La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2024 | Semaine 02

Chère lectrice, cher lecteur,

Alors que nous passons tous beaucoup de temps devant nos écrans, la Gazette enquête sur l’impact des réglementations en matière d’émissions liées au numérique. Que le thème de ce jour ne vous freine dans votre lecture, que nous vous souhaitons excellente.

Sommaire

Réflexions décarbonées

Réflexions décarbonées

L’impact environnemental du numérique : quels résultats de la réglementation ?

Le secteur numérique, en pleine croissance, a sur l’environnement un impact grandissant : la croissance de ses émissions carbonées est évaluée à + 6% par an en moyenne au niveau mondial (The Shift Project, 2021) et à environ +2 à 4% par an en France par le Haut Conseil pour le climat, le rapport d’information du Sénat et l’étude ADEME-Arcep (ADEME & Arcep, 2023 ; HCC, 2020 ; Sénat, 2020). En réponse aux alertes émises, l’Union européenne et les États membres ont établi un certain nombre de réglementations. Un point d’étape, pour analyser où nous en sommes en France en particulier, est utile en ce début 2024.

La France a légiféré

Les dispositions législatives françaises traduisent une préoccupation réelle de l’État pour la protection environnementale et la limitation de la consommation d’énergie du secteur numérique. Mais si l’orientation et l’ambition sont là, les mises en œuvre et la mobilisation sont encore trop lentes, les résultats trop limités. La principale loi pour le secteur, déjà commentée dans la Gazette, est la loi n° 2021-1485 du 15 novembre 2021 visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France, dite « loi REEN »1.

Cette loi est consacrée à une meilleure maîtrise du numérique et propose cinq grands axes d’action :

  1. Sensibiliser et faire prendre conscience de l’impact environnemental du numérique.
  2. Limiter le renouvellement des appareils numériques.
  3. Favoriser des usages numériques écologiquement vertueux.
  4. Promouvoir des datacenters et des réseaux moins énergivores.
  5. Promouvoir une stratégie numérique responsable dans les territoires.

C’est avant tout une liste de corrections ou compléments à apporter à des lois existantes dans d’autres domaines (éducation, consommation, télécommunications, médias). Les correctifs et additifs comprennent principalement :

  • des exigences d’information des utilisateurs et de formation des étudiants ;
  • des exigences quant à la durée de vie et à la réparabilité des appareils et logiciels, et des recommandations sur le reconditionnement et les moyens de stockage, toutes visant à contenir les besoins de remplacer logiciels et matériels par des versions plus puissantes ;
  • la mise en place d’indicateurs.

Cette loi exprime également de nombreuses attentes de suivi, de préconisations ou de rapports à fournir. Tout d’abord, elle fait reposer ce suivi sur le travail d’un observatoire des impacts environnementaux du numérique, placé auprès de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) ainsi que de l’Autorité de régulation des communications électroniques (ARCEP). Ensuite, la définition d’un référentiel général de l’écoconception des services numériques est confiée à l’ARCEP. On notera également l’importance de plusieurs rapports à fournir par le Gouvernement, sur :

  • les mesures envisageables afin d’améliorer le recyclage, le réemploi et la réutilisation des équipements numériques et sur leur facilité de mise en œuvre ;
  • la rémunération pour copie privée définie et ses éventuels impacts économiques ;
  • sur le développement des cryptomonnaies, sur ses enjeux et sur ses impacts environnementaux ;
  • sur l’impact environnemental de la pratique du jeu à la demande.

Résultats à ce jour

La plupart de ces mesures restent assez générales et ne comprennent aucune sanction en cas de non-respect. Elles sollicitent peu les acteurs importants du marché qui pourtant impactent très significativement les trajectoires par leurs pratiques et leurs modèles d’affaires.

  • L’observatoire des impacts environnementaux du numérique ne montre pour 2022 aucune inflexion vertueuse : le nombre de terminaux, responsables de 79 % de l’empreinte carbone du secteur, continue à augmenter et le zoom sur les téléviseurs fait apparaître d’importantes marges de progrès puisque 45 % sont utilisés moins de 5 ans et que 1 sur 2 est remplacé alors qu’il fonctionne encore.
  • Le référentiel général de l’écoconception des services numériques a fait l’objet d’une consultation publique2 qui s’est terminée le 17 novembre 2023. L’analyse et les conclusions ne sont pas encore connues, mais le projet de référentiel soumis étant long et répétitif, son assimilation et son application risquent en l’état d’être faibles. Par ailleurs, on notera qu’il ne semble pas prendre en compte l’inflation de la taille des logiciels, qu’ils soient d’entreprise ou domestiques. Les éditeurs de logiciels tendent à installer des solutions très volumineuses, même si les clients n’activent que les services auxquels ils souscrivent.
  • Aucun des quatre rapports demandés au Gouvernement n’a encore été fourni.

