La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2023 | Semaine 09

Cette semaine nous braquons le feu des projecteurs sur deux secteurs de l’économie française peu représentés ces derniers mois dans le débat parlementaire et au niveau du gouvernement : le numérique et la culture !
Pourtant, ils sont tous deux émetteurs de quantités importantes de gaz à effet de serre qui ne cessent d’augmenter…

Bonne lecture !

Sommaire

Questions émissions

Vu dans la presse

Questions émissions

en partenariat avec Logo Dixit

Prise en compte de la sobriété numérique dans la stratégie de dématérialisation

Portée par Mme la sénatrice Françoise Férat (Marne - Union Centriste)

La sénatrice de la Marne Mme Françoise Férat interroge le ministre sur la loi n°2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, qui prévoit que les tickets de caisse ne soient plus automatiquement imprimés par le commerçant à partir du 1er janvier 2023. Sa question reprend l’étude du collectif Green IT selon lequel un ticket dématérialisé causerait l’émission de 2 g de CO2 de plus qu’un ticket papier (dont l’impression nécessite en revanche plus d’eau et l’utilisation de certains produits toxiques). Elle interroge ensuite le Gouvernement sur les risques que ces émissions soient amplifiées par la réutilisation du canal créé pour l’envoi du ticket, pour de la prospection commerciale notamment, et sur les mesures de sobriété numérique qui pourraient être prises pour réduire les émissions liées.

Une dématérialisation excessive peut-elle avoir des conséquences physiques ?

Le numérique représente déjà 3,5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre et ses impacts croissent de 6 % par an selon les travaux du Shift Project, avec un poids important de l’utilisation des réseaux et des vidéos. Compte tenu du nombre de tickets de caisse, il faut effectivement être prudent sur l’impact d’une dématérialisation aussi massive. Or cette problématique semble complètement absente de la réflexion du Gouvernement.

Interrogé sur la sobriété énergétique lors d’une audition devant la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale1, le ministre délégué chargé de la Transition numérique et des Télécommunications Jean-Noël Barraut a fait mention des nombreux efforts du secteur pour réduire ses émissions, tels que le déploiement de la fibre, moins énergivore que le cuivre, le reconditionnement des terminaux ou encore la réduction de la consommation des datacenters. La loi sur la régulation environnementale du numérique2 va également dans le bon sens, par exemple en exigeant de justifier du choix de ne pas recourir à une solution de partage de site ou de pylône3, ce qui permet ainsi de limiter la construction de nouvelles antennes en poussant les opérateurs à mutualiser les équipements existants.

Ces mesures, certes bienvenues, ne font aucune mention de la sobriété des usages, thème d’ailleurs toujours absent des discours politiques. Pourtant, face à une augmentation des flux de données de 25 % par an, ces mesures sont loin d’être suffisantes pour endiguer l’impact du numérique.

La sobriété numérique, un effort indissociable à la dématérialisation

Comme illustré dans l’exemple des tickets de caisse, la dématérialisation à des fins écologiques doit s’accompagner de mesures de sobriété. Selon The Shift Project dans son rapport Déployer la sobriété numérique, le bilan énergétique net d’une solution numérique n’est souvent positif que si elle comporte des objectifs d’économie d’énergie en phase d’utilisation. À défaut de contraintes de sobriété, les bénéfices sont annulés par des pratiques nuisibles à la décarbonation du numérique, telles « qu’une jolie mise en page, de la publicité excessivement abondante ou des bons de réductions ».

En conclusion, les mesures du Gouvernement favorisent la décarbonation du numérique mais ne suffisent à le rendre sobre. Les bénéfices de la dématérialisation dépendent des contraintes qui vont limiter les usages et éviter les effets rebond. Comme préconisé dans le Plan de transformation de l’économie française (PTEF) du Shift Project, un véritable débat démocratique doit avoir lieu dès les prémices d’un nouveau projet numérique afin de décider ensemble des usages. En attendant, à son échelle individuelle, il est toujours possible de refuser les tickets de caisse papier ou numériques.

