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The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Supplément consacré à l'actualité de l'Union Européenne

Une fois par mois, la Gazette voyage à Bruxelles pour y apporter l'expertise du Shift Project et intégrer cette dernière au débat parlementaire européen.

octobre 2023

Chers lectrices, chers lecteurs,

Les institutions européennes fonctionnent sur un bon rythme et nous livrent des développements importants sur des sujets d’actualité. La Gazette Europe vous fournit ce mois-ci des explications détaillées sur :

  • la réforme du cadre européen du prix de l’électricité
  • le nouveau règlement européen sur les batteries électriques

Bonne lecture !

Sommaire

Batteries en Europe : un règlement prometteur à suivre de près

Règlement du Parlement européen et du Conseil Européen

Le Pacte vert pour l’Europe vise une économie frugale en ressources avec des émissions nettes de gaz à effet de serre nulles d’ici 2050. Le passage des véhicules à l’électromobilité est l’une des conditions préalables affichées à la tenue de cet objectif de neutralité climatique. Compte tenu de l’importance stratégique que revêtent les batteries, ce règlement représente un élément crucial dans le programme législatif de la Commission européenne. Il vise à instaurer des règles concernant la durabilité, la performance, la sécurité, la collecte, le recyclage et la seconde vie des batteries ainsi qu’à définir les informations devant être communiquées sur ces différents points aux utilisateurs finaux et aux opérateurs économiques.

Ce cadre harmonisé doit permettre de traiter de la totalité du cycle de vie des batteries mises sur le marché dans l’Union. Après sa mise sur le marché ou sa mise en service pour la première fois au sein de l’Union, une batterie peut faire l’objet d’un réemploi, parfois après remanufacturage, ou d’une réaffectation.

Vers des batteries plus durables : les impératifs de l’industrie

Ce règlement concerne en particulier les batteries industrielles rechargeables d’une capacité supérieure à 2 kWh, les batteries de véhicules électriques et les batteries dites MTL pour « moyens de transport légers » soit les vélos et scooters électriques. Il impose désormais entre autres :

  • une déclaration relative à l’empreinte carbone pour chaque modèle de batterie d’une unité de fabrication. Elle comportera des informations concernant le fabricant, le modèle de la batterie, la localisation géographique de l’unité de fabrication, l’empreinte carbone de la batterie sur l’ensemble de sa durée de vie utile prévue, et cette même empreinte différenciée selon l’étape du cycle de vie. Cette déclaration devra être effective début 2025 pour les batteries des véhicules électriques en priorité, puis 2026 pour les batteries industrielles et pour les batteries des moyens de transport légers ;
  • une obligation de recyclage pour une partie du contenu des batteries industrielles, des batteries de véhicules électriques et des batteries contenant du cobalt, du plomb, du lithium ou du nickel. Cette obligation sera accompagnée d’une documentation contenant des informations sur la quantité de ces matériaux issue de la valorisation des déchets de fabrication de batteries ou des déchets post-consommation, et sur la quantité de plomb dans la batterie ;
  • des exigences de performance et de durabilité applicables aux batteries portables d’utilisation courante, aux batteries industrielles rechargeables, aux batteries MTL et aux batteries de véhicules électriques.

Afin d’apporter de la transparence en ce qui concerne l’empreinte carbone des batteries et de réorienter le marché de l’Union vers des batteries présentant une empreinte carbone plus faible, quel que soit le lieu où elles sont produites, le règlement prévoit une élévation progressive du niveau d’exigence en matière d’empreinte carbone. Il prévoit également de faire évoluer les seuils minimaux d’emploi de cobalt, lithium, plomb ou nickel issus de la valorisation des déchets au fil du temps pour favoriser l’économie circulaire. Enfin, les niveaux de performance minimale requis seront également accrus pour tenir compte des progrès scientifiques et techniques dans le temps par des actes délégués de la Commission.

Un texte prometteur…

On peut noter, comme le souligne le directeur de « Mobilité en transition »1, que ce règlement prend le sujet des batteries en amont et vise à orienter et sécuriser un développement dans des directions favorables en posant les jalons, contraintes et objectifs de performance anticipés, ce qui constitue une approche innovante.

Le texte est également ambitieux dans son champ d’exigence qui couvre l’ensemble du cycle de vie des batteries. L’intégration d’exigences de durabilité et l’obligation d’incorporer des matériaux recyclés dans des proportions croissantes avec le temps sont également à saluer.

