La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2023 | Semaine 08

Bon matin !

Aujourd’hui nous parlons de la formation des agents publics sur les enjeux du changement climatique et des contraintes appliquées à la restauration collective et commerciale sur l’origine des aliments servis (ou plutôt à quel point il reste du pain sur la planche sur ces sujets-là !)

Bonne lecture.

Sommaire

Questions émissions

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en partenariat avec Logo Dixit

Les collectivités manquent de formation et d’appui pour leur transition écologique

Portée par M. Bertrand Petit (Socialistes et apparentés (membre de l’intergroupe NUPES) - Pas-de-Calais)

M. Bertrand Petit, député de la 8e circonscription du Pas-de-Calais, interpelle le Ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires sur le manque de moyens des collectivités territoriales pour atteindre les objectifs fixés par l’État en matière de transition écologique. Le député déplore en particulier le manque de formation des agents et élus des collectivités territoriales sur le sujet, ainsi que la difficulté des petites collectivités à mobiliser l’ingénierie nécessaire.

C’est l’occasion pour les Shifters de rappeler le rôle attendu des collectivités dans cette transition, et la place qui devrait être réservée à la formation de leur personnel.

Les collectivités territoriales et leurs leviers d’action pour la transition écologique

Les collectivités territoriales (communes, départements et régions) et les établissements publics de coopération intercommunale agissent dans des domaines variés tels que l’urbanisme, l’aménagement du territoire, les transports, le logement, l’eau, les déchets, l’éducation, le développement économique, ou encore la culture. Ils emploient environ 1,7 million d’agents de la fonction publique territoriale1.

La Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) adoptée en 2020 constitue la feuille de route du Gouvernement pour lutter contre le changement climatique. Les quatre cinquièmes des 45 orientations fixées « nécessitent l’engagement des territoires du fait des compétences qui leur sont déjà attribuées »2. De son côté, l’I4CE3 (Institute for Climate Economics) a identifié 70 actions que les territoires pourraient mettre en œuvre afin de contribuer aux objectifs de la SNBC4 couvrant un large éventail de secteurs : rénovation énergétique des bâtiments, réduction de l’artificialisation des sols, mobilité durable, politique d’achats bas carbone, etc.

Les collectivités territoriales sont donc des acteurs majeurs de la décarbonation des usages et de la résilience des territoires.

Pourquoi les collectivités ont-elle intérêt à se former à la transition écologique ?

Ainsi que l’indique le Shift Project dans ses travaux sur la résilience des territoires, « à défaut d’être suffisante, une réelle compréhension individuelle et collective des enjeux est nécessaire avant d’engager une démarche en faveur de la résilience et de la transition écologique sur son territoire ». Les enjeux deviennent si pressants qu’il faut éviter les erreurs et cette compréhension évitera l’écueil de projets mal adaptés à la transition écologique. Une appropriation des enjeux doit permettre également aux élus et agents d’en appréhender la dimension systémique et de comprendre qu’elle doit irriguer l’ensemble de la politique territoriale. La formation des agents et élus est donc un prérequis à l’atteinte des objectifs de l’État, comme le souligne justement M. Petit.

Les dispositifs de formation existants

La formation des agents des collectivités territoriales est assurée par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et financée par une contribution des collectivités territoriales équivalente à 0,9 % de leurs masses salariales respectives. Plusieurs périodes de formation obligatoire sont prévues, notamment 5 jours de formation d’intégration des agents, puis entre 3 et 10 jours de formation dans les deux années suivant leur nomination. Malheureusement, la transition écologique ne figure pas à leur programme.

Quant aux élus, ils peuvent bénéficier d’une formation adaptée à leurs fonctions selon le Guide relatif à la formation des élus locaux. « Les modalités d’exercice de ce droit sont définies par l’organe délibérant de la collectivité »5, autrement dit par les élus eux-mêmes, qui doivent donc être convaincus de la nécessité des formations pour définir un programme et un budget proportionnés aux enjeux. En pratique, cette opportunité est peu exploitée : les Inspections Générales de l’Administration et des Affaires Sociales estimaient que moins de 3 % des élus locaux suivaient annuellement au moins une formation6.

Force est donc de constater que si élus bénéficient d’un droit à la formation et si les agents sont soumis à un devoir en la matière, la formation territoriale n’est que trop peu utilisée pour améliorer la compréhension des enjeux liés au changement climatique.

Ce qu’en pensent les Shifters

Au vu de l’importance des collectivités territoriales en tant qu’acteurs de la transition écologique, le Shift Project préconise de « dispenser une formation obligatoire pour les élus et cadres sur l’anthropocène, les limites planétaires et la résilience ». Cette préconisation pourrait être mise en œuvre en exploitant les dispositifs actuels ou en les faisant évoluer, en inscrivant par exemple la transition écologique au programme de la formation d’intégration des agents et en rendant obligatoire la formation des élus en début de mandat. Si la formation des agents est d’ores est déjà financée, les collectivités devraient mobiliser de nouveaux moyens pour la formation des élus, auquel cas un soutien financier aux petites collectivités serait opportun.