C’est donc logiquement que le rapport3 sur l’application de la loi donne le 11 octobre 2022 des conclusions mitigées puisque la loi est jugée appliquée à 17% seulement même si « ce texte a incontestablement contribué à placer la sobriété numérique au cœur des politiques publiques » et permis l’émergence d’initiatives gouvernementales pour réduire l’empreinte environnementale du numérique.

Aucune directive de l’UE ne va accélérer la maîtrise nécessaire de l’empreinte du numérique

Technologie, indépendance et sécurité sont au cœur de grandes orientations de l’Union européenne concernant le secteur numérique, le volet énergétique et GES n’étant guère évoqué. L’accélération du numérique est attendu comme contribuant de façon significative au « EU Green Deal » étant ainsi perçue comme une ressource davantage qu’un sujet de préoccupation sur les effets rebond ou l’empreinte du secteur.

Pour preuve, le programme Décennie numérique de l’Europe qui incite à la transformation numérique de l’Europe, avec des cibles et des objectifs à l’horizon 2030, selon quatre axes : le développement des compétences, la poursuite de transformation numérique des entreprises, la durabilité des infrastructures numériques et l’accélération de la numérisation des services publics.

Ce qu’en pensent les Shifters

Si les intentions de la loi REEN nécessitent bien entendu d’être poursuivies, la mise en œuvre de l’éco-conception en particulier, et leurs effets mesurés, sont encore bien insuffisantes. Le numérique est encore vu davantage comme une solution que comme une partie du problème. The Shift Project continue donc à militer pour une approche systémique et par les quantités physiques pour permettre des priorisations et des bouclages intersectoriels. Dans sa note d’analyse de mai 20234, un des premiers leviers proposés par The Shift Project pour accélérer le mouvement est de produire une trajectoire de référence pour le numérique français à inclure dans le Schéma national bas carbone -3 en cours de préparation à Matignon. C’est indispensable pour mobiliser les acteurs sur les transformations à mener. Sans trajectoire de contrainte, la concertation et les leviers de sortie du tendanciel tournent à vide pour le moyen comme le long terme. Par ailleurs, cette trajectoire rendrait possible l’effort de planification sectoriel qu’il faut intégrer dans l’exercice de planification national mené par le Secrétariat général à la Planification écologique (SGPE), car le numérique agit sur tous les secteurs et il est particulièrement important d’aboutir à une vision d’ensemble cohérente des évolutions des infrastructures, des tissus économiques et des usages.

Pour devenir un allié de la transition environnementale, le numérique doit donc s’équiper de mécanismes de pilotage robustes dépassant la simple optimisation et intégrant les dynamiques d’usages, leurs effets rebond et une distinction claire entre les numérisations résilientes et celles qui ne le sont pas. La performance des modèles d’affaires des acteurs dominants du numérique est indexée sur l’augmentation des volumes d’équipements et de flux de données en circulation. Sans règle encadrant leur part dans la consommation générale, ils ne peuvent donc que continuer à favoriser une massification des usages les plus gourmands, en s’appuyant sur des infrastructures de taille croissante.

Enfin, vu l’ampleur de la transformation à accomplir dans le domaine des usages où tous, particuliers comme entreprises, sont concernés, rappelons aussi qu’il semble indispensable de créer un espace de concertation de type conventions citoyennes et entreprises ou autres modalités pour aligner les niveaux d’expertises sur le sujet, et d’organiser un débat national sur la juste place du numérique dans le société française à l’horizon de 2030, afin de favoriser et accélérer la priorisation des usages permettant d’atteindre la sobriété nécessaire.

1 Texte de la loi REEN

2 Référentiel général de l’écoconception des services numériques

3 Rapport sur l’application de la loi REEN

4 Planifier la décarbonation du système numérique, The Shift Project

▲ Sommaire

La gazette du carbone résulte du travail des bénévoles de l'association The Shifters, essentiellement réalisé sur la base de l’expertise du Shift Project. Son objectif est d'informer sur les opportunités que présente l'arsenal juridique français pour décarboner notre société.
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