La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2022 | Semaine 41

Comment trouver l’équilibre entre la modernisation des territoires et des solutions tout-numériques énergivores ? Comment concilier activité agricole et besoin en installation panneaux photovoltaïques pour répondre à l’objectif du Programmation pluriannuelle de l’énergie (40 % de part d’énergies renouvelables dans la production d’électricité française d’ici 2030) ?
Nous tentons d’élucider dans la Gazette de cette semaine ces questions en vous partageant quelques points à prendre en considération par les décideurs dans leurs arbitrages.
Bonne lecture !

Sommaire

Réflexions décarbonées

Réflexions décarbonées

Utiliser les terres agricoles pour produire de l'électricité : quelles sont les limites ?

Article publié par le journal Techniques de l'Ingénieur et analysé ci-dessous par les Shifters

Cet automne, l’Assemblée et le Sénat discuteront d’un projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables. C’est l’occasion d’aborder, dans ce nouveau numéro de la Gazette, un sujet qui sera très certainement discuté, même si le texte de départ ne contient aucune mesure spécifique à son égard : l’agrivoltaïsme.

L’agrivoltaïsme consiste en des « installations permettant de coupler une production photovoltaïque secondaire à une production agricole principale en permettant une synergie de fonctionnement démontrables »1. Cette définition était jusqu’à présent floue quant à la frontière entre la production agricole et la production électrique.

Le développement du solaire photovoltaïque constitue un enjeu important pour la production d’électricité d’ici 2030 et 2050. En effet, dans son Plan de transformation de l’économie française (PTEF), The Shift Project estime qu’il serait nécessaire de déployer en moyenne 1,75 GW de photovoltaïque par an jusqu’en 2050. Or, à la fin du deuxième trimestre 2022, la puissance du parc solaire photovoltaïque français n’a atteint que 15,2 GW2.

L’accélération prévisible du développement du photovoltaïque (PV) suscite également des interrogations
sur l’ampleur des surfaces dédiées à ces installations, en particulier pour le photovoltaïque au sol. À mi-2021, le parc photovoltaïque au sol occupait au total entre 5 000 et 8 500 Ha3. Le PTEF indique qu’il faudrait affecter 2 100 ha chaque année au PV (toutes catégories confondues), à comparer à l’artificialisation totale actuelle qui est d’un ordre de grandeur supérieur : environ 25 000 ha/an, dont les deux tiers pour la construction de logements. La question de la concurrence d’usage du sol se pose donc, notamment en lien avec l’enjeu de préservation des terres agricoles.

Dans le secteur agricole, le développement de panneaux photovoltaïque au sol fait débat car, d’ici à 2050, le secteur devra faire face à de nombreux enjeux tels que :
  • la résilience de la production agricole face aux effets directs du changement climatique ;
  • la nécessité de diminuer son empreinte carbone et sa dépendance au pétrole ;
  • la baisse constante du nombre d’agriculteurs et les problèmes d’attractivité du métier ;
  • l’artificialisation des sols agricoles en lien avec l’étalement urbain notamment.

La question centrale est donc de savoir s’il est possible de concilier l’activité agricole avec le déploiement des panneaux photovoltaïques dont elle a aussi besoin pour s’alimenter en électricité.

En mai dernier, l’ADEME a publié une étude de référence sur le sujet qui a permis de compléter la définition de l’agrivoltaïsme en proposant que l’impact des panneaux photovoltaïques sur la production agricole d’une surface « n’induise ni dégradation importante de la production agricole (quantitative et qualitative), ni diminution des revenus issus de la production agricole ».

Dans cette même étude, l’ADEME a identifié trois critères de qualification afin de caractériser les synergies entre production photovoltaïque et production agricole (cf. graphique ci-dessous) :
  • Niveau 1 : le couplage apporte un service à l’échelle de la parcelle (adaptation au changement climatique, protection contre les aléas, amélioration du bien-être animal ou service agronomique précis).
  • Niveau 2 : le couplage permet d’améliorer la production agricole ou de maintenir, sinon de dégrader de façon acceptable cette production
  • Niveau 3 : le maintien voire l’amélioration du revenu agricole est assuré par ce couplage.

