La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2023 | Semaine 12

Cette semaine, deux sujets analysés par les supers Shifters de la Gazette du carbone :

  • les Zones à faibles émissions (ZFE) mais à forte résonance dans le débat public ;
  • la question de l’approvisionnement en eau potable en cas de coupures d’électricité.

Bonne lecture !

Sommaire

Notre sélection de la semaine

Questions émissions

Notre sélection de la semaine

Zones à Faibles Emissions (ZFE)

Proposition portée par Pierre MEURIN, Marine LE PEN et 53 députés (Rassemblement National) - Rejetée par l'AN le 12 janvier 2023

En juillet 2020, L’État français a été condamné par le Conseil d’État à payer 10 millions d’euros à des associations à visée environnementale. Est mise en cause son inaction alors que la qualité de l’air dans plusieurs métropoles se dégrade, caractérisée notamment par des concentrations de polluants qui dépassent les valeurs limites des directives européennes. La responsabilité des administrations publiques dans le maintien d’un cadre de vie propice à la santé humaine est au cœur des débats autour des Zones à Faibles Émissions (ZFE).

Créée par la loi d’orientation des mobilités en 2019, puis renforcée par la loi climat et résilience en 2021, les ZFE sont des zones géographiques dans lesquelles les véhicules polluants sont progressivement limités ou interdits afin d’améliorer la qualité de l’air des territoires denses. Ainsi, les agglomérations de plus de 150 000 habitants ont l’obligation de délimiter des zones dans lesquelles les véhicules définis par une étiquette Crit’air 5 (véhicules les plus polluants), 4 et 3 et même parfois 2 vont progressivement être interdits. Cependant le contexte inflationniste, les difficultés de dialogue social et les craintes d’une inégalité sociale et territoriale renforcée entraînent une forte critique du dispositif.

Des députés RN et affiliés ont en conséquence déposé une proposition de loi visant à supprimer les ZFE le 20 septembre 20221. Elle a depuis été rejetée par l’Assemblée nationale en janvier 2023 mais il est intéressant de revenir sur les causes qui ont motivé ce rétropédalage.

Qu’en est-il réellement de la mise en œuvre de ces dispositifs ? Quels sont leurs effets ? Est-il nécessaire de les supprimer 4 ans après leur inscription dans la loi ?

Dix métropoles ont déjà installé des ZFE sur leur territoire. L’ADEME estime que ces zones permettraient la réduction des concentrations de NOx et de particules fines jusqu’à 12% pour les particules PM102 et 15% pour les PM2.53 . Les effets sont moins spectaculaires sur les NOx et/ou NO2 mais la toxicité plus importante des PM2 entraîne un gain significatif des ZFE en matière de santé grâce à la diminution de leur concentration. Plus largement, les résultats des différentes métropoles en Europe sont encourageants avec des effets significatifs sur la qualité de l’air4.

Dans l’ensemble, les ZFE sont des outils opérationnels pour rendre efficientes les planifications environnementales inscrites par exemple dans les Plans climat air énergie ou pour accompagner la politique globale de mobilité définie au sein des Plans de déplacement urbain. Elles sont des leviers pour diminuer la congestion urbaine et faire évoluer les parts modales, à condition que leur mise en œuvre s’accompagne de la promotion d’une ville plus saine faisant place aux autres mobilités, comme le souligne le rapport sur les mobilités quotidiennes du Shift Project. Les ZFE peuvent également être l’occasion de renouveler le dialogue et la coordination des acteurs privés et publics notamment dans le secteur de la logistique.

Pour autant, les reproches des députés exprimés dans cette proposition de loi reprennent pour une part les inquiétudes des représentants des collectivités face aux ZFE5 et sont l’occasion pour l’État et les administrations locales de proposer des leviers d’amélioration des dispositifs d’accompagnement à leur mise en place6.

Sujet concentrant les tensions, les aides au passage à l’électrique ou à des véhicules à faibles émissions sont aujourd’hui l’accompagnement principal proposé par l’État. Elles sont cependant souvent considérées insuffisantes pour les ménages les plus pauvres qui sont également les premiers concernés par les ZFE. Une plus grande progressivité des aides ou un accompagnement complémentaire local, sur le modèle des aides de l’Eurométropole de Strasbourg destinés aux ménages en difficulté, peuvent permettre de diminuer les inégalités sociales face aux ZFE. L’administration pourrait même aller plus loin et informer en amont les ménages de leur éligibilité aux aides en reprenant les concepts de l’administration proactive7 .

Ensuite les habitants doivent en effet pouvoir anticiper l’évolution de la réglementation pour adapter, en cas de besoin, soit leurs usages soit leurs véhicules. Pour cela, différents médias peuvent améliorer la transparence de l’action publique (site internet, conférence, dispositifs de concertation…) et ainsi accompagner chaque phase de limitation des véhicules (d’abord Crit’Air 5, puis 4, etc.). L’information doit être diffusée de façon importante et anticipée afin de permettre un temps d’adaptation pour les ménages qui soit suffisant dans un contexte économique tendu.