Le Ministère de la Transformation et de la Fonction publiques a lancé depuis octobre 2022 un plan de formation qui s’adresse dans un premier temps à 25 000 hauts fonctionnaires d’État mais qui ambitionne, à l’horizon 2027, de former l’ensemble des 5,6 millions d’agents des trois fonctions publiques. Si ce programme est considéré comme globalement satisfaisant par plusieurs organisations7, ces dernières soulignent quelques lacunes : maigre part des sciences humaines, absence de l’agriculture.

Il conviendra en tout cas de ne pas négliger les collectivités territoriales dans la priorisation du déploiement de ce programme.

En conclusion, si l’impératif de former les agents des collectivités territoriales semble bien avoir été pris en considération par l’État, il reste regrettable qu’aucune disposition concernant les élus locaux, premiers décideurs de l’action territoriale, n’ait été prise à ce jour.

1 DGCL. Bulletin d’information statistique n° 169, Décembre 2022 – www.collectivites-locales.gouv.fr/files/Accueil/Etudes%20et%20statistiques/Documents%20de%20synth%C3%A8se/BIS/2022/BIS_effectifs_FPT_2021_V4.pdf

2 Ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. Stratégie Nationale Bas-Carbone. Mars 2020 – www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/2020-03-25_MTES_SNBC2.pdf

3 Association d’intérêt général, à but non lucratif, fondée par la Caisse des Dépôts et l’Agence Française de Développement, qui contribue par ses analyses au débat sur les politiques d’atténuation et d’adaptation au changement climatique.

4 I4CE. Collectivités : les besoins d’investissements et d’ingénierie pour la neutralité carbone. Octobre 2022 – www.i4ce.org/publication/collectivites-investissements-ingenierie-neutralite-carbone-climat/

5 DGCL,. Guide relatif à la formation des élus locaux. Avril 2022 – www.puy-de-dome.gouv.fr/IMG/pdf/guide_dgcl_formation_des_elus_locaux_avril_2022.pdf

6 Inspection Générale de l’Administration et Inspection Générale des Affaires Sociales, La formation des élus locaux. Janvier 2020 – www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/2019-084-formation_elus_locaux-d.pdf

7 Le Lierre. Sens du Service Public et Une Fonction publique pour la transition écologique. Communiqué de presse commun suite à la présentation du plan de formation des hauts-fonctionnaires le 11 octobre 2022 – le-lierre.fr/cp-formation-fonctionnaires-oct2022/

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La part préoccupante des aliments importés dans les achats de la restauration hors domicile

Portée par Mme Hélène Laporte (Rassemblement National - Lot-et-Garonne )

Mme Hélène Laporte attire l’attention de M. le Ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire sur la part préoccupante des aliments importés dans les achats de la restauration hors domicile, essentiellement motivée par des questions de coût. Elle propose l’imposition d’une contrainte d’approvisionnements de la restauration hors domicile fondée sur la provenance locale des produits.

Une restauration hors domicile (RHD) peu contrainte concernant la provenance de son approvisionnement

La RHD comprend la restauration collective (cantines scolaires, restaurants universitaires et d’entreprises, etc.), la restauration commerciale (y compris les selfs services) et enfin les circuits de ventes alternatifs (en stations-services, achats ambulants…). Elle représente ¼ du budget consacré à l’alimentation1. C’est un marché dynamique, surtout porté par la restauration rapide chaînée (i.e. la restauration commerciale). En 2022, le chiffre d’affaires de la restauration hors domicile est en hausse de 3% par rapport à celui de 2019, le secteur ayant été fortement touché par le COVID2.

Depuis le 1er janvier 2022, la loi Egalim impose aux professionnels de la restauration collective publique des exigences qualitatives concernant les matières premières alimentaires : un taux d’approvisionnement de 50% de produits durables et de qualité définis dans une liste3, dont 20% issus de l’agriculture biologique (% en valeur d’achats HT par année civile). Les produits locaux ou de proximité ne répondent cependant pas à cette définition. La Loi climat et résilience a étendu cette obligation à tous les restaurants collectifs privés à partir du 1er janvier 2024. Ces obligations concernent seulement la restauration collective et n’imposent donc pas de contraintes liées à la provenance des matières premières agricoles.

Pour la restauration commerciale, seul un affichage de la provenance des viandes est obligatoire pour les établissements proposant des repas à prendre sur place ou à emporter, affichage étendu aux volailles, porcs et moutons depuis le 1er mars 2022.

La RHD au regard de l’enjeu de décarbonation de l’économie : qu’en pensent les Shifters ?

