La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2023 | Semaine 06

Après vous être remplis la panse ce weekend avec la recette de crêpes d’antan, nous vous proposons cette semaine de digérer la fin de l’analyse des Shifters sur la consultation nationale pour la SFEC (pour rappel : Stratégie française énergie-climat).

Reprenons ensuite contact avec la nature en analysant la question parlementaire d’une députée qui alerte sur la baisse des subventions publiques allouées aux zones Natura 2000 (petit écrin de biodiversité).

Bonne lecture !

Sommaire

Nos dernières actions

Questions émissions

Nos dernières actions

SFEC : Comment planifier, mettre en œuvre et financer notre transition énergétique ?

Réponse des Shifters à une Consultation Publique mise en ligne par le Gouvernement

Le troisième et dernier thème de la consultation vise à recueillir le point de vue sur la place, le rôle et les leviers d’actions des différents acteurs (État, collectivités territoriales, entreprises, citoyens) pour atteindre l’objectif de neutralité carbone en 2050. Il interroge les problématiques suivantes :

  • Faut-il des interventions publiques dans les marchés de production et de consommation d’énergie ?
  • Rôle des collectivités dans la transition énergétique
  • Identification des freins et des préoccupations vis-à-vis de la transition énergétique
  • Encourager les initiatives individuelles dans un objectif de justice sociale et d’équité

Faut-il des interventions publiques dans les marchés de production et de consommation d’énergie ?

Dans le cadre du projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, adopté le 31 janvier dernier par la Commission Mixte Paritaire, la question de la gouvernance locale et citoyenne des projets de production d’énergie renouvelable n’est pas posée. Pour The Shift Project, il s’agit d’un enjeu majeur. L’implication des citoyens dans la gouvernance et le financement des projets de production d’énergie renouvelable contribuera à améliorer la qualité des projets, à s’assurer de retombées positives pour le territoire d’accueil et ainsi à les rendre acceptables.

Cette implication citoyenne contribue aussi à la sensibilisation aux enjeux de résilience territoriale et de transition écologique sur le territoire. Ainsi, The Shift Project propose de développer les énergies renouvelables avec et pour les citoyens, à travers les actions suivantes :

  • Privilégier les projets à gouvernance citoyenne locale (au-delà de la simple concertation) et participer au capital des projets.
  • Développer les réseaux de chaleur en zone rurale, appuyés sur le bois énergie (par exemple avec le bois des haies bocagères plantées pour favoriser la biodiversité et limiter le ruissellement).
  • Mieux communiquer sur les concertations locales, mieux associer les citoyens à l’élaboration des stratégies dans lesquelles s’inscrivent les projets d’énergies renouvelables.

D’autres actions pourraient également favoriser la gouvernance locale : fournir des incitations fiscales pour l’investissement citoyen, systématiser l’ouverture de la gouvernance et du financement des projets aux riverains (citoyens, collectivités, entreprises), financer des campagnes de communication et de formation pour sensibiliser l’ensemble des acteurs au montage des projets à gouvernance locale, etc1.

Rôle des collectivités dans la transition énergétique

Les collectivités territoriales sont des acteurs indispensables de la transition énergétique à mener. En premier lieu, l’administration territoriale doit montrer l’exemple en agissant directement sur son patrimoine immobilier, sur la mobilité de ses agents et sur la commande publique.