Plus fondamentalement enfin, d’autres leviers d’organisation de l’activité doivent être explorés : mieux répartir l’activité professionnelle en envisageant de la reporter sur les villes moyennes (ville du quart d’heure), un urbanisme de proximité qui évacue le besoin physique de la voiture (en rapprochant l’activité) et psychologique (en revoyant notre vision de la mobilité).

Pour conclure, les ZFE conservent leur pertinence devant les impératifs sanitaires et environnementaux mais demandent une mise en œuvre progressive, informée et fondée sur un diagnostic complet et ambitieux du territoire (intégration ou non des véhicules professionnels, de marchandises, délimitation d’une zone suffisante pour rendre le dispositif efficace) comme le souligne un rapport du Shift Project. Une telle approche constitue un levier de réflexion sur le développement des autres mobilités et le financement des autres modes de déplacement (RER métropolitain, vélo…). En 2023, la réforme des institutions va relancer la réflexion sur le rôle des Autorités organisatrice de la mobilité (AOM). Celles-ci demandent en effet à avoir la main pour une action complète sur la mobilité et notamment sur la mise en place des sites propres accessibles aux covoitureurs, la réservation des voies autoroutières et les initiatives fluidifiant les alternatives à la voiture et donc les ZFE8.

1 www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0257_proposition-loi

2 De diamètre inférieur à 10 µm

3 diamètre inférieur à 2,5 µm

4 librairie.ademe.fr/cadic/27/rapport-zones-faibles-emissions-lez-europe-ademe-2020.pdf

5 France urbaine. Zones à faibles émissions : les territoires urbains s’engagent, l’Etat annonce qu’il va faire de même. 25/10/2022 – franceurbaine.org/actualites/zones-faibles-emissions-les-territoires-urbains-sengagent-letat-annonce-quil-va-faire-de

6 www.vie-publique.fr/discours/287887-christophe-bechu-10012023-

7 www.bercynumerique.finances.gouv.fr/lÉtat-veut-poser-les-fondements-dune-administration-proactive

8 librairie.ademe.fr/cadic/7334/guide-elaboration-mise-en-oeuvre-zfe-m_2022.pdf

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Questions émissions

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Le fonctionnement des systèmes d'assainissement et de potabilisation d'eau en cas de coupures électriques

Portée par Mme Florence Blatrix Contat (Socialiste, Écologiste et Républicain)

La sénatrice Florence Blatrix Contat interpelle Madame la secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, en charge de l’écologie sur la nécessité d’assurer l’approvisionnement et l’assainissement en eau en cas de coupure électrique.

Le contexte – les systèmes d’eau ont besoin d’énergie pour fonctionner.

Cette question met en exergue le lien entre eau et énergie. Elle place au centre du débat la question des services protégés des coupures électriques et des conséquences éventuelles pour la société.

En effet, le cycle de l’eau est possible grâce à une infrastructure énergétique permettant :

  • de de pomper l’eau des rivières et des nappes phréatiques jusqu’aux réservoirs,
  • de potabiliser l’eau pour en assurer la qualité (par ex., chloration pour éliminer les bactéries),
  • d’assainir l’eau usée (par ex., l’eau des toilettes) et la rejeter dans la nature.

A titre illustratif, le cycle de l’eau à Paris a requis 107 GWh d’énergie1 pour fonctionner en 2021, soit l’équivalent d’une puissance de ~12MW pendant 24h, tous les jours de l’année.

La question posée s’inscrit dans le contexte des récentes alertes de délestage2 du réseau électrique français durant l’hiver 2022-2023. Bien que le spectre de délestage s’éloigne pour l’hiver 2022-2023 grâce à une météo clémente et une modération volontaire de la consommation par les ménages et surtout des entreprises3 (avec des conséquences négatives sur leur production), le risque de délestage reste avéré jusqu’en 20244. Il est donc légitime de planifier l’organisation des territoires en conséquence.

Les systèmes d’eau ne sont pas prioritaires en cas de coupure.

Un arrêté du 5 Juillet 19905 encadre les listes d’usagers « prioritaires » en cas de coupure d’électricité :

  1. les usagers dont le manque d’énergie mettrait en danger leur vie (par ex., pour les hôpitaux) ;
  2. la signalisation et l’éclairage de la voie publique jugées indispensables à la sécurité ;
  3. les installations industrielles susceptibles de subir des dommages en cas de coupure, principalement celles liées à la Défense nationale.

Les systèmes de potabilisation et d’assainissement d’eau ne font donc pas partie des usagers « prioritaires » et pourraient être arrêtés en cas de coupure. En revanche, les préfets de territoire gardent la liberté d’ajouter des usagers supplémentaires à la liste prédéfinie.

La nécessité d’organiser la résilience des systèmes d’eau

À court terme, des risques limités de coupures « courtes »

Selon les prévisions de RTE, le risque de délestage est réel dans les prochaines années mais reste d’ampleur limitée : des coupures de 2 heures lors des pics de consommation. Il faut donc que les systèmes d’assainissement et de potabilisation d’eau soient pensés pour faire face à de tels délestages.

