La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2023 | Semaine 04

Lancée entre le 10 novembre 2022 et le 18 janvier 2023, la consultation nationale intitulée « Notre avenir énergétique se décide maintenant » est un peu passée inaperçue auprès des citoyens et même des parlementaires.

Pourtant, cette concertation était bien ouverte à tous. Elle doit nourrir l’élaboration de la Stratégie française sur l’énergie et le climat (SFEC), nom donné à un ensemble de textes guidant la planification écologique. Celle-ci est constituée de la future loi de programmation sur l’énergie et le climat ainsi que de la révision de documents stratégiques : Stratégie nationale bas-carbone (SNBC), Plan national d’adaptation au changement climatique et Programmation pluriannuelle de l’énergie.

Pour guider le débat, plusieurs scénarios ont été proposés à partir des travaux de l’ADEME (l’étude « Transition(s) 2050 ») et de RTE (l’étude « Futurs énergétiques 2050 »). Chaque citoyen était donc invité à donner son avis sur les efforts à réaliser dans 3 grandes thématiques : l’adaptation de la consommation, le mix énergétique et le financement de la transition.

Dans ce numéro de la Gazette, nous évaluerons les réponses proposées par la consultation nationale sur le thème 1, au prisme des travaux du Shift Project, notamment du Plan de transformation de l’économie française (PTEF).

Sommaire

Nos dernières actions

Nos dernières actions

SFEC : Comment adapter notre consommation pour atteindre l’objectif de neutralité carbone ?

Réponse des Shifters à une Consultation Publique mise en ligne par le Gouvernement

Le premier thème interroge les comportements à mettre en place au niveau collectif et individuel pour atteindre la neutralité carbone en 2050 dans les secteurs suivants :

  • Les mobilités
  • L’usage des bâtiments
  • Le niveau d’activité industrielle et du transport de marchandises

1. Les mobilités

Le transport fait partie des secteurs dont les émissions de gaz à effet de serre (GES) ont augmenté depuis les années 1990. D’une part, le report modal et la décarbonation de l’énergie dans le secteur ont été faibles. D’autre part, la hausse massive des distances parcourues par jour (mobilité quotidienne) a plus qu’annulé l’amélioration de l’efficacité énergétique des véhicules. En effet, la demande de transport a augmenté de 31% entre 1995 et 2019 alors que 74% de nos trajets quotidiens se font en voiture1.

Actuellement, le secteur de la mobilité représente environ 32% de la consommation énergétique finale2 de la France et les ménages sont responsables de 25,9 des 45,2 Mtep consommés. L’enjeu de la neutralité carbone est donc de taille et questionne non seulement les technologies mais aussi les usages.

Pour diminuer les consommations et les émissions liées à la mobilité, il faudra combiner les approches et agir sur tous les facteurs qui composent son bilan. Or les tendances paraissent peu compatibles avec le développement de transports alternatifs à la voiture3.

Ainsi, le volume actuel de déplacements et l’augmentation toujours plus rapide des distances, que ce soit pour des évènements ponctuels (vacances) ou dans nos transports quotidiens (éloignement de l’habitation et des activités) ont au moins une explication : des distances très grandes et des villes très étendues à l’opposé des modèles adaptés aux mobilités alternatives (vélo, transports collectifs, marche, etc.).

Quelles sont les préconisations du Shift Project ?

Décarboner les voitures et les avions est insuffisant pour parvenir à la neutralité carbone. Il faut agir simultanément sur la demande de transport, le report modal et le taux de remplissage4. Il faut donc investir fortement dans les infrastructures de transport (réseaux de bus, train, tram, métro, pistes de cyclables, services vélos, trottoir, etc.) tout en faisant évoluer les modèles urbains (diminution de l’artificialisation, développement des commerces de proximité, services locaux etc)5.

Les changements d’usage se déclinent comme suit :
  • pour les distances courtes, remplacer la voiture par la marche (jusqu’à 4 kilomètres) et le vélo (jusqu’à 10 km) ;
  • pour les distances intermédiaires ou plus longues, utiliser les transports en commun et, en l’absence d’alternative, le covoiturage, l’éco-conduite ou un véhicule plus léger et économe ;
  • éviter l’avion en optant pour des destinations moins lointaines ou en prenant le train et/ou le car.

