La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2023 | Semaine 26

Sommaire

Questions émissions

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en partenariat avec Logo Dixit

Le nucléaire dans la taxonomie verte européenne

Portée par

Le 30 mars 2023, M. Daniel Gremillet (sénateur Les Républicains – Vosges) s’inquiétait1 auprès du ministre de l’Industrie des négociations européennes sur la taxonomie verte, défavorables envers les activités de production électrique nucléaire. Cette production n’a été acceptée qu’au prix de conditions drastiques, à l’exclusion des autorisations délivrées après 2040-2045, des activités de maintenance et du cycle. Il regrettait également que la directive EnR III et le règlement Industrie à zéro émission l’excluent également aujourd’hui.

Pourquoi la taxonomie verte est-elle très importante pour l’avenir énergétique des pays européens ?

La taxonomie verte européenne2 désigne la classification des activités économiques ayant un impact favorable sur l’environnement. Son objectif est d’orienter les investissements vers les activités « vertes ». Selon cette taxonomie, une activité est classée comme durable si elle correspond à au moins l’un des six objectifs suivants :

  • atténuation du changement climatique ;
  • adaptation au changement climatique ;
  • utilisation durable et protection des ressources aquatiques et marines ;
  • transition vers une économie circulaire ;
  • contrôle de la pollution ;
  • protection et restauration de la biodiversité et des écosystèmes.

Le Pacte vert européen (ou Green Deal) prévoit près de 1000 milliards d’euros pour construire un environnement économique propice à la transition énergétique européenne, qui doit répondre aux critères de la taxonomie.

La taxonomie devrait être plus réaliste face aux besoins d’investissement d’une indispensable filière nucléaire.

Il est important de rappeler que l’article 194 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE)3 stipule que l’énergie est une responsabilité partagée entre l’Union européenne (UE) et ses États membres. Certes, chaque État membre a le droit de déterminer les conditions d’exploitation de ses propres ressources énergétiques, de choisir entre les différentes sources d’énergie et de décider de la structure générale de son approvisionnement énergétique. Toutefois, l’UE a la responsabilité du maintien du marché électrique ainsi que de l’interconnexion des systèmes électriques entre les pays. Cela veut dire que chaque pays est libre du type de production qu’il souhaite développer, l’UE pour sa part gérant les connexions des pays européens pour l’import ou export d’électricité ainsi que son marché associé.

Il reste que, pour atteindre les objectifs climatiques de l’UE à l’horizon 2030, les besoins en décarbonation sont estimés entre 175 et 290 milliards d’euros par an4 . L’Union européenne doit promouvoir les énergies bas carbone, à travers des politiques de gestion d’investissement (taxonomie verte) ou des normes environnementales indispensables.

Que ce soit à l’échelle européenne ou à l’échelle française, The Shift Project5 propose d’impulser très vite les nécessaires grands travaux électriques, y compris nucléaires, car notre système électrique doit devenir l’infrastructure énergétique majeure d’une Europe décarbonée.

À cet égard, les Shifters prennent la question sous un autre angle : préparer le déclin des combustibles fossiles, correspondant à un tiers de notre production électrique européenne. Certains pays, dont la dépendance au charbon et au gaz naturel provoque des émissions de GES importantes, doivent trouver les investissements propices afin d’impulser ce nouveau système électrique. Y compris la Pologne très grande consommatrice de charbon mais qui prévoit enfin une première ouverture de centrale nucléaire… vers 2033.

La France elle-même doit faire preuve d’exemplarité à travers une relance du nucléaire et une accélération des énergies renouvelables.

Outre la nécessaire décarbonation de notre production d’électricité, la relance du nucléaire au moins à équivalence des ENR constitue un atout pour la réindustrialisation de l’Europe, au travers par exemple d’une plus forte industrie lourde post-carbone, d’un d’agrandissement du parc ferroviaire… Le timing serré demande l’utilisation de multiples sources d’électricité décarbonées. Comme le montre le PTEF dans ses prévisions pour la France : “le nucléaire et l’hydroélectrique ne répondrait qu’à alors qu’à environ 65% de la consommation des secteurs du PTEF en 2050”6 .

1 Position de la Commission européenne sur le nucléaire

2 Neutralité carbone : la nouvelle taxonomie verte européenne

3 Politique énergétique de l’Union Européenne

4 La valeur de l’action pour le climat – Rapport de France Stratégie

5 PTEF p .54

6 The Shift Project – Climat, crises : le plan de transformation de l’économie française

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Le stockage d’énergie, l’autre face des énergies renouvelables non pilotables

Portée par Mme Sylvie Ferrer (La France insoumise – Nouvelle union populaire écologique et sociale – Hautes-Pyrénées)

Mme Sylvie Ferrer a attiré l’attention de la ministre de la Transition énergétique sur la lenteur du développement des capacités de stockage de l’énergie produite par les éoliennes maritimes (offshore en anglais), tout en dénonçant le nucléaire non viable. La programmation pluriannuelle des investissements prévoyait initialement 2 GWh supplémentaires de stockage d’énergie par station de transfert d’énergie par pompage (ou « STEP », cf infra) pour 2015, qui ne se sont pas concrétisés. Cette lenteur de développement serait due selon Mme Ferrer à des considérations de RTE, la société de transport d’électricité détenue à 50,1% par EDF, quant au manque de rentabilité de ces investissements.

Les énergies renouvelables non pilotables requièrent des capacités de stockage

Pour rappel, la France s’est donné pour objectif d’atteindre 40% d’énergies renouvelables (ENR) dans sa production d’électricité d’ici 2030, dont pour l’éolien maritime une puissance de 2,4 GW en 2023 et 5 GW en 20281. Or, en 2021, la quantité d’énergie produite par l’éolien maritime était proche de zéro, le premier parc d’éolien maritime étant mis en service en 2022 pour un total de 420 MW environ. La problématique du stockage de l’énergie produite par les parcs maritimes est donc relativement récente.

