La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2023 | Semaine 50

Chère lectrice, cher lecteur,

La Gazette du Carbone vous propose un point sur la transposition française de la Directive sur l’éco-contribution sur les poids lourds.

Bonne lecture !

Sommaire

Notre sélection de la semaine

Notre sélection de la semaine

Une nouvelle éco-contribution sur les poids lourds circulant au profit des régions et les départements

Portée par Gouvernement

La directive européenne du 26 juin 2023 a arrêté le principe d’une taxation à la charge des « pollueurs , dans le but de dégager des ressources pour financer la transition du transport routier vers un modèle plus durable. Il s’agit désormais de la transposer en droit français par ordonnance afin de définir le cadre et les modalités de mise en œuvre par les collectivité locales d’une taxe assise sur l’usage par les poids lourds du réseau routier géré par ces collectivités1.

Le contexte européen

Le transport routier de marchandises et de passagers a émis en 2019 en France 127,7 Mt CO2 eq soit 94% du total des émissions de GES du transport et représente le mode de transport le plus émetteur de polluants dans l’air2.

Partant de ce constat, la directive (UE) 2022/3623 propose un ensemble de règles ayant pour finalité de progresser vers la pleine application des principes du «pollueur-payeur» et de l’«utilisateur-payeur», de générer des recettes, d’assurer le financement de futurs investissements dans les transports, et d’harmoniser la taxation des infrastructures routières dans l’ensemble de l’Union. Cette directive a également pour ambition de promouvoir la réduction des émissions de CO2 en incitant à la réalisation d’améliorations techniques apportées aux poids lourds.

Le contexte français

L’article 137 de la loi Climat et résilience4 permet aux collectivités d’instituer, à compter du 1er janvier 2024, des taxes perçues au titre de l’usage par les poids lourds du réseau routier relevant du domaine public national dont la gestion leur a été transférée par l’État à titre expérimental5.

L’objectif est donc de permettre à ces collectivités de financer l’entretien et la transition des infrastructures de transport situées sur leur territoire (autoroutes, routes et portions de voies) dont elles ont désormais la charge. Il s’agit également de permettre une meilleure prise en compte des coûts liés à l’utilisation des infrastructures routières et des externalités négatives de ce mode de transport.

Ainsi, 16 départements et 3 métropoles vont se voir transférer un total de 1360 kilomètres du réseau routier national ; et trois régions – Auvergne-Rhône-Alpes, Grand-Est et Occitanie – se verront confier, à titre expérimental, la responsabilité de gérer 1640 km d’autoroutes et routes nationales.

Le cadre défini par l’ordonnance du 26 juillet 2023

L’ordonnance du 26 juillet 20236 définit les modalités de mise en œuvre de cette taxe par les collectivités volontaires7 , en cohérence avec le cadre européen décrit plus haut. Les régions volontaires ainsi que les départements pourront ainsi mettre en œuvre un dispositif d’éco-contribution visant les poids lourds circulant sur les routes susceptibles de supporter un report significatif de trafic depuis les autoroutes à péage ou depuis les voies soumises à une autre taxe et dont elles assurent la gestion.

À ce jour, seule la région Grand Est a manifesté son intérêt pour instituer cette taxe sur tout ou partie du réseau qui sera mis à sa disposition.

Aperçu des véhicules concernés

Le poids lourd s’entend d’un véhicule de catégorie N utilisé pour réaliser des opérations de transport de marchandises et dont la masse est supérieure à un seuil déterminé par les collectivités, compris entre 3,5 tonnes et 12 tonnes. Les poids lourds sont regroupés en classes de véhicules constituées d’ensembles homogènes dépendant de leurs caractéristiques techniques et environnementales. Cette classification sera déterminée par arrêté conjoint du ministre chargé de l’économie et du ministre chargé de la voirie routière.

Caractéristiques de la taxe

Le montant de la taxe est égal au produit des facteurs suivants :

  • La distance en kilomètres parcourue par le poids lourd sur le réseau concerné
  • La somme du tarif d’infrastructure (i) et des tarifs pour coûts externes (ii), exprimés en euros par kilomètre.