  • Le lancement de plans de rénovation énergétique du patrimoine des collectivités sous le mandat actuel doit permettre de réduire la consommation énergétique des bâtiments publics à travers plusieurs actions : améliorer l’inventaire de l’immobilier public et de ses consommations, rationaliser la taille du patrimoine, agir sur les usages et optimiser l’exploitation, et définir une programmation d’investissements cohérents en reprenant l’objectif de réduction de 40 % de la consommation énergétique des bâtiments tertiaires d’ici 2030. Les mesures déjà mises en œuvre fin 2022 par le Gouvernement dans le cadre du plan de réduction de la consommation d’énergie constituent de premiers gestes, mais ils ne permettront pas à eux seuls d’atteindre les objectifs de décarbonation fixés par la loi2.
  • La décarbonation de la mobilité des agents des collectivités est essentielle : remplacer les flottes de véhicules thermiques par des véhicules électriques à faible consommation, réduire la taille et le poids des véhicules, mutualiser les flottes entre collectivités pour favoriser le covoiturage entre agents de structures différentes, limiter les déplacements professionnels, mettre en place le télétravail quand c’est possible, adapter les infrastructures et les locaux aux mobilités actives, soutenir le covoiturage, etc.
  • L’amélioration de la commande publique via le renforcement des critères sociaux et carbone dans les achats publics peut constituer un important levier au service de la transition énergétique. Ce qui implique de former les agents des collectivités techniquement et juridiquement pour tirer parti de ces dispositions.

Par leurs compétences toujours plus nombreuses, les collectivités territoriales disposent de leviers pour mener à bien la transition énergétique dans les territoires : urbanisme et aménagement, mobilité, gestion et traitement des déchets, eau et assainissement, etc.

Les collectivités territoriales peuvent ainsi agir dans le domaine de la mobilité quotidienne en réduisant la place de la voiture dans les déplacements :

  • Déconstruire le « système voiture ». Il s’agit d’adopter un urbanisme qui réduise les besoins en déplacement en densifiant et diversifiant les tissus urbains, a contrario de la tendance à l’étalement urbain, et d’abaisser les vitesses autorisées pour rendre dissuasifs les choix de modes de vie « dispersés » géographiquement. Les plans locaux d’urbanisme constituent des outils réglementaires efficaces pour limiter l’étalement urbain (incitation à la rénovation, limitation stricte de la constructibilité en périphérie, incitation à l’implantation de certains commerces et activités dans les centres urbains, etc.).
  • Rendre moins attractive l’utilisation de la voiture en solo via plusieurs actions : améliorer la connaissance de l’offre de stationnement et la limiter (réglementer et rendre payant le stationnement public, réduire le nombre de places disponibles, etc.), réduire la vitesse (zones de rencontre, zones 30, restrictions de circulation aux abords des écoles, etc.), limiter la circulation automobile (aménager des zones piétonnes, des pistes cyclables en supprimant une voie de circulation voiture ou une rangée de stationnement automobile, etc.). Ces mesures doivent s’accompagner de contreparties en termes de qualité et de services qui permettent d’en assurer l’acceptabilité par les citoyens.
  • Développer un système de modes actifs et partagés : mettre en place une politique cyclable (sécuriser les déplacements, développer le stationnement, intermodalité, location longue durée, etc.), accompagner la politique des transports en commun (densification urbaine, limitations de la circulation automobile, etc.), développer la pratique de la marche, inciter au covoiturage.
Via leurs compétences en urbanisme, les collectivités territoriales peuvent également agir dans le domaine de l’aménagement du territoire :
  • Prioriser la rénovation et refaire la ville sur la ville : orienter et soutenir les citoyens dans leurs démarches de rénovation, promouvoir les projets de densification, réduire les zones à urbaniser, favoriser la multi-fonctionnalité des bâtiments, inciter à l’usage croissant de matériaux biosourcés ou bas carbone dans la construction neuve, rénover et redynamiser les centres-bourgs.
  • Préserver la biodiversité et les paysages : faire évoluer les plans locaux d’urbanisme pour préserver les écosystèmes naturels, agricoles et forestiers, mettre en place des contrats de réciprocité avec les espaces urbains pour financer la préservation des espaces naturels.
Les collectivités territoriales peuvent également agir dans le domaine de l’alimentation :
  • Manger plus végétal. Réduire la place de la viande dans les repas servis dans la restauration collective gérée par la collectivité (alternative végétarienne), faire évoluer les pratiques d’élevage via des contrats directs passés avec les éleveurs contre une meilleure rémunération.
  • Soutenir une agriculture à destination du marché local. Sanctuariser les terres agricoles en déclassant en priorité les zones à construire sur les terres les plus fertiles, utiliser le foncier communal (ou en acquérir) pour développer une régie communale en direction des besoins locaux (production maraîchère, etc.), construire un projet alimentaire territorial.
  • Valoriser les biodéchets pour la transition écologique : encourager le compostage à domicile, développer des partenariats locaux de réduction et de valorisation des biodéchets.
  • Prioriser l’élevage à l’herbe : encourager les modèles de polyculture-élevage, préserver et restaurer les prairies et les zones humides, favoriser les circuits courts.
  • Renforcer l’autonomie alimentaire des territoires ruraux : développer les moyens locaux de transformation en partenariat avec les agriculteurs et les coopératives, soutenir l’autoproduction des citoyens à travers les projets scolaires et l’organisation d’évènements festifs dédiés, travailler avec les agriculteurs locaux pour diversifier les productions et servir la commande publique.
  • Réussir la transition agroécologique : travailler avec les agriculteurs, la SAFER et autres acteurs fonciers pour mieux planifier les départs et trouver des repreneurs pour les exploitations agricoles, faciliter l’installation de projets agro-écologiques, acquérir du foncier pour le mettre à disposition d’agriculteurs en échange d’engagements environnementaux.

