La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2022 | Semaine 42

Le plan de sobriété énergétique, présenté par le Gouvernement ce jeudi 6 octobre, a pour but de pallier la crise énergétique de l’hiver prochain en France par des mesures phares dans plusieurs secteurs (logement, industrie, transports, etc.).
L’objectif visé est une réduction de 10 % de la consommation énergétique du pays d’ici 2024 (réduction de l’ordre de 50 TWh). Le champ d’application ne se limite pas aux services publics mais concerne également les particuliers et les entreprises. Le Gouvernement entend, par cette première étape, instaurer une sobriété énergétique dans les usages des entreprises et plus largement des Français.
Dans ce numéro de la Gazette, vous retrouverez l’analyse des Shifters pour les secteurs du bâtiment, de la mobilité et de l’industrie.

Bonne lecture !

Sommaire

Réflexions décarbonées

Réflexions décarbonées

Plan de sobriété énergétique du gouvernement : focus sur les secteurs du bâtiment, la mobilité et l'industrie

Portée par Le Gouvernement

Efficacité énergétique des bâtiments

Le plan de sobriété énergétique met l’accent sur la nécessité de diminuer les consommations énergétiques des bâtiments. En rappelant que les bâtiments tertiaires et résidentiels totalisent 45 % de l’énergie finale consommée en France, il insiste sur l’importance de réduire les dépenses de chauffage. Sa mesure phare est d’inciter les entreprises et les foyers à diminuer leur température de chauffage à 19°C lors des périodes d’occupation, 16°C la nuit et 8°C à partir de 3 jours de fermeture, comme le prévoit l’article R241-26 du Code de l’énergie depuis 1979.

Cette mesure concourt à atteindre l’objectif de court terme d’une réduction de 10 % des consommations sur le secteur à l’horizon 2024. Elle constituerait ainsi une première marche vers la réduction de la consommation d’énergie de 40 % d’ici à 2050, objectif commun à la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) et aux différents scénarios proposés par l’ADEME, Négawatt, The Shift Project et Carbone 41. Si cette mesure est réellement appliquée, elle devrait permettre d’économiser plus de 22 TWh par an, soit environ 3 % des consommations des secteurs tertiaire et résidentiel2. En y ajoutant les autres propositions du plan de sobriété, portant sur l’automatisation et la gestion intelligente des bâtiments, les besoins énergétiques pourraient être réduits de près de 7 %, de même que les émissions de gaz à effet de serre induites3. Par ailleurs, les bâtiments français étant majoritairement chauffés au gaz, toute diminution des besoins de chauffage permettrait de sortir progressivement de notre dépendance aux énergies fossiles. Cette réduction de la température de consigne paraît donc une voie indispensable pour s’aligner sur les objectifs de décarbonation du secteur à court terme.

Cependant, la température ressentie dans un bâtiment ne dépend pas que de la température de l’air intérieur, ce qui pose la question de la réelle application de ces consignes. Alors que, dans un bâtiment neuf respectant la réglementation RT2012, une température d’air intérieur de 19°C sera confortable, la température ressentie dans un bâtiment mal isolé thermiquement pourrait être de 2 à 3 degrés inférieure selon l’ADEME4, en raison des infiltrations d’air, des variations d’humidité et des effets de parois froides. La baisse volontaire des besoins de chauffage pour ces bâtiments passera donc nécessairement par une très forte accélération du rythme des rénovations performantes, notamment celle de toutes les “passoires énergétiques” du parc existant.

Selon le Plan de transformation de l’économie française (PTEF) du Shift Project, pour atteindre les objectifs nationaux de décarbonation des bâtiments en 2050, il faudra avoir rénové l’ensemble des logements construits avant 2012, soit plus de 90 % du parc existant. Le Gouvernement affirme vouloir mobiliser 2,5 milliards d’euros en 2023 pour financer ces rénovations. Pour s’aligner avec les objectifs affichés, il sera alors nécessaire de généraliser le remplacement des systèmes énergétiques fortement carbonés en plus de l’amélioration thermique des bâtiments.

Mobilité quotidienne et transports

La mobilité quotidienne s’impose comme l’un des fils rouges du plan de sobriété énergétique, en sa qualité de secteur le plus contributif à l’empreinte carbone des Français. Les principaux leviers de réduction de la consommation énergétique sont la décarbonation des déplacements liés au travail, avec des mesures incitatives pour les employeurs et les employés, et l’optimisation des usages de la voiture, à travers notamment le covoiturage. Ce plan marque une réelle évolution vers un paradigme davantage centré sur la question des usages alors que les investissements liés à la mobilité étaient historiquement orientés vers le financement et le déploiement d’infrastructures.

Par ailleurs, le Gouvernement cible l’intégration plus forte de l’éco-conduite dans différents secteurs, et la diminution des vitesses sur les autoroutes. Ces mesures sont fortement recommandées par The Shift Project dans le PTEF car elles sont faciles à mettre en place, économiques et efficaces. Pour autant, leur impact serait significatif uniquement à partir d’une masse critique et elles mériteraient donc d’être généralisées.

Les outils à destination des entreprises sont pertinents au regard de l’impact fort des déplacements professionnels et des flottes d’entreprise sur le bilan carbone de la mobilité. La généralisation du crédit mobilité et du forfait mobilité permettrait à la fois de réduire les achats de véhicules professionnels, première cause d’achat de véhicules neufs en France, et de proposer des solutions de déplacement moins émissives et moins coûteuses dans un contexte de tension énergétique.