Comme beaucoup d’énergies renouvelables, l’éolien est une énergie intermittente : rien n’est produit quand le vent ne souffle pas, quelle que soit la demande. Il est donc important – pour la rentabilité du projet comme pour maximiser la production d’électricité décarbonée – soit de stocker l’énergie pour une utilisation ultérieure par exemple à l’aide de batteries, soit de l’associer au moment de la production à une demande, ce qui constitue une autre forme de stockage (par exemple : production d’hydrogène par électrolyse).

La question du stockage est également à replacer dans le contexte de la récente promulgation de la loi d’accélération des énergies renouvelables qui inclut, notamment, des facilitations pour le développement de l’éolien maritime.

Plusieurs façons de stocker l’énergie, avec chacune des avantages et défauts

D’un point de vue économique et de gestion du réseau, la problématique du stockage peut s’analyser autour de trois enjeux principaux :

  1. Décentralisation (proche de la source) versus centralisation.
  2. Coût de construction et de fonctionnement, tenant compte des pertes durant le cycle stockage-déstockage. Ainsi, le cycle production d’hydrogène par électrolyse de l’eau puis production d’électricité par pile à hydrogène aurait à ce jour un rendement plutôt décevant de l’ordre de 25-30%2.
  3. Horizon temporel du stockage : très court, court ou long termes.

Pour un stockage décentralisé, les équipements se situent au plus proche de la source de génération d’énergie, ce qui présente l’avantage majeur d’éviter un coût important de transport et d’investissement dans le réseau de transmission/transport. Il faut par exemple dimensionner le réseau électrique pour acheminer la production éolienne et photovoltaïque d’une journée à la fois très venteuse et ensoleillée, alors que ce scénario demeure malheureusement peu fréquent. Or il faut bien constater qu’il n’est pas facile d’installer une quelconque technologie de stockage au large, en pleine mer…

Il existe plusieurs technologies de stockage d’énergie qui diffèrent en fonction des critères énoncés ci-dessus:

  1. Stations de transfert d’énergie par pompage, terrestres ou marines (STEP) : l’énergie est utilisée pour pomper l’eau vers un réservoir placé en hauteur. En période de plus forte demande d’énergie, l’eau est relâchée du réservoir supérieur et actionne une turbine générant de l’électricité. Adaptée au stockage de court terme comme de long terme, cette technologie représente 99%3 du stockage d’énergie en France.
  1. Batteries électriques : l’énergie est stockée sous sa forme électrique dans des batteries. Cette technologie correspond à une durée de stockage de très court terme à court terme
  1. Systèmes à air comprimé : l’énergie est utilisée pour comprimer de l’air qui, le moment venu, actionne une turbine à gaz qui génère de l’électricité en tournant.

Il existe plusieurs autres technologies en fonctionnement ou en cours de développement (supercondensateurs, pompage sous-marin, stockage mécanique…), chacune ayant un avantage spécifique et un type d’application préférentiel. Il est probable que le stockage d’énergies renouvelables consistera en une combinaison des différentes technologies. Il n’en reste pas moins que, inéluctablement, la même puissance de production requiert en énergies renouvelables des investissements en capacité de production (avec un taux d’utilisation sensiblement inférieur à 100 %) et en capacité de stockage très supérieurs à ce qui est nécessaire en matière de nucléaire.

Ce qu’en pensent les Shifters : mettre les bouchées doubles, mais plutôt sur le nucléaire4

Le Plan de transformation de l’économie française (PTEF) du Shift Project retient l’hypothèse, entre 2022 et 2050, d’une augmentation d’environ 86 GW de la capacité de production d’énergies renouvelables (dont 18 GW d’éolien maritime), en complément d’une production nucléaire maximisée. Dans ce scénario, moins ambitieux en matière d’ENR que le scénario “de base” (N03) de RTE, un recours massif au stockage n’est pas nécessaire.

Au cas où un développement accéléré des ENR serait retenu, le PTEF préconise plutôt le développement d’interconnexions avec les pays voisins et un pilotage de machines et équipements connectés au réseau plutôt qu’un recours massif au stockage d’énergie, le raisonnement de diversification ayant toutefois ses limites (toute l’Europe peut être victime d’un faible ensoleillement ou d’une absence de vents au même moment).

Il n’en reste pas moins que les capacités de stockage françaises restent trop limitées. Une étude réalisée pour le système énergétique allemand, plus avancé en matière d’ENR, permet de définir quelques ordres de grandeur pour la France : 16 TWh de stockage pour accompagner la création d’une capacité d’ENR de 86 GW5, soit 7,7 jours de production. À l’heure actuelle, la France dispose d’environ 5 GWh de stockage (technologie STEP principalement) et planifie un total de 10 GWh d’ici 2035 : le chemin reste donc encore long en France.

1 “Énergies renouvelables”, les chiffres clés de 2022

2 Rendement de la chaîne hydrogène

3 RTE, Bilan électrique 2020

4 The Shift Project, L’évaluation énergie-climat du PTEF , Février 2022

5 Oliver Ruhnau and Staffan Qvist 2022 Environ. Res. Lett. 17 044018. Il est à noter que les hypothèses prises incluent notamment une production basée sur 100% de renouvelable. Or, dans le PTEF, le nucléaire, l’hydro et les centrales à flamme restent présentes pour apporter une certaine stabilité et capacité d’ajustement, réduisant très certainement le besoin en stockage.

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