Enfin, dernier point novateur, l’exigence de calculs et d’affichage de l’empreinte carbone des batteries peut constituer un excellent point de départ pour d’autres réglementations (ajustement carbone aux frontières, réglementation sur les véhicules automobiles…). On peut donc dire que le règlement offre désormais un cadre sécurisant pour l’industrie et peut servir de socle pour orienter d’autres politiques comme celle du développement de l’automobile.

… qu’il faudra suivre avec vigilance

Dans le Plan de transformation de l’économie française (PTEF) du Shift Project, la maîtrise de l’empreinte carbone des batteries est l’une des quatre priorités définies pour le secteur de l’automobile2. Deux leviers y sont identifiés : encadrer l’empreinte carbone des batteries des véhicules vendus en Europe et accélérer le calendrier européen sur l’intégration des matériaux recyclés. Le règlement européen relatif aux batteries est donc un pas dans la bonne direction pour atteindre les objectifs du PTEF.

Ce texte encourage l’innovation et le développement des batteries en Europe, ce qui peut signifier une amélioration de leur efficacité. Cependant, cette approche est critiquable car elle peut entrer en contradiction avec la nécessité de promouvoir une utilisation plus sobre. En effet, le gain d’efficacité entraîne souvent une augmentation des usages par effet rebond, annulant ainsi les économies d’énergies. C’est l’une des raisons pour lesquelles il est essentiel d’exercer une vigilance constante sur les actes délégués par le texte à la Commission européenne, afin de garantir une évaluation précise de l’empreinte carbone des batteries sur l’ensemble de leur durée de vie.

En effet, si l’article 7 prévoit que la déclaration de l’empreinte carbone de la batterie soit calculée en « kg équivalents dioxyde de carbone par kWh d’énergie totale fournie par la batterie pendant sa durée de vie utile prévue », c’est un acte délégué3 prévu à l’article 89, qui complétera le règlement en définissant la méthode de calcul et de vérification de l’empreinte carbone de la batterie. Or cela se fait sur la base d’avis d’experts désignés par chaque État membre. Rappelons que Renault, son partenaire Verkor, un fabricant de batteries haute performance, trois ONG (l’allemande DUH ainsi que deux européennes ECOS et Transport et Environnement) et deux think tanks (l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI) et The Shift Project) ont mis en garde sur le potentiel manque de cohérence entre la volonté initiale de l’UE qui se voulait vertueuse, et les actes délégués à venir si la formule choisie intègre un facteur d’efficience favorable aux gros véhicules.

Il est donc essentiel de surveiller attentivement ces actes délégués afin de contester tout calcul qui pourrait être contre-productif par rapport à la nécessité de promouvoir la sobriété, une exigence incontournable pour ce texte. De plus, au-delà de ce règlement sur les batteries, il est également crucial de mettre en place des incitations réglementaires et fiscales visant à orienter le secteur automobile vers davantage de sobriété.

C’est pourquoi le Shift Project met en avant, dans son rapport sur l’industrie automobile4, un ensemble de mesures visant à l’allègement des véhicules neufs afin d’atteindre une réduction de poids de 300 kg hors batterie ou à motorisation identique en 2035 :

  • limiter à 50 kWh la taille maximale de batterie pour les véhicules particuliers ;
  • supprimer la modulation par la masse du calcul des objectifs CO2 des constructeurs automobile en Europe ;
  • mettre en place un système de bonus sur la masse pour l’achat des véhicules neufs ;
  • revoir le seuil de déclenchement du malus sur la masse ;
  • rendre obligatoire l’affichage de l’empreinte carbone de fabrication des véhicules neuf ;
  • supprimer l’incitation fiscale et sociale pour les véhicules de fonction lourds et puissants.

À ces mesures s’ajoutent des préconisations de sobriété afin de contrer les potentiels effets rebonds :

  • l’amélioration des taux de remplissage des véhicules (covoiturage) ;
  • le report modal de la voiture vers des modes moins carbonés (transports en commun, vélo, vélo à assistance électrique, train…) ;
  • le développement et l’industrialisation des modes de transport alternatifs (vélos, vélos électriques, micro-voitures…).

Pour en savoir plus sur les batteries et la dépendance européenne sur l’ensemble de la chaîne de valeur voir le Rapport #6 de décembre 2020 de l’OSFME (Observatoire de la sécurité des flux et des matières énergétiques).