Identification des freins et des préoccupations vis-à-vis de la transition énergétique

Parmi les freins suggérés par le questionnaire, l’impact financier pour les citoyens les plus modestes nous semble majeur. Il est en effet indispensable de s’assurer que la transition énergétique soit comprise et acceptée par tous, ce qui implique qu’elle soit juste et équitable socialement. Toutefois, il nous semble trop réducteur de ne désigner qu’un frein majeur dans la consultation. C’est pourquoi nous mentionnons plusieurs autres freins qui nous semblent particulièrement préoccupants :

  • Le manque de moyens financiers et de moyens humains pour mener la transition énergétique et écologique dans les petites villes. Les appels à projet sont souvent les principales sources de financement des actions locales pour la transition écologique. Ce qui contribue à renforcer les inégalités entre les territoires et ne permet pas à de nombreuses petites collectivités de bénéficier d’une ingénierie territoriale. Ainsi, The Shift Project recommande de développer une logique de guichet unique pour le CRTE. Par ailleurs, The Shift Project recommande d’analyser l’impact climatique du budget prévisionnel des collectivités, afin de s’assurer qu’il est compatible avec l’objectif d’une France neutre en carbone en 2050.
  • Le manque de cohérence entre planification locale, régionale et nationale. Si la transition écologique doit être territorialisée, afin de tenir compte des spécificités de chaque territoire, une collectivité ne peut fixer seule ses objectifs, sans se soucier de sa contribution aux objectifs régionaux et nationaux. L’État doit clarifier ses attentes vis-à-vis des territoires sur ce sujet. Des objectifs régionaux négociés entre l’État et les régions, tenant compte des spécificités locales, doivent être partagés et déclinés au niveau des intercommunalités. Celles-ci devront alors s’engager à les atteindre, en conservant une grande liberté d’action. On ne sait pas aujourd’hui si l’addition des objectifs fixés par les collectivités territoriales permet d’atteindre les objectifs nationaux. C’est ainsi également l’enjeu de l’évaluation de l’ensemble de ces politiques qui est posé.
  • Le manque de connaissances sur la dimension systémique des défis à relever. Il est nécessaire de former les élus locaux, les agents des collectivités, les acteurs économiques, les scolaires. Il faut réaliser les bilans carbone, les diagnostics de vulnérabilité et les diagnostics des acteurs du territoire de façon participative afin d’en partager les résultats. Il s’agit également d’identifier les acteurs et les initiatives déjà engagées localement.

Encourager les initiatives individuelles dans un objectif de justice sociale et d’équité

En premier lieu, l’enjeu est de susciter et d’accompagner le changement de comportement des citoyens dans tous les secteurs.