Cette révision des usages rejoint les scénarios 1 et 2 de l’étude de l’ADEME Transition(s) 20506, mais tous les français ne sont pas à égalité devant ces différentes possibilités. C’est pourquoi il faut aussi réviser en profondeur l’aménagement du territoire. Le passage par un scénario plutôt centré sur le déploiement de services, comme le scénario 3, sera peut-être nécessaire pour améliorer les alternatives à la voiture et rapprocher les services indispensables des logements avant de parvenir au scénario 2 puis 1.

2. L’usage des bâtiments

Le secteur du logement représente 12% des émissions nationales de GES selon les travaux du Shift Project ; c’est la deuxième source d’émission de GES après le transport. Celles-ci proviennent de la construction, de la consommation d’énergie thermique pour le chauffage et l’eau chaude sanitaire et de la consommation d’électricité des appareils ménagers (lave-vaisselle, appareils numériques, climatisation…).

Quelles sont les préconisations du Shift Project ?

Les efforts individuels et collectifs se complètent et sont conséquents. Ainsi, les recommandations du Shift Project sont plus proches du premier scénario (intitulé “Génération frugale”) de l’étude de l’ADEME. En effet, tous deux insistent sur les efforts importants de la part de l’ensemble des parties prenantes pour réduire et décarboner les consommations énergétiques du secteur.

Ci-dessous quelques exemples de leviers d’action par poste d’émissions.

2.1 La rénovation

C’est un des leviers principaux permettant une meilleure maîtrise de la consommation énergétique des bâtiments.

Les objectifs du PTEF sont les suivants :

  • Atteindre en 10 ans, 1 million de logements rénovés chaque année ;
  • Arriver au niveau BBC7 pour la moyenne du parc ;
  • Cibler d’abord les logements les plus énergivores pour chercher le maximum d’efficacité.

Cela demande un certain nombre de moyens tels que :

  • La formation de plus de personnes dans la filière dès maintenant ;
  • La suppression progressive des subventions aux “gestes uniques” pour empêcher la rénovation geste par geste et généraliser la rénovation globale8.
2.2 La décarbonation de la chaleur

Afin de satisfaire les besoins en chauffage et en eau chaude sanitaire sans peser sur les émissions, il est nécessaire de changer la source de l’énergie thermique vers des énergies non carbonées. Les actions issues du PTEF, à développer, sont :

  • Sortir en priorité du chauffage au fioul et au gaz naturel fossile ;
  • Massifier l’installation de pompes à chaleur (PAC), surtout dans les résidences individuelles ;
  • Alimenter les réseaux de chaleur urbain (habitat collectif) en énergie renouvelable (biomasse, géothermie, ordures ménagères, récupération de chaleur sur eaux usées et chaleur fatale industrielle) ;
  • Raccorder plus de logements aux réseaux de chaleur urbains.
2.3 Les équipements électroménagers

Ils ont une empreinte écologique à prendre en compte outre leur consommation électrique.

Les efforts doivent donc porter sur les deux aspects :

  • Les achats : le renouvellement des équipements demande de l’énergie et des ressources minières importantes ;
  • L’usage : l’efficacité énergétique des appareils ne doit pas conduire à une utilisation plus soutenue (effet rebond qui annule l’économie d’énergie).
2.4. La consommation des constructions neuves

La construction de logements neufs répond à un besoin de logements mais n’est pas forcément plus vertueuse en termes d’émissions malgré leur meilleure isolation. En effet, elle nécessite des matériaux émetteurs d’une quantité significative de GES (le béton par exemple), et requiert de l’énergie, génère des déchets et de la pollution. Le PTEF recommande ainsi de privilégier la rénovation des logements existants et l’utilisation des logements vacants sur les nouvelles constructions.

Pour les nouvelles constructions il faudra veiller à l’utilisation des matériaux et éviter l’accroissement de l’étalement urbain (diminution des espaces verts et des terres arables, artificialisation et imperméabilisation des sols, recours à la voiture pour les déplacements du quotidien, etc.)