1 Jean-Philippe Hermine, « Le règlement européen sur les batteries : une avancée exemplaire à plus d’un titre »

2 The Shift Project, Climat, crises. Le plan de transformation de l’économie française

3 Un acte délégué est un acte non législatif adopté par la Commission pour compléter ou modifier certains éléments non essentiels d’un acte législatif. Cela permet à la Commission de réagir de manière rapide et flexible, par exemple aux exigences réglementaires, en utilisant ses connaissances techniques et en consultant des experts.

4 The Shift Project, « La transition bas carbone : une opportunité pour l’industrie automobile française ? »

▲ Sommaire

Fumée blanche pour la réforme du marché européen de l’électricité

Règlement du Parlement européen et du Conseil Européen

Contexte – une réforme nécessaire pour un marché en quête de résilience

La récente volatilité des prix de l’énergie et son impact sur l’économie, en particulier depuis le début de la guerre en Ukraine, a mis en lumière la nécessité d’une réforme du marché de l’électricité en Europe. Ces événements ont révélé la fragilité du système actuel, de l’approvisionnement électrique européen, ce qui ne facilite pas la transition vers des sources d’énergie plus propres. La situation a également montré la dépendance excessive de l’Europe vis-à-vis des sources d’énergie fossile (notamment vis-à-vis du gaz russe). Afin de renforcer la résilience du système énergétique, la Commission Européenne a été invitée à présenter une réforme structurelle du marché de l’électricité poursuivant un triple objectif :

  1. protéger les consommateurs et l’industrie de la volatilité à court terme des prix de l’énergie,
  2. renforcer la prévisibilité des coûts de l’énergie,
  3. stimuler les investissements dans les énergies renouvelables.

Organisation actuelle du marché : le prix de l’électricité aligné à tout moment sur le mode de production le plus coûteux

Le marché de gros de l’UE est un système de tarification marginale où tous les producteurs d’électricité obtiennent le même prix pour l’électricité qu’ils vendent à un moment donné. Les producteurs remettent une offre sur le marché en fonction de leur coût de production. L’électricité la moins chère est d’abord achetée puis les offres de plus en plus coûteuses jusqu’à ce que toute la demande soit satisfaite. C’est alors que chaque acheteur doit payer le prix du dernier producteur auprès duquel l’électricité a été achetée. Généralement, le gaz est la source d’énergie la plus chère, et donc le coût de l’énergie électrique s’aligne sur ce dernier marché dont l’UE dépend encore substantiellement. Ce mécanisme occasionne donc une volatilité des prix , et de forts profits pour les producteurs d’électricité non gaziers lorsque le prix du gaz s’envole.

Historique de la réforme

Proposition d’une réforme par la Commission Européenne (Mars 2023)

Une première proposition de réforme du marché de l’électricité a été présentée par la Commission Européenne en mars 2023, avec les éléments clés suivants.

Protection des consommateurs
  • Mise en place de contrats d’énergie à prix fixe et/ou dynamique pour les consommateurs assurant une prévisibilité des coûts de l’électricité. Ces contrats permettent à chaque consommateur d’optimiser sa facture d’électricité en fonction de son profil de risque et de consommation. Le propriétaire d’une voiture électrique peut par exemple utiliser les variations de prix dans la journée pour recharger sa batterie.
  • Promotion de contrats d’achats à long terme entre fournisseurs et producteurs pour réguler le marché.
  • Désignation d’un fournisseur de « dernier recours », contraint de fournir l’électricité aux clients rejetés par les autres fournisseurs (à l’instar de la réglementation en vigueur dans l’assurance automobile ou les comptes bancaires).
  • Accès à des prix de détail réglementés pour les PMEs et consommateurs en cas de crise.,
  • Possibilité de partager l’énergie sans créer de communautés d’énergie (par ex. : partager la production excédentaire de ses panneaux solaires avec son voisin ).
Renforcement de la stabilité et de la prévisibilité des coûts d’énergie
  • Généralisation des accords d’achat d’électricité, permettant à un consommateur de conclure un contrat d’achat à long terme avec un producteur.,
  • Création de contrats « d’écart compensatoire bidirectionnel », c’est-à-dire qui fixent un prix minimum (et maximum) d’électricité aux producteurs d’énergie renouvelable. Il s’agit d’offrir à un investisseur d’énergie renouvelable une perspective de long terme de cession de sa production et donc de retour sur investissement, et ce en fixant un prix minimum et maximum d’achat de l’énergie. Si le prix de marché de l’électricité descend en dessous du minimum, l’État paie la différence au producteur ; si en revanche les prix dépassent le maximum, le producteur rembourse la différence à l’État.
  • Développement des contrats à terme fixant les futurs prix de l’électricité.
Stimulation des investissements dans les énergies renouvelables
  • Acceptabilité de nouveaux régimes d’aide par les États pour les solutions de flexibilité des énergies non fossiles, telles que le stockage ou la « participation active » à la gestion de la demande par exemple en incitant y compris financièrement les gros industriels à réduire leur consommation pendant les heures de pointe.
  • Renforcement de la transparence des gestionnaires de réseau quant à la capacité de raccordement disponible ;
  • Création d’un « marché de capacité » c’est-à-dire garantissant la disponibilité d’une puissance électrique adéquate en cas de pics de demande, en payant pour le maintien de capacité de production pour être en mesure d’assurer une production de dernier recours, par exemple une centrale à charbon qui ne fonctionnerait pas la majorité du temps mais peut être activée pour faire face à un pic de demande.
Accord sur la réforme proposée par la Commission (Octobre 2023)12