1 Assemblée nationale. Compte-rendu. Commission des affaires économiques. 27 septembre 2022 – www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/cion-eco/l16cion-eco2122020_compte-rendu

2 Legifrance. LOI n° 2021-1485 du 15 novembre 2021 – www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000044327272/2023-01-21/

3 Legifrance. Décret n° 2023-4 du 4 janvier 2023 – www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000046912822

Liens utiles :

▲ Sommaire

Vu dans la presse

Les musées face à la transition écologique

Article publié par le journal les Échos PLANÈTE et analysé ci-dessous par les Shifters

Le secteur de la culture étant absent des représentations sur les enjeux énergie-climat, nous proposons de le mettre au cœur du débat sous le prisme de l’article publié par les Échos le 17 janvier 2023 et de rappeler les enjeux liés à sa transformation.

Contexte

Selon une étude publiée en avril 2021 par l’agence londonienne Julie’s Bicycle1, les émissions de GES du monde de l’art seraient essentiellement dues à l’usage des bâtiments, au transport des œuvres d’art, aux voyages d’affaires et aux déplacements des visiteurs. L’article des Échos confirme que 99 % de l’empreinte carbone du Louvre serait liée aux déplacements des visiteurs. The Shift Project précise dans son rapport « Décarbonons la culture » que la culture et les loisirs sont la 3ème cause de mobilité des Français et que la moitié des touristes internationaux en France visitent le patrimoine (environ 43 millions). Ainsi, la mobilité des visiteurs et professionnels est un poste d’émissions majeur du secteur de la culture. En clair, encourager un public international pour des expositions toujours plus spectaculaires nourrit la dépendance de notre société aux énergies fossiles.

Où en sont les musées dans leur transition écologique ?

Comme le souligne le journal les Echos, certains musées ont amorcé leur réflexion, notamment le musée du Louvre, le musée du Quai Branly et le Muséum national d’histoire naturelle. Par ailleurs, depuis la création, en 2011, d’un poste de chargé de développement durable au musée du Louvre, la plupart des institutions ont désigné des personnes chargées de guider les établissements sur la voie de la décarbonation.

Pour citer quelques actions, le musée du Quai Branly a participé en 2021 à un groupe de travail autour de l’éco-conception des expositions temporaires2. Le Centre Pompidou va lancer en 2024 l’isolation de son bâtiment afin de réduire de 40 % de sa consommation énergétique. Le musée d’Orsay a déjà diminué ses consommations d’énergie de 18% par rapport à 2019 et vise 25% en 2024. Il souhaite également végétaliser les berges de Seine à Argenteuil pour favoriser la capture du CO2.

Pour autant, en 2021, seuls les musées du Quai Branly et de la Réunion des musées nationaux Grand Palais (RMN – GP) avaient publié leur bilan carbone sur le site de l’ADEME3.

Une bonne nouvelle toutefois, le 24 août dernier, une nouvelle définition du musée qui souligne l’importance de la notion de durabilité a été approuvée par l’ICOM4, conseil international des musées.

Ce qu’en pensent les Shifters

The Shift Project propose cinq dynamiques de transformation des activités culturelles :

  1. Relocaliser les activités pour réduire les distances parcourues.
  2. Ralentir en mutualisant les expositions et en augmentant leur durée.
  3. Diminuer les échelles pour éviter la croissance permanente des jauges.
  4. Éco-concevoir les expositions en l’inscrivant aux cahiers des charges des marchés publics, en créant de ressourceries ou recycleries (réemploi des scénographies notamment5)
  5. Renoncer (ex : solutions numériques carbonées)

Plus précisément, les mesures suivantes permettraient de réduire l’empreinte carbone du secteur :

  • meilleure prise en compte du tourisme culturel dans les politiques locales de mobilité ;
  • mise en place d’un management des questions environnementales6 ;
  • allocation d’un budget carbone aux expositions temporaires ;
  • sobriété d’usage des bâtiments ;
  • sensibilisation-formation des employés et des visiteurs aux enjeux énergie-climat ;
  • modification des pratiques de transport et des normes internationales de conservation des œuvres.

Enfin, il faut prendre en considération l’impact carbone du numérique sur un marché de l’art qui s’est adapté à la digitalisation. Rappelons que le numérique représente 3 % à 4 % des émissions mondiales de GES dont plus de la moitié imputables à son utilisation. De plus, l’essentiel des données consommées sur internet correspond à des contenus culturels.