À titre d’exemple, la mise en place d’une nouvelle offre de mobilité ne suffit pas à susciter un changement de la part des citoyens : une prise de conscience est nécessaire. Des campagnes d’animation et de communication, des actions de pédagogie sont à mener (initier les habitants aux modes actifs et partagés). Il est également nécessaire de prévoir des accompagnements individualisés permettant aux citoyens d’avoir un retour sur leurs habitudes de mobilité, de prendre conscience de leur budget mobilité et des externalités qu’elle génère, d’être informés des possibilités existantes, de tester les offres alternatives, etc.

De la même manière, il s’agit d’inciter et d’accompagner les citoyens dans la rénovation énergétique de leur logement, en créant un guichet unique pour les orienter dans leurs démarches, en informant le réseau local des parties prenantes (agences immobilières, notaires, banques, artisans, magasins de bricolage…) de l’existence d’aides nationales et locales pour la rénovation, en se faisant tiers de confiance entre les citoyens et un réseau de professionnels qualifiés (via un label par exemple) , en modifiant le système d’aides financières de manière à pousser au regroupement des travaux, en proposant un congé pour rénovation à l’image des congés pour déménagement de certaines conventions collectives , en aidant les ménages précaires par un financement de leur travaux avec un reste à charge nul3.

En ce qui concerne le secteur de l’alimentation, il est nécessaire de faire converger les recommandations nutritionnelles et environnementales4, de fournir au citoyen une vision systémique de l’alimentation durable et, surtout, de l’accompagner pour que les nouvelles recommandations nutritionnelles compatibles avec la décarbonation du pays soient réellement intégrées aux pratiques alimentaires.

De manière générale, il s’agit de soutenir en priorité les plus vulnérables et de les accompagner dans la transition écologique : guichets de proximité, dispositifs simplifiés d’accès aux aides, renforcement des mesures de satisfaction des besoins essentiels pour les plus vulnérables (tarification éco-solidaire de l’eau5, tarification sociale de la restauration scolaire, etc.).

Enfin, il est également souhaitable d’orienter l’épargne et les dépenses des particuliers vers la transition énergétique. Un groupe d’experts des domaines de la finance et du climat soutenus par la Fondation Nicolas Hulot et The Shift Project proposent ainsi une réforme de l’épargne française visant à orienter massivement vers la transition énergétique et écologique une partie des 1200 milliards d’euros de l’assurance vie individuelle6.

1 IDDRI. Comment accélérer les énergies renouvelables en France ? L’enjeu de l’intégration territoriale et du partage de la valeur. 29 novembre 2022 – www.iddri.org/fr/publications-et-evenements/billet-de-blog/comment-accelerer-les-energies-renouvelables-en-france

2 Ministère de la transition énergétique. Sobriété énergétique : un plan pour réduire notre consommation d’énergie. 08 Juillet 2022 – www.ecologie.gouv.fr/sobriete-energetique-plan-reduire-notre-consommation-denergie

3 Haut Conseil pour le Climat. Rapport annuel. p63. 2022

4 IDDRI. Loi Climat et Résilience : une opportunité pour mieux prendre en compte le climat dans les politiques alimentaires. 23 février 2021 – www.iddri.org/fr/publications-et-evenements/billet-de-blog/loi-climat-et-resilience-une-opportunite-pour-mieux

5 Banque des territoires. Tarification éco-solidaire de l’eau dans le Dunkerquois. 13 avril 2015 – www.banquedesterritoires.fr/tarification-eco-solidaire-de-leau-dans-le-dunkerquois-59

6 The Shift Project. « Rediriger l’épargne privée en faveur du climat » : le Shift et la Fondation Nicolas Hulot pour mobiliser l’assurance vie. 12 novembre 2019 – theshiftproject.org/article/rediriger-lepargne-privee-en-faveur-du-climat-le-shift-et-la-fondation-nicolas-hulot-pour-mobiliser-lassurance-vie/

Liens utiles :

▲ Sommaire

Questions émissions

en partenariat avec Logo Dixit

Les sites Natura 2000 d’Auvergne-Rhône-Alpes menacées par la réaffectation des subventions européennes

Portée par Mme Laurence Heydel Grillere (Renaissance - Ardèche)

La députée Laurence Heydel Grillere attire l’attention du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires sur l’intention du président de la région Auvergne-Rhône-Alpes de ne plus allouer l’enveloppe des Fonds européens agricoles pour le développement rural (FEADER) au financement des zones Natura 2000, en les redirigeant entièrement vers le secteur de l’agriculture. Au regard des enjeux essentiels de préservation de l’environnement, elle déplore que l’opportunité de décentralisation offerte par le transfert de compétence en matière de transition écologique de l’État vers les régions en février 2022, puisse desservir le territoire et sa biodiversité.