La proposition de la Commission Européenne n’a pas répondu aux attentes de tous les pays, les principaux désaccords se focalisant sur les points suivants.

  • La possibilité de rendre le nucléaire éligible aux contrats d’achats bidirectionnels déplaisait à l’Allemagne au motif qu’elle pourrait fausser la concurrence à cause de subsides implicites de la France à son industrie.
  • La possibilité d’utiliser le charbon comme source de “capacité”. Des pays comme la Pologne dépendent en effet à 70% du charbon pour assurer leurs besoins en énergie.

Après des mois de négociation, un accord a été atteint en octobre 2023, l’Allemagne et la France ayant trouvé un terrain d’entente sur les contrats d’achats bidirectionnels. L’orientation générale du Conseil de l’Europe dispose que le nucléaire existant est éligible à ces contrats à l’inverse des nouveaux investissements. La Commission Européenne encadrera l’établissement de ces contrats afin d’éviter une éventuelle distorsion de concurrence.

Concernant le charbon, en revanche, l’orientation générale retire la limite d’émissions de CO2 en tant que critère d’éligibilité pour les sources de “capacité”, et accepte de facto le charbon éligible comme mécanisme de capacité, une régression fort dommageable.

Prochaines étapes : les trilogues

Afin de conclure la réforme du marché, des négociations tripartites (entre le Parlement, le Conseil et la Commission) auront lieu dans les prochains mois, le but affiché étant de conclure la réforme d’ici la fin de l’année 2023.

Ce qu’en pensent les Shifters

La réforme du marché de l’électricité est la bienvenue. Il devenait évident que la structuration actuelle du marché ne pouvait plus répondre aux besoins de l’Union Européenne dans un contexte géopolitique plus incertain. Les éléments clés de la réforme touchent à des points essentiels de la transition énergétique en ligne avec le rapport Énergie du Shift Project :

  • La transparence sur la capacité d’intégration de nouvelles sources d’énergies renouvelables du réseau actuel permettra notamment de prendre conscience du besoin accru en investissement dans la transmission et la distribution.
  • La reconnaissance du nucléaire comme source d’énergie bas carbone est indispensable à la transition.
  • La promotion des interconnexions et le renforcement de la coopération interrégionale.

Dans la même perspective , on peut souligner que les contrats d’achats bidirectionnels constituent une innovation bienvenue, favorable à la stabilité des prix de l’énergie. Ils fourniront également une perspective de rendement de long terme à de nouveaux investissements, ce qui contribuera à accélérer le déploiement du renouvelable et à atteindre les objectifs ambitieux de l’Union Européenne. Il faudra cependant veiller à ce que les contrats d’achats bidirectionnels n’introduisent pas une déformation de la concurrence et un prix artificiellement bas de l’énergie qui rendrait la sobriété énergétique, pilier indispensable de la transition, plus difficile à atteindre. La stabilité des prix de l’énergie recherchée s’apprécie à court terme et ne doit pas être confondue avec un renchérissement tendanciel indispensable de l’énergie à moyen long terme.

Enfin, on ne peut à l’évidence que regretter que la limite d’émissions de CO2 pour les sources de “capacité” ait été retirée du texte final : ce compromis fait à la Pologne – sans doute indispensable pour parvenir à un accord – comporte un message des plus inopportuns. Il doit inciter à réfléchir aux moyens de davantage sensibiliser nos partenaires commerciaux et leurs opinions publiques aux conséquences du réchauffement climatique.

1 Euractiv, “Breakthrough as EU countries agree position on electricity market reform”, Kira Taylor on October 18, 2023

2 Euractiv, “EU countries fail to agree position on electricity market reform”, Kira Taylor on June 20, 2023

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