Source : ADEMECaractériser les projets photovoltaïques sur terrains agricoles et l’agrivoltaisme

Ainsi, certaines productions pourraient être compatibles, sous certaines conditions (ex : panneaux rehaussés), avec une activité de production d’électricité. L’ADEME a étudié plusieurs pratiques potentielles telles que le maraîchage sous serre photovoltaïque, l’élevage sous ombrière (structure fournissant de l’ombre, constituée d’une surface horizontale ou oblique, recouverte entièrement ou partiellement de panneaux photovoltaïques), l’arboriculture sous ombrière fixe ou sous serre photovoltaïque. L’enjeu est l’adaptation du photovoltaïque à la pratique agricole et non l’inverse. Cet encadrement proposé par l’ADEME permet d’imaginer un développement contrôlé de l’agrivoltaïsme tout en augmentant la part de l’énergie solaire pour la production électrique.

On peut espérer qu’en 2050, l’électricité sera l’énergie majoritaire. Le mix électrique du PTEF, construit sur le scénario n°3 de RTE, prévoit un développement important de l’éolien et du photovoltaïque, le nucléaire et les barrages hydroélectriques ne répondant qu’à 65 % de la consommation des secteurs. Si l’agrivoltaïsme n’est pas à même de résoudre à elle seule les multiples enjeux énergétiques, elle semble avoir sa place dans le paysage français. Cela à condition que le potentiel productif agricole ne soit pas affecté : les terres agricoles doivent en effet garder leur potentiel nourricier et leur capacité de stockage de carbone.

1 CRE. Appel d’offres portant sur la réalisation et l’exploitation d’Installations de production d’électricité innovantes à partir de l’énergie solaire. www.cre.fr/media/Fichiers/publications/appelsoffres/ao-innovant-telecharger-le-cahier-des-charges-en-vigueur-dans-sa-version-modifiee-le-31-mars-2020

2 Données et études statistiques. Tableau de bord : solaire photovoltaïque – Deuxième trimestre 2022. www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/tableau-de-bord-solaire-photovoltaique-deuxieme-trimestre-2022-0?rubrique=21&dossier=172

3 RTE. Futurs énergétiques 2050. Principaux résultats (Juin 2022). assets.rte-france.com/prod/public/2021-12/Futurs-Energetiques-2050-principaux-resultats.pdf

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Les collectivités attendues sur leur stratégie numérique responsable

Portée par Le Gouvernement

Fin juillet, le décret d’application de l’article 35 de la loi REEN1 relatif à l’élaboration d’une stratégie numérique responsable par les collectivités a été promulgué au journal officiel.

Ce décret introduit un nouvel article2 dans le code des collectivités imposant aux communes et aux Établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de plus de plus de 50 000 habitants d’établir une stratégie numérique responsable sur la base d’un bilan des usages du numérique sur le territoire et de leur impact environnemental.

Les objectifs de cette stratégie pourront porter notamment sur :

  1. « La commande publique locale et durable, dans une démarche de réemploi, de réparation et de lutte contre l’obsolescence » ;
  2. « La gestion durable et de proximité du cycle de vie du matériel informatique » ;
  3. « L’écoconception des sites et des services numériques » ;
  4. « La mise en place d’une politique de sensibilisation au numérique responsable et à la sécurité informatique à destination des élus et agents publics » ;
  5. « La mise en place d’une démarche numérique responsable auprès de tous afin de sensibiliser les citoyens aux enjeux environnementaux du numérique et de l’inclusion numérique » ;
  6. « La mise en place d’une démarche de territoire connecté et durable en lien avec une démarche d’ouverture et de valorisation des données. »

Les territoires, entre transformation numérique et transition énergétique.

Depuis la création du plan France Relance, et plus concrètement depuis mai 2022 avec la publication du programme Transformation Numérique des Territoires3, le gouvernement montre clairement sa volonté d’impliquer les territoires dans sa démarche de modernisation de l’État. La dématérialisation des démarches administratives, l’ouverture des données ou encore la cyberdéfense font partie des thèmes dont devront s’emparer les collectivités pour atteindre les objectifs fixés pour 2030.