Le dispositif Natura 2000 est un réseau de sites écologiques créé par l’Union européenne suite au sommet de Rio en 1992. L’objectif était de mettre en place une politique de préservation de la diversité biologique et du patrimoine naturel à l’échelle de l’UE. Ainsi, chaque État membre a identifié sur son territoire les espèces animales et végétales ainsi que les habitats « en danger de disparition, vulnérables, rares ou endémiques »1 , définis comme étant d’intérêt communautaire.

Vers une baisse des subventions du réseau Natura 2000 en Auvergne-Rhône-Alpes

En France, le réseau Natura 2000 mobilise des fonds nationaux sous forme de crédits de l’État2 à hauteur de 60%, ainsi que des fonds européens à 40%, notamment via le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) et le Fonds européen de développement régional (FEDER). Sur la période 2007-2013, le budget annuel moyen consacré à la gestion et à l’animation des sites français était de 150 millions d’euros.

En Auvergne-Rhône-Alpes, le réseau Natura 2000 compte 260 sites et couvre 13,3% du territoire. En août dernier, le président de la région a annoncé sa volonté d’allouer entièrement le montant des crédits FEADER au secteur spécifique de l’agriculture, faisant de la région la seule qui a choisi de ne pas flécher les crédits de cette enveloppe vers Natura 20003. Il explique que cette décision est motivée par la baisse de 20% des crédits FEADER pour la période 2023-2027, qui expose au risque d’une baisse globale de l’aide au monde agricole. La région explique vouloir favoriser les investissements de compétitivité des exploitations agricoles.

Pourquoi préserver la biodiversité ?

Les travaux du Shift Project insistent sur le fait que le déclin actuel de la biodiversité résulte en partie du réchauffement climatique, lié aux activités humaines qui exercent de surcroît des pressions directes majeures sur les écosystèmes4. Or, la biodiversité joue un rôle fondamental dans la régulation du climat. L’objectif de neutralité carbone implique la préservation des « puits de carbone » naturels que représentent les forêts, les zones humides, les océans et les sols, qui ont une capacité à stocker d’importantes quantités de CO2.

Même si le dispositif Natura 2000 protège uniquement la biodiversité rare et menacée, il permet de lutter contre l’uniformisation de la biodiversité qui est un facteur majeur de son érosion globale. Cette uniformisation se traduit en effet par un renforcement de la proportion des espèces dites généralistes aux dépens de celle des espèces dites spécialistes, phénomène observé au cours de toutes les grandes crises d’extinction. De fait, les espèces les plus menacées sont précisément les espèces spécialistes, qui s’adaptent difficilement aux perturbations de leurs milieux. La pertinence du dispositif Natura 2000 est donc manifeste.

Le choix d’un développement agricole et économique au détriment de la préservation du vivant ?

Cette décision de la région alimente une opposition stérile entre agriculture et préservation de l’environnement, alors que la transformation des modèles agricoles nécessite de favoriser la biodiversité, et est essentielle pour la résilience des systèmes alimentaires face au changement climatique.

Les subventions Natura 2000 participent au financement de programmes d’actions à destination des citoyens et en faveur des habitats et des espèces d’intérêt communautaire. Dans le cadre de contrats spécifiques, les agriculteurs sont notamment accompagnés à la mise en œuvre de mesures agroenvironnementales (préservation des zones humides, labour des prairies, installation de haies) sur leurs terrains grâce à une indemnisation de la différence entre les surcoûts et la perte de revenus par rapport aux pratiques conventionnelles5. Certains agriculteurs risquent donc d’être pénalisés par cet abandon dans leur désir de gérer leurs exploitations en accord avec la préservation de l’environnement. Le dispositif Natura 2000 offre un accompagnement précieux pour les agriculteurs, qui prend toute sa valeur dans une stabilité à long terme.