Pour tous les postes d’émissions cités précédemment, il est recommandé d’informer au mieux les citoyens :

  • L’acceptation des mesures se fait plus facilement lorsque les raisons des efforts sont bien exposées ;
  • L’information permet de mieux traiter les situations complexes, notamment les travaux de rénovation en copropriétés ;
  • Sur le long terme, il s’agit de changer les critères d’appréciation des logements et des modes de vie de sorte que les performances thermiques “participent autant de la valeur des logements que d’autres paramètres aujourd’hui déterminants […]”

Dans le tertiaire et l’administration publique, des efforts sont également à faire au niveau de l’usage des bâtiments. Si la loi oblige à un bilan d’émissions de GES, une majorité de structures ne l’a toujours pas effectué. De plus, la méthodologie du bilan ne tient compte que des émissions directes et ne prend pas en compte les achats ou les déplacements domicile-travail par exemple. Il faut donc améliorer l’information pour agir plus efficacement.

Outre les travaux d’isolation thermique et de décarbonation de l’énergie thermique, divers leviers existent, tels que :

  • Rationaliser l’espace de travail : dimensionnement des bureaux en fonction du nombre d’employés, mutualisation des bureaux, etc. ;
  • Décarboner la restauration collective : consommatrice d’énergie et productrice de déchets ;
  • Développer le télétravail tout en évitant ses pièges (effet rebond lié à l’allongement des distances domicile-travail, suréquipement…) ;
  • Déployer la sobriété numérique en évitant notamment le renouvellement trop fréquent des équipements.

Tous ces efforts peuvent être perçus comme une contrainte mais il s’agit d’un effort nécessaire pour un meilleur habitat généralisé. Comme le souligne le Shift Project dans son rapport Décarboner l’administration publique paru en octobre 2021, « les logements en 2050 sont donc plus confortables, plus ergonomiques et plus sains. Mais ils sont aussi plus résilients […] ».

3. Le niveau d’activité industrielle et du transport de marchandises

L’activité industrielle correspond à 20 % des émissions de GES nationales, dont les ¾ sont liées à l’industrie lourde (chimie, métallurgie, ciment-béton) selon les travaux du Shift Project. Le fret, quant à lui, représente 9 % des émissions. Mais depuis un demi-siècle, ces 2 secteurs se distinguent en termes de trajectoire.

La part relative de l’industrie en France n’a cessé de baisser depuis 50 ans, passant de 25 % du PIB à 13 % aujourd’hui, selon le rapport du Shift Project Décarboner l’industrie sans la saborder. Pourtant, la crise de la Covid et plus récemment la guerre en Ukraine ont réactualisé la nécessité de disposer d’un appareil de production industrielle robuste, diversifié et résilient.

Le secteur du transport de marchandises est, lui, le seul à ne pas avoir réduit ses émissions de GES depuis 1990 (la croissance de l’e-commerce l’explique en partie). Le fret emprunte de plus en plus la route : de 35 % en 1960 à 90 % aujourd’hui.

Les efforts à réaliser pour atteindre les objectifs fixés par la Stratégie nationale bas carbone sont donc considérables9.

Quelles sont les préconisations du Shift Project ?

3.1 L’activité industrielle nationale

L’objectif à 2050 est de réduire les émissions nationales de GES de 80% (par rapport à 2015), dont 20% par la sobriété.

Trois axes de travail permettront de décarboner le secteur tout en le rendant plus résilient :

  • Le progrès technique : efficacité énergétique, changement des combustibles des fours, recyclage mécanique.
  • Les ruptures technologiques : recours à l’hydrogène produit par électrolyse, recours au captage et stockage du carbone (CCS), recyclage chimique.
  • La sobriété : réduire les emballages plastiques de 70 %, augmenter le recyclage, la réparation et le réemploi, relocaliser, etc.

En 2050, le progrès technique et les ruptures technologiques seront responsables chacun de 40 % de l’effort de décarbonation. La sobriété, qui se traduira par une baisse de la demande, représenterait 20 % du chemin.

L’innovation technologique reste un pari et des adaptations importantes resteront nécessaires. Une fois sa transformation réalisée, l’industrie devra par ailleurs s’ajuster aux nouveaux usages de consommation, de construction et de déplacement.