Pour exemple, la régie Eau de Paris répond à une consommation quotidienne de 0,4 millions m36. La régie produit 1,0 millions m3 d’eau par jour et en stocke 1 million m3.

En simplifiant les calculs, la régie est capable d’absorber la consommation des habitants pendant ~3 jours sans production et ses capacités de production ne doivent fonctionner que 40% du temps pour répondre à la demande quotidienne . Ces données ne prennent pas en compte les éventuelles installations énergétiques capables de prendre le relais en cas de coupure.

Il est donc raisonnable de conclure que des délestages « courts » ne devraient pas avoir d’impact sur la disponibilité en eau à Paris.

Cependant, la gestion de l’eau est une compétence principalement décentralisée en France, ce qui implique que certains territoires peuvent se révéler plus ou moins résilients face à un manque d’énergie. Des solutions existent à court ou moyen terme :

  1. Installer des sources d’énergie alternatives (panneaux solaires, batteries) prenant le relais le temps de coupures ;
  2. Assurer l’adéquation des capacités de stockage et d’assainissement afin d’assurer le service pendant les coupures ;
  3. Réduire la consommation d’eau. Il ne s’agit pas uniquement d’une résilience en cas de coupure, mais également d’une nécessité pour plus de 100 communes qui ont fait face à des difficultés d’approvisionnement en 20227 ;
  4. Instaurer un forum d’échange des connaissances et meilleures pratiques. Bien que les problèmes soient propres à chaque situation, les solutions ont certainement des points communs et les régies les plus avancées peuvent partager les solutions adoptées ;
  5. Définir une stratégie et des paramètres de résilience communs aux territoires français (heures de stockage d’eau, installations énergétiques indépendantes) ;
  6. Placer les systèmes d’eau et d’assainissement sur la liste des usagers prioritaires en cas de coupure.

À moyen terme – des risques de coupures « longues » face à des évènements extrêmes

Au-delà des difficultés temporaires en approvisionnement d’énergie, la résilience des territoires est encore plus d’actualité dans le contexte du changement climatique impliquant des évènements « extrêmes » (par ex., des chaleurs de plus de 3 déviations standards au-dessus de la moyenne sont 2 à 7 fois plus probables pendant la période 2021-2050 que pendant les 3 décennies précédentes)8.

En effet, des évènements extrêmes, telles que des sécheresses prolongées, renforcent le besoin en eau (notamment pour l’agriculture (en France 45% des besoins en eau9) tout en réduisant la capacité de production d’eau et d’énergie hydroélectrique. Enfin, les évènements extrêmes peuvent fragiliser les infrastructures (crues, chaleur ou de froid extrêmes), réduisant la capacité du système à répondre aux besoins au moment où il est essentiel.

Il est donc primordial d’inscrire la recherche de solutions à moyen terme et au regard de situations de plus grande ampleurs.

En octobre 2022, The Shift Project a publié un rapport intitulé Climat, crises : comment transformer nos territoires qui illustre les défis et transformations à réaliser en fonction des types de territoires (villes, campagnes, métropoles, montagnes, côtes) et les démarches adaptées aux nouveaux enjeux, notamment en matière d’approvisionnement en eau.

  1. Les métropoles seront confrontées à des pics de chaleur de plus de 50 °C et devront s’adapter pour rester être habitables, notamment en construisant ou rénovant dès maintenant des habitations adaptées à ’un réchauffement climatique supérieur à 2 °C.
  2. Les métropoles devront composer avec une réduction du tourisme et de la mobilité longue distance, au regard des accords de Paris, notamment en limitant les nouveaux projets de construction et l’offre d’hébergements touristiques.
  3. Les métropoles hébergent la majorité des sièges sociaux des grandes entreprises. A cet effet, elles ont un rôle important pour favoriser l’engagement écologique des entreprises, notamment en créant un fonds de décarbonation et de résilience du territoire assurant le financement de projets locaux et un registre des produits “bas carbone”.

1 Eau de Paris. Rapport annuel 2021

2 Définition : Coupures d’électricité, localisées et temporaires

3 www.tf1info.fr/economie/crise-de-l-energie-baisse-significative-de-la-consommation-de-gaz-en-france-en-2022-selon-grtgaz-2247701.html

4 assets.rte-france.com/prod/public/2021-04/Bilan%20previsionnel%202021%20-%20principaux%20enseignements.pdf

5 www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000351015/

6 Rapport annuel 2021

7 Le Parisien. Sécheresse : « Plus d’une centaine de communes en France n’ont plus d’eau potable », alerte le ministre de l’Écologie. 5 août 2022 – www.leparisien.fr/societe/secheresse-plus-dune-centaine-de-communes-en-france-nont-plus-deau-potable-alerte-le-ministre-de-la-transition-ecologique-05-08-2022-UXWOCRV5ERET3ON6SQM4HUOR6Q.php

8 Fischer, E.M., Sippel, S. & Knutti, R. Increasing probability of record-shattering climate extremes, Nat. Clim. Chang. 11, 689–695 (2021)

9 MTE, 2022

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