Parmi les mesures destinées à l’ensemble de la population, le soutien au covoiturage est l’une des plus fortes et mobilisant le plus de dépense publique. Ce soutien a le mérite d’attirer l’attention sur le très faible taux de remplissage actuel des véhicules, entre 1,1 et 1,5 !5 Pourtant, sa mesure phare, à savoir la rémunération à hauteur de près de 100 euros de toute nouvelle personne effectuant un trajet en tant que conducteur sur une plateforme, est fortement contestable en termes d’efficacité et de pérennité. Tout d’abord, elle cible les conducteurs alors que les freins psychologiques au covoiturage ont été estimés plus forts du côté des passagers6. Ensuite, elle ne différencie pas les trajets de longue et courte distance alors que seul ces derniers sont véritablement efficaces pour prendre des parts de marché sur l’autosolisme. Le covoiturage longue distance a plutôt tendance à en prendre sur le train ou les bus interurbains. Enfin, cette mesure génère des effets d’aubaine sans garantir aucunement l’instauration de nouvelles habitudes durables chez ses bénéficiaires. D’autres axes de massification moins discutables pourraient être imaginés, tels que des accès réservés aux ZFE, aux voies d’autoroute ou à certaines offres de stationnement, ou encore le déploiement d’aires de covoiturage ou de lignes de covoiturage spontané.

Dans son ensemble, le plan de sobriété énergétique gagnerait à être détaillé davantage notamment sur le secteur du fret (ferroviaire, routier et fluvial) et de l’aérien. En effet, mieux expliciter la stratégie et les effets attendus pourrait favoriser l’adhésion des entreprises et des particuliers. Rappelons qu’ils sont les principaux acteurs de la diminution de la consommation énergétique du secteur des transports.

Industrie

Bien que l’industrie ne représente que 13 % de notre PIB, elle est responsable de 20 % des émissions nationales de GES, les trois quarts provenant encore de l’industrie lourde (métallurgie, chimie, ciment-béton) malgré les progrès obtenus. Son activité repose avant tout sur la disponibilité d’énergie fossile (pétrole et gaz).

Le plan de sobriété énergétique du Gouvernement préconise certains leviers de réduction de la dépendance à l’énergie, en poursuivant l’optimisation des consommations énergétiques des procédés de production grâce à la massification d’audit énergétique, à la planification des maintenances et à l’adaptation des plans de production lors des périodes de tensions. Il propose également des mesures pour réduire la consommation énergétique des transports et de la logistique (éclairage, chauffage, recharges de batterie, écoconduite etc.). L’industrie a une place importante dans l’économie française comme le souligne le plan de sobriété qui parle d’un « secteur économique où l’énergie a un impact direct sur la compétitivité des entreprises et donc sur la décision même de production ou d’arrêt de production ». Les mesures incitatives proposées par le gouvernement vont dans le sens de la décarbonation du secteur et de la réduction de sa dépendance aux énergies fossiles. Toutefois, elles doivent aller encore plus loin pour avoir un impact significatif sur la réduction des émissions des GES et être plus sobre en consommation énergétique. À ce sujet, le PTEF du Shift Project indique quelques leviers d’actions à horizon 2022 – 2027 :

  • Poursuivre le progrès technique pour obtenir le meilleur rendement entre qualité et gaz à effet de serre émis (ciment bas carbone, meilleure efficacité énergétique, recyclage des matériaux…)
  • Créer un cadre propice aux ruptures technologiques, avec l’hydrogène, le CCS (captage et stockage du carbone)…
  • Augmenter le recyclage des plastiques, riche en emploi, et relocaliser certaines productions
  • Baisser la consommation d’emballage plastique de 70%.

À plus long terme, le PTEF insiste sur le fait que ce secteur doit permettre aux autres secteurs de se décarboner, en produisant les biens et infrastructures nécessaires, de manière très peu émissive, presque sans recourir aux énergies fossiles.

1 The Shift Project. Construction neuve et rénovation : les points communs des scénarios ADEME, négaWatt, Shift-PTEF et Pouget Consultants / Carbone 4. Mars 2022 : theshiftproject.org/article/logement-points-communs-scenarios/

2 Par rapport aux données de consommation sur l’année 2022 (701 TWh) : www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2021-04/datalab_essentiel_243_bilan_energetique_provisoire_avril2021.pdf

3 En effet, la grande majorité des économies d’énergie proposées par le plan de sobriété porte sur le chauffage et l’eau chaude sanitaire, postes responsables de la majorité des émissions de GES du secteur résidentiel/tertiaire.

4 ADEME. Rénovation. Se chauffer mieux et moins cher. Édition Juin 2019 : librairie.ademe.fr/cadic/2222/guide-pratique-chauffer-mieux-moins-cher.pdf

5 notre-environnement.gouv.fr. Se déplacer en voiture : seul, à plusieurs ou en covoiturage ? www.ombel.gouv.fr/donnees-et-ressources/ressources/publications/article/se-deplacer-en-voiture-seul-a-plusieurs-ou-en-covoiturage

6 CEREMA. Covoiturage courte et moyenne distance. Retour d’expériences, freins et leviers. Septembre 2018 : www.cerema.fr/system/files/documents/2018/10/Rapport_Cerema_covoiturage_courte-distance_final.pdf

▲ Sommaire

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