Les musées devraient donc renoncer aux outils numériques les plus carbonés (vidéo en UHD, 4K et 8K) et aux innovations technologiques (NFT, réalité virtuelle) car elles conduisent au renouvellement des terminaux ou infrastructures de réseau. À noter qu’en 2020, quelques milliers de musées, galeries et instituts de 70 pays collaboraient avec Google Arts & Culture7.

Si le Gouvernement entend « Placer la France à nouveau en tête de la production des contenus culturels et créatifs »8 à l’horizon 2030, The Shift Project alerte de son côté sur la course aux formats toujours plus lourds et au développement de réseaux de plus en plus puissants. Elle entraîne une croissance de la consommation énergétique du secteur de la culture. Par ailleurs, il est encore très difficile d’affirmer aujourd’hui qu’une expérience en streaming est moins énergivore ou carbonée qu’une visite dans un lieu culturel.

Conclusion

Pour The Shift Project, la culture peut devenir un vrai moteur de décarbonation de l’économie : « Parce qu’elle a souvent été avant-gardiste, parce qu’elle fédère, parce qu’elle a une portée mondiale, parce qu’elle appartient à chacune et à chacun et parce qu’elle nous nourrit, la culture française est tenue par un devoir d’exemplarité auquel elle ne saurait se soustraire ». Les arts en particulier sont des vecteurs puissants d’imaginaires qui peuvent aider tout un chacun à se projeter dans un nouveau paradigme sociétal.

Toutefois, à ce jour, les enjeux énergie-climat n’apparaissent pas comme une priorité du ministère de la Culture. Ce dernier devrait donner aux acteurs culturels les moyens économiques de leur transformation. Un observatoire de la transition écologique devrait par ailleurs être mis en place pour évaluer la conduite du changement. Enfin, il est urgent de reconnaître que si le numérique se présente comme une opportunité pour décarboner la culture, le spectre d’une consommation croissante et exponentielle en fait également une menace.

1 Julie’s Bicycle. The Art of zero. Avril 2021 – juliesbicycle.com/wp-content/uploads/2022/01/ARTOFZEROv2.pdf

2 Musée du Quai Branly. Rapport d’activités 2021 – www.quaibranly.fr/fileadmin/user_upload/1-Edito/6-Footer/8-Missions-et-fonctionnement/Rapports-activites/RA-MQBJC-2021_web.pdf

3 bilans-ges.ademe.fr/fr/bilanenligne/detail/index/idElement/3004/back/bilans

4 ICOM. L’ICOM approuve une nouvelle définition de musée. 24 août 2022 – icom.museum/fr/news/licom-approuve-une-nouvelle-definition-de-musee/

5 La loi climat et résilience (article 27) prévoit que les scénographies puissent être cédées à des fins non commerciales ou à tout organisme du secteur de la culture pour favoriser le réemploi.

6 Champ de l’activité de production des expositions et pratique de « retours d’expérience » formalisés à l’issue des expositions

7 Redshift. Digitalisation de l’art : comment les expositions s’invitent dans notre salon. 3 juin 2020 – redshift.autodesk.fr/digitalisation-de-l-art/

8 Gouvernement. France 2030 et les ambitions en matière de transition écologique – 18 novembre 2022 – www.ecologie.gouv.fr/france-2030-et-ambitions-en-matiere-transition-ecologique

Liens utiles :

▲ Sommaire

La gazette du carbone résulte du travail des bénévoles de l'association The Shifters, essentiellement réalisé sur la base de l’expertise du Shift Project. Son objectif est d'informer sur les opportunités que présente l'arsenal juridique français pour décarboner notre société.
N’hésitez pas à faire suivre largement le lien d’abonnement de cette publication à tout⋅e personne intéressé⋅e et/ou susceptible d’influencer le débat parlementaire !

Pour réagir au contenu, demander des précisions, proposer des évolutions, contribuer à notre action vers les décideurs, une seule adresse : gazette@theshifters.org !

Vous pouvez également découvrir The Shift Project et devenir membre de l'association.

Se désinscrire de la gazette du carbone