023, le seuil est ramené à 0,6 TCO2eq/MW.

Cela autorise le maintien en activité de la centrale de Cordemais et la réouverture du site de Saint-Avold en novembre 2022.

Par le biais du décret n° 2023-817 en date du 23 août 2023, l’exécutif a de nouveau reporté la date butoir pour la fermeture des deux ultimes centrales à charbon, en maintenant le plafond d’émissions admissibles à 1,8 TCO2eq/MW, ce qui autorise la poursuite de leur activité jusqu’à décembre 2024. Par ailleurs, lors de la séance du Conseil de planification écologique tenue le 25 septembre 2023, Emmanuel Macron a déclaré que son objectif principal serait d’abolir l’utilisation des centrales à charbon d’ici le 1er janvier 2027, différant ainsi de cinq ans la cessation prévue de l’exploitation du charbon, comparativement aux engagements initiaux.

Impact climatique, environnemental et sanitaire du charbon

Au début de son exploitation, le charbon était considéré comme une source « écologique » et « d’émancipation », car il permettait de préserver les forêts et d’éviter les aléas de l’énergie hydroélectrique. Dans les faits, il est la source d’énergie la plus émettrice de dioxyde de carbone. En se limitant à la production d’électricité, le charbon rejette en effet 1,06kg CO2eq/kWh, contre 0,73 kg CO2eq/kWh pour le fioul ou encore 0,418 kg CO2eq/kWh pour le gaz naturel.4

L’inefficacité climatique du charbon est évidente dans la situation française : en 2021, les 4 dernières centrales à charbon de France fournissaient seulement 1,18 % de la consommation d’électricité, tout en étant responsables d’environ 10 millions de TCO2, soit près de 30 % des émissions de GES du secteur de la production électrique5.

Le charbon émet également du méthane (CH4) lors de son extraction, réchauffant ainsi l’atmosphère 80 fois plus que le CO2.

Enfin, la combustion du charbon produit d’autres substances polluantes importantes, telles que le dioxyde de soufre (SO₂), les oxydes d’azote (NOₓ), les particules fines (PM), le monoxyde de carbone (CO) et des métaux lourds. Ces substances sont dangereuses pour la santé humaine. Le rapport Europe Dark Cloud estime, par exemple, que les rejets des centrales à charbon actives en UE ont été à l’origine de 22940 morts prématurées, dont 1380 en France6 en 2013.

Le respect de l’Accord de Paris et l’avis du GIEC

L’arrêt de l’exploitation du charbon est donc une mesure essentielle afin de respecter les objectifs de l’Accord de Paris et limiter le réchauffement climatique en dessous de 1,5 ou, au moins, 2 degrés. Les modèles de l’Agence Internationale de l’Énergie indiquent que les pays de l’OCDE devraient éliminer la production énergétique par le charbon d’ici à 2030, et le reste du monde d’ici à 20407.

Le GIEC, dès 2018 avait appelé à une forte réduction de la production d’électricité à partir du charbon en proposant 4 scénarii :

  1. Scénario de diminution de la demande énergétique globale : réduction : 78 % d’ici à 2030, 97 % d’ici à 2050
  2. Scénario axé sur la durabilité avec des modes de consommation durables : réduction de 61% d’ici à 2030, 77% d’ici à 2050
  3. Scénario marqué par une production moins carbonée et une réduction de la demande : réduction de 75 % d’ici à 2030, 73 % d’ici à 2050
  4. Scénario gourmand en ressources et en énergie : réduction de 59% d’ici à 2030, 97% d’ici à 2050

En conclusion, pour les scénarios de dépassement nul ou limité (P1, P2 et P3) de l’Accord de Paris, « l’intervalle interquartile »8 correspond à une réduction de l’utilisation du charbon de 59 % à 78 % en 2030, et à une réduction de 74 % à 95 % en 2050.

Cette décision impacterait également les réserves encore exploitables : environ 80 % des réserves de charbon ne seraient pas brûlées si la trajectoire du réchauffement est limitée à 2°C9.

Les préconisations du Shift Project

De son côté, le Shift Project a exprimé la nécessité de fermer les centrales à charbon et de remplacer cette production électrique en Europe par des énergies renouvelables ou du nucléaire d’ici 205010, afin de respecter l’Accord de Paris. Il s’agit de l’une des 9 propositions préconisées en complément du « Manifeste pour décarboner l’Europe » publié en 2017.

D’après les déclarations plus récentes du Président de la République, l’arrêt des deux centrales françaises en 2027 semble en ligne avec les préconisations du GIEC et du Shift Project dans son Plan de transformation de l’économie française11. Mais, compte tenu du poids négligeable du charbon dans le bouquet énergétique national et du niveau des émissions de CO2 associées, la France aurait intérêt à prendre la décision de fermer et de reconvertir ces centrales plus rapidement. Ce serait un signal pour les autres pays européens, ainsi qu’un signe de l’engagement de la France, qui ne bouleverserait pas pour autant la sécurité énergétique du pays.

1 Loi Énergie-Climat

2 Interview d’Emmanuel Macron pour le WWF, le 9/10/2017

3 Décret modifiant le plafond d’émission de gaz à effet de serre pour les installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles

4 Tous les chiffres sont tirés de la base ADEME.

5 La fermeture des centrales à charbon aura lieu d’ici 2022 – Écologie.gouv.fr

6 Europe’s dark cloud : How coal-burning countries make their neighbours sick

7 Boom and Bust Coal 2023: Tracking the Global Coal Plant Pipeline

8 L’intervalle interquartile correspond à la moitié médiane de l’intervalle interquartile : une distribution normale, de 25 % à 75 % de probabilité.

9 Rapport de synthèse afférent au sixième Rapport d’évaluationIPCC

10 Manifeste pour décarboner l’Europe – The Shift Project

11 L’évaluation énergie-climat du PTEF – The Shift Project

▲ Sommaire

La gazette du carbone résulte du travail des bénévoles de l'association The Shifters, essentiellement réalisé sur la base de l’expertise du Shift Project. Son objectif est d'informer sur les opportunités que présente l'arsenal juridique français pour décarboner notre société.
N’hésitez pas à faire suivre largement le lien d’abonnement de cette publication à tout⋅e personne intéressé⋅e et/ou susceptible d’influencer le débat parlementaire !

Pour réagir au contenu, demander des précisions, proposer des évolutions, contribuer à notre action vers les décideurs, une seule adresse : gazette@theshifters.org !

Vous pouvez également découvrir The Shift Project et devenir membre de l'association.

Se désinscrire de la gazette du carbone