La généralisation de l’agroécologie est identifiée par le Shift Project comme l’une des clefs de la décarbonation du secteur agricole d’ici 2050 et du développement d’un modèle capable d’adaptation. L’agroécologie est une approche globale permettant une plus grande diversité génétique et paysagère, un usage économe des ressources en eau et énergie, et une meilleure protection des milieux. Le Plan de transformation de l’économie française (PTEF) rappelle que l’homogénéisation des systèmes agricoles et la généralisation des pratiques intensives sont largement responsables du déclin de la biodiversité en Europe6. En opposition, l’agroécologie s’insère dans une démarche de préservation des milieux naturels, notamment par l’amélioration de la qualité des sols. En effet, cette pratique permet d’augmenter la teneur des sols agricoles en matières organiques, ce qui favorise la séquestration du carbone atmosphérique7.

La bonne mise en œuvre de la politique Natura 2000 repose sur le dialogue entre les acteurs locaux, au sein d’un comité de pilotage, qui élaborent un document d’objectifs dont le suivi est assuré par des animateurs de site8. Ces derniers sont garants de l’application effective du document d’objectifs Natura 2000 et de la gestion des sites. La perte des subventions FEADER dans la région pourrait avoir comme effet de supprimer 100 à 200 postes, menaçant directement la pérennisation du dispositif.

Conclusion

La décision de la Région Auvergne-Rhône-Alpes est incompatible avec les objectifs de transition écologiques et les préconisations du Shift Project en termes d’actions à mener. Si la transition écologique doit être territorialisée afin de tenir compte des spécificités locales, une région ne devrait pas fixer ses objectifs sans se soucier de sa contribution à plus grande échelle, notamment à la limitation du changement climatique et la préservation de la biodiversité.

1 www.ecologie.gouv.fr/reseau-europeen-natura-2000-0

2 Ces derniers proviennent principalement des ministères chargés de la Transition écologique et de l’Agriculture.

3 Depuis la loi 3DS (différenciation, décentralisation, déconcentration) du 21 février 2022, les financements alloués aux sites Natura 2000 ne sont plus gérés par l’État, mais par les régions.

4 Pertes principalement liées à la monoculture des terres agricoles et la surexploitation des espèces animales, à la destruction et la fragmentation des milieux naturels qu’engendre l’urbanisation, et à la pollution des eaux, des sols et de l’air.

5 www.natura2000.fr/sites/default/files/references_bibliographiques/analyse_maec_n2000-1.pdf

6 theshiftproject.org/wp-content/uploads/2021/04/TSP-PTEF-V1-FL-Agriculture.pdf

7 Des sols riches en matières organiques stockent davantage de carbone et limitent les émissions de protoxyde d’azote. Outre l’augmentation de la séquestration du carbone atmosphérique, ces pratiques agricoles sont à favoriser en elles-mêmes car elles ont aussi une grande pertinence agronomique. – librairie.ademe.fr/cadic/6936/feuilleton_sols_transitions2050_ademe.pdf

8 www.ecologie.gouv.fr/reseau-europeen-natura-2000-0

Liens utiles :

▲ Sommaire

La gazette du carbone résulte du travail des bénévoles de l'association The Shifters, essentiellement réalisé sur la base de l’expertise du Shift Project. Son objectif est d'informer sur les opportunités que présente l'arsenal juridique français pour décarboner notre société.
N’hésitez pas à faire suivre largement le lien d’abonnement de cette publication à tout⋅e personne intéressé⋅e et/ou susceptible d’influencer le débat parlementaire !

Pour réagir au contenu, demander des précisions, proposer des évolutions, contribuer à notre action vers les décideurs, une seule adresse : gazette@theshifters.org !

Vous pouvez également découvrir The Shift Project et devenir membre de l'association.

Se désinscrire de la gazette du carbone