Dans ce contexte, l’utilisation du numérique par les collectivités devrait connaître une forte croissance dans les années à venir, nécessairement accompagnée d’une augmentation des émissions dues à ce secteur. À ce titre, l’obligation pour les territoires de prendre la main sur les émissions du numérique sur leur territoire lors de la conception de ces nouveaux usages doit être félicitée. Cette démarche découpée en deux temps – la mesure de l’impact environnemental et la définition d’une stratégie visant à le réduire – suit la recommandation formulée par le Shift Project dans son rapport « Résilience des territoires » publié en septembre 2021 et qui sera prochainement précisé par les cahiers « Climat, crises : comment transformer nos territoires »4.

Réduction de l’impact, relance des usages.

Les objectifs fixés dans le code des collectivités touchent au réemploi des terminaux, à l’écoconception des services numériques et à la sensibilisation des utilisateurs. Ce plan, qui devrait tout de même largement permettre de réduire l’impact relatif de chaque octet, n’incite malheureusement pas les collectivités à s’interroger sur leurs usages du numérique. Dans le cadre du plan France Relance, et avec la popularité du modèle de la « smart city », aucune contrainte n’oblige les collectivités à s’interroger sur la pertinence du déploiement des technologies liées au numérique sur leur territoire5. Sans cette étape recommandée par le Shift dans son rapport de 2020 “Déployer la sobriété numérique”, les collectivités pourraient ainsi être confrontées à un dilemme entre la volonté de moderniser les territoires et la nécessité de réduire l’impact du numérique.

Cela d’autant plus que le décret en question n’a apporté aucun élément chiffré sur les objectifs à atteindre dans la réduction de l’impact du numérique. Ce flou laissé par le gouvernement pourrait entraîner, d’une part, un manque d’ambition dans les stratégies des collectivités et, d’autre part, un manque de cohérence nationale dans les mesures adoptées qui pourrait nuire à l’émergence de synergies et de coopération entre collectivités.

La DINUM en aide aux collectivités

La Direction interministérielle du numérique (DINUM) en lien avec le ministère de la transition écologique a lancé une mission interministérielle sur le numérique responsable en 2020, dont les productions pourront venir en aide aux collectivités pour mettre en œuvre leur stratégie numérique responsable. Les guides publiés, dont le caractère opérationnel mérite d’être mentionné, se concentrent sur certains sujets spécifiques comme les achats6, ou les outils libres et open source7 liés au numérique responsable. Ces guides, à l’intention des développeurs autant que des décideurs, fournissent des outils techniques permettant de réduire l’impact environnemental du numérique existant et à venir. Ils invitent par ailleurs les parties prenantes à s’interroger sur la nécessité de certains usages, comme en témoigne la première problématique soulevée par le Référentiel général d’écoconception de service numérique8 : “Le service numérique répond-il à un besoin qui s’inscrit dans au moins un des objectifs de développement durable ?”. Le questionnement des usages, souvent oublié dans les textes réglementaires, est donc heureusement abordé ici. Il reste à espérer que les techniciens pourront s’approprier ces outils et mener une véritable réflexion, sans conflit avec la politique imposée par le gouvernement.

Parmi ces outils, le Guide de bonnes pratiques numérique responsable pour les organisations9 pourra accompagner les collectivités dans leur stratégie numérique responsable. Ce guide, organisé en fiches pratiques, recommande certaines bonnes pratiques liées au numérique responsable, avec une approche dont le périmètre paraît exhaustif : stratégie et gouvernance, sensibilisation et formation, mesure et évaluation, et d’autres pratiques applicables tout au long du cycle de vie des services ou appareils numériques (achats, conception, opération, fin d’usage). Il reste à voir si le défi d’adresser un guide à “tout type d’organisations” sera un succès lors de son utilisation par des organisations telles que les collectivités, dont les besoins et capacités peuvent être très spécifiques. La difficulté technique liée à la prise en main de ces outils pourrait être un obstacle pour les collectivités, forcées de remettre à plus tard ce sujet avec le risque de développer un système moins sobre et difficile à remettre en question une fois adopté.
D’autres productions comme les référentiels Green IT10 ou encore l’expérience Plateaux Numériques11 visant à éco-concevoir les sites webs de mairies rurales, méritent également d’être mentionnés.

La Rochelle : première transformée numérique ?