L’alimentation représente environ un quart de l’empreinte carbone française, dont deux tiers au titre des émissions directes et indirectes de l’agriculture selon le Plan de Transformation de l’Économie Française (PTEF), du Shift Project sur le volet agriculture. Ce dernier identifie trois leviers principaux de décarbonation du secteur :

  • La réduction de la consommation de produits d’origine animale, concomitante à une meilleure rémunération des éleveurs et en parallèle des réductions des productions animales sur le territoire. L’objectif est de rechercher un changement de fond des habitudes alimentaires et d’éviter un report des consommations sur des produits importés. Cette baisse doit être accompagnée d’une augmentation de la part de protéines végétales dans l’alimentation, favorisant ainsi des pratiques agroécologiques vertueuses comme l’augmentation des surfaces en légumineuses.
    À cet égard, les cahiers Résilience des territoires du Shift Project préconisent de généraliser deux repas végétariens par semaine, de toujours proposer une alternative végétarienne et de servir du bœuf une seule fois par mois pour la restauration collective. En matière de restauration commerciale, il est proposé de travailler avec les restaurateurs pour mettre sur les cartes des protéines végétales au même titre que la viande. La baisse du nombre de repas carnés doit pouvoir compenser la hausse du coût global des repas induit par cette approche qualitative.
  • Le raccourcissement des chaînes d’approvisionnement (circuits courts avec des intermédiaires limités, production locale originaire du voisinage, autonomie fourragère, etc.) dans une optique de reterritorialisation des systèmes alimentaires : il s’agit de rapprocher production et consommation alimentaire. L’objectif de cette mesure est de réduire de 80% les flux de marchandises agricoles et alimentaires transportées d’ici à 2050. Les cahiers Résilience des territoires proposent à cet égard de généraliser les Projets alimentaires territoriaux (PAT) cherchant à développer les approvisionnements locaux. Il s’agirait par exemple de développer des moyens locaux de transformation en partenariat avec les agriculteurs. Cette mesure pourrait également s’accompagner d’un approvisionnement local minimum obligatoire de la RHD afin de valoriser les PAT. Cette proposition va donc dans le même sens que celle de Mme Laporte et permettrait de rapprocher la RHD des approvisionnements des Français dont, en 2020, 79% déclaraient vouloir privilégier les produits locaux et d’origine France4. En termes de coûts, l’augmentation de l’approvisionnement en circuit court et de saison doit permettre à l’approvisionnement local de rester compétitif par rapport aux importations.
  • Enfin, la diminution du gaspillage alimentaire ainsi que la valorisation des biodéchets pour la transition agroécologique sont également des leviers impactant la RHD. La généralisation des labellisations des restaurants sur des engagements liés à ces deux engagements contribuerait à atteindre les objectifs fixés par le PTEF, tout en constituant une source d’économie pour les restaurants.

Pour conclure, la transformation de nos régimes alimentaires est nécessaire afin d’accompagner la transition agroécologique des exploitations agricoles. C’est pourquoi, la proposition de Mme Laporte d’imposer une contrainte d’approvisionnement local des produits agricoles utilisés en restauration collective est bien en ligne avec les objectifs du PTEF. Elle n’est cependant pas suffisante et doit être accompagnée de mesures visant à végétaliser les menus proposés tout en incitant la RHD à éviter le gaspillage alimentaire et à valoriser les biodéchets. Au regard des évolutions de nos modes de vies, la restauration commerciale est concernée en premier lieu par ces enjeux et ne doit pas être laissée de côté en comparaison à la restauration collective. Dans le même sens, on pourrait envisager de conduire :

  • une expérimentation/évaluation sur les modalités d’application du dispositif officiel d’affichage environnemental en restauration collective et commerciale en vue de le rendre obligatoire à moyen ou long terme, afin de mieux informer les consommateurs sur les liens entre ce qu’ils y consomment et la durabilité des systèmes alimentaires.
  • une formation des professionnels de la restauration collective5

1 INSEE, 2018

2 Food Service Vision. 2022

3 Une liste de produits durables et de qualité a été édictée et regroupe les produits ayant des signes officiels de qualité (AOP, IGP, Label Rouge), les produits issus du commerce équitable, certaines mentions valorisantes telles que HVE, etc. La liste exhaustive est présentée dans le « Guide pratique pour un approvisionnement durable et de qualité » publié par le Conseil national de la restauration collective. Mars 2021 – ma-cantine.beta.gouv.fr/static/documents/Guide%20Pratique%20MP%20Gestion%20directe.pdf

4 Kantar. Les consommateurs veulent privilégier les produits locaux. 17 avril 2021 – www.kantar.com/fr/inspirations/consommateurs-acheteurs-et-distributeurs/2021-bilan-2020-produits-locaux.

5 www.lemonde.fr/idees/article/2022/04/22/securite-alimentaire-les-regions-sont-aujourd-hui-l-echelle-la-plus-pertinente-pour-equilibrer-production-et-consommation-locales_6123252_3232.html / www.franceagrimer.fr/Eclairer/Etudes-thematiques/Consommation/Restauration-hors-domicile-quels-consommateurs-quelles-pratiques-et-quelles-attentes / www.anses.fr/fr/system/files/OQALI2018SA0291Ra.pdf

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