Les mesures préconisées par le PTEF pour ce secteur rejoignent donc plutôt la réponse à la première question de la consultation nationale. La baisse significative de consommation de biens manufacturés et de la construction découle de comportements plus sobres. Pour réduire les émissions induites et devenir résilient, le PTEF préconise la relocalisation de productions comme celles d’engrais ou de certaines étapes de la production de batteries. Le développement de l’APV (Après-Première vie), couvrant « […] l’ensemble des activités qui prennent en charge les biens après leur première utilisation » , est aussi un enjeu de réindustrialisation nationale.

3.2 Le fret

À l’horizon 2050, l’objectif est de transformer l’usage et de réduire le besoin global10. Ainsi, il faudrait :

  • Multiplier par 3 le transport fluvial ;
  • Multiplier par 2 le transport ferroviaire ;
  • Diminuer de 25% les volumes transportés.

Ces préconisations se rapprochent donc des premières réponses à la consultation publique en proposant une réduction drastique des besoins et en modifiant les modes de transport.

Cependant, même avec ces mesures, la part de transport terrestre reste importante dans le PTEF. L’objectif prioritaire sera donc de réduire a consommation générale tout en décarbonant les moyens de transport.

Plusieurs leviers sont identifiés :

  • L’électrification des principaux axes routiers (voie de droite) et l’équipement de petites batteries sur les véhicules ;
  • La baisse de la consommation énergétique (aérodynamique, motorisation, éco-conduite, baisse de la vitesse…) ;
  • L’optimisation du remplissage (mutualisation, réduction des cadences d’envoi, maximisation des chargements) ;
  • Un système cyclologistique généralisé ;
  • La formation des acteurs du fret aux enjeux énergie-climat.

Conclusion

Pour répondre à la question du thème 1 de la consultation publique sur les moyens à mettre en place pour adapter notre consommation énergétique afin d’atteindre l’objectif de neutralité carbone, il est nécessaire de déployer des efforts conséquents à toutes les échelles : collective et individuelle. Nos modes de vie sont en effet profondément dépendants des énergies fossiles.

Adapter notre consommation signifie d’abord la réduire, éviter le plus possible les émissions en adoptant une vie plus sobre. Ensuite, l’adaptation doit passer par le changement des usages, remplacer nos pratiques incompatibles avec un monde limité en ressources. Enfin, il s’agit de décarboner l’énergie dont nous ne pouvons pas nous passer, en commençant par les postes d’émissions les plus grands (transports et chauffage). Tout cela nécessite d’informer les différents acteurs de ces changements afin que les enjeux et les objectifs soient compris et que leur acceptation se fasse plus sereinement.

1 www.insee.fr/fr/statistiques/5013868

2 L’énergie finale est l’énergie au stade final de la chaîne de transformation de l’énergie, c’est-à-dire au stade de son utilisation par le consommateur final (source : Wikipédia)

3 www.enerdata.fr/publications/breves-energie/emissions-co2-tendances.html

4 librairie.ademe.fr/cadic/7432/avis-ademe-voitures-electriques-et-bornes-recharges-2022-012013.pdf

5 The Shift Project. Guide pour une mobilité quotidienne bas carbone. Février 2020

6 transitions2050.ademe.fr/

7 BBC (bâtiment basse consommation) et désigne un ensemble de mesures applicables à la construction de nouveaux bâtiments depuis l’entrée en vigueur de la RT 2012. L’objectif est de réduire la consommation énergétique à travers l’isolation, la ventilation, l’exposition au soleil et l’étanchéité de l’air.

8 « En moyenne chaque année, ce sont 27 tonnes qui sont transportées sur environ 200 km pour chaque Français. Cette activité est responsable de 9 % des émissions de gaz à effet de serre du territoire ». The Shift Project, Rapport Assurer le fret dans un monde fini paru en mars 2022.

9 « La stratégie vise une réduction de 28 % des émissions du secteur en 2030 par rapport à 2015 » et la neutralité carbone pour 2050. Source : www.ecologie.gouv.fr/strategie-nationale-bas-carbone-snbc

10 « Dans le PTEF, l’ensemble des secteurs de l’économie évolue. Ces évolutions se répercutent sur les besoins en transport de marchandises. […] Elles induisent une baisse d’un tiers de la demande de transport de marchandises. » The Shift Project, Assurer le fret dans un monde fini paru en mars 2022.

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