(i) le tarif représentatif des coûts des infrastructures (construction et usage) est modulé en fonction des classes d’émissions de dioxyde de carbone des poids lourds.
(ii) le tarif représentatif des coûts externes comprend a) le tarif de pollution atmosphérique, fonction des classes « Euro » d’émissions de polluants, b) le tarif de pollution sonore du fait de l’usage des routes et, enfin, c) le tarif des émissions de dioxyde de carbone, fonction des classes d’émission de dioxyde de carbone du véhicule.

Ces différents coûts, leur quanta et la méthode selon laquelle ils sont attribués aux poids lourds taxables seront précisés par arrêtés conjoints du ministre chargé de l’économie et du ministre chargé de la voirie routière. Enfin, de nombreuses exonérations sont possibles notamment pour certaines activités économiques comme le transport de matériels de cirques ou de fêtes foraines, certaines activités agricoles et équestres.

Position du Shift Project et des Shifters

  • La complexité du texte et les nombreuses précisions en attente des arrêtés ministériels ne permettent pas d’en évaluer la portée, car le champ d’application et les modes de calcul de la taxe en dépendent. Par exemple qu’est-ce qu’un report significatif de trafic ?
  • De même, il est à ce stade impossible d’évaluer l’impact de l’instauration de cette contribution sur un report modal moins carboné ou plus largement sur la réduction des émissions de GES des véhicules lourds tel qu’ambitionné par la loi Climat et résilience.
  • Un mécanisme de plafonnement des tarifications imposé par le cadre européen pourrait empêcher les collectivités de dégager une marge suffisante, au-delà de l’entretien et de la gestion du réseau, pour financer des investissements de décarbonation de la mobilité sur leur territoire (par exemple, développement de transports collectifs, électrification du réseau, etc.).
  • Une liberté importante est laissée aux collectivités s’agissant de l’institution de la taxe, de la fixation du tarif applicable, de l’introduction d’exonérations ou de tarifs réduits, ce qui risque de rendre aléatoire ou limité l’impact de cette taxe sur la décarbonation du transport routier. Force est de constater à cet égard que, à ce jour, seule une région s’est dite intéressée pour instaurer cette taxe.
  • Enfin, on pourrait préférer en termes d’efficacité la mise en œuvre de contraintes directes (ex. interdiction) plutôt que l’instauration de taxes qui sont censées influer sur les comportements (par exemple interdire la circulation des poids lourds le mercredi, au lieu d’appliquer un surcoût, espérant ainsi réduire le trafic routier).
  • The Shift Project, dans le cadre du PTEF, a publié un rapport sur le fret8. On y trouve notamment des propositions visant à rendre le transport routier plus efficace comme par exemple la maximisation des chargements de camions, la baisse de la vitesse de circulation ou encore l’électrification massive des autoroutes.

1 Site de l’Assemblée Nationale, Projet de loi 1672 ratifiant l’ordonnance n° 2023-661 du 26 juillet 2023 ( portant sur la lutte contre le dérèglement climatique et le renforcement de la résilience – Droit national en vigueur – Codes – Légifrance (legifrance.gouv.fr).

2 Ministère de la transition écologique, Émissions de polluants atmosphériques du transport routier | Chiffres clés transport 2021 (developpement-durable.gouv.fr)

3 Directive (UE) 2022/362 du Parlement européen et du Conseil du 24 février 2022 modifiant les directives 1999/62/CE, 1999/37/CE et (UE) 2019/520 en ce qui concerne la taxation des véhicules pour l’utilisation de certaines infrastructures – Légifrance (legifrance.gouv.fr)

4 Article 137 – LOI n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets – Légifrance (legifrance.gouv.fr)

5 Article 40 – LOI n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale – Légifrance (legifrance.gouv.fr)

6 Légifrance, Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2023-661 du 26 juillet 2023 prise en application des dispositions de l’article 137 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets et de l’article 128 de la loi du 30 décembre 2021 de finances pour 2022 – Légifrance (legifrance.gouv.fr)

7 Régions et départements autres que la Collectivité européenne d’Alsace

8 The Shift Project, “Assurer le fret dans un monde fini” (theshiftproject.org), mars 2022

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