L’exemple de l’agglomération de la Rochelle12 fournit une illustration de comment une stratégie numérique responsable peut être mise en œuvre. L’agglomération estime son empreinte liée au numérique à 680 tonnes de CO2eq/an dont 54% peuvent être attribués à la fabrication du matériel, et 36% aux abonnements, prestations et consommables. Les mesures mises en place vont de MOOC de formation à l’organisation d’un “cyber world cleanup day” invitant les agents de la collectivité et les citoyens à recycler leurs matériels et à “nettoyer” leurs espaces numériques pour en réduire l’impact. Même si l’exactitude de ces estimations et l’impact direct (non lié à la sensibilisation des citoyens) demandent des études plus approfondies, la démarche de l’agglomération de la Rochelle doit être félicitée !

Une liste des actions des collectivités liées au numérique responsable peut être trouvée sur le site du Cerema13. Espérons voir cette liste prendre de l’ampleur.

Un écosystème en formation, à l’avenir encore incertain

La publication de ce décret d’application de la loi REEN vient alimenter la réglementation s’appliquant aux organismes utilisateurs ou acteurs du numérique en incluant cette fois-ci les collectivités de plus de 50k habitants. D’autres acteurs, tels que les centres de stockage de données ou encore les opérateurs télécom, seront prochainement visés par d’autres décrets à venir, comme indiqué par cet échéancier14. Ce tableau, bien qu’il soit encore loin d’être exhaustif (on peut regretter l’absence notamment du consommateur final !), constitue un écosystème auto-alimenté de bonnes pratiques (comme avec les guides de la DINUM) et à première vue bénéfique. Toutefois, la diminution de l’empreinte environnementale du numérique doit être vue dans son ensemble, avec des mesures absolues. À cet égard, la stratégie de croissance du numérique actée par le gouvernement dans le plan France Relance pourrait venir diminuer l’impact des efforts de chacun des acteurs sur de nouveaux usages non nécessaires. En parallèle de cette démarche positive, appelons donc le gouvernement et les acteurs de cet écosystème à se diriger vers la sobriété grâce à des objectifs chiffrés et au questionnement des usages, afin de réduire l’impact global de ce secteur en ébullition. Si certains acteurs de cet écosystème semblent déjà avoir instauré des mesures de réduction inspirantes, attendons que d’autres organismes suivent le mouvement et gardons un œil ouvert à leurs propositions !

1 www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000044327312

2 www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000044331031/2022-07-31

3 numerique.gouv.fr. Programme Transformation numérique des territoires (TNT). www.numerique.gouv.fr/services/tnt/

4 https://theshiftproject.org/article/invitation-presentation-des-cahiers-resilience-des-territoires-et-lancement-de-la-campagne/

5 Sur la smart city et son impact sur les droits des citoyens, consulter le cahier “La plateforme d’une ville” du Laboratoire d’Innovation Numérique de la CNIL, qui n’aborde pas la question de l’impact environnemental mais invite à questionner l’utilité et les impacts de ces nouveaux usages. linc.cnil.fr/sites/default/files/atoms/files/cnil_cahiers_ip5.pdf

6 Mission interministérielle Numérique écoresponsable. Guide pratique pour des achats numériques responsables. ecoresponsable.numerique.gouv.fr/publications/guide-pratique-achats-numeriques-responsables/

7 Mission interministérielle Numérique écoresponsable. Boite à outils numérique écoresponsable. ecoresponsable.numerique.gouv.fr/publications/boite-outils/

8 Mission interministérielle Numérique écoresponsable. Référentiel général d’écoconception de services numériques (RGESN). ecoresponsable.numerique.gouv.fr/publications/referentiel-general-ecoconception/

9 Mission interministérielle Numérique écoresponsable. Guide de bonnes pratiques numérique responsable pour les organisations : ecoresponsable.numerique.gouv.fr/publications/bonnes-pratiques/

10 GreenIT.fr club.greenit.fr/referentiel.html

11 Plateaux-numériques. Accompagner les mairies de villages dans la création de sites web accessibles et durables, dans leur territoire. plateaux-numeriques.fr/

12 www.agglo-larochelle.fr/vie-pratique/numerique?article=numerique-responsable

13 Cerema. Numérique responsable. Cartographie. smart-city.cerema.fr/numerique-responsable

14 LOI n° 2021-1485 du 15 novembre 2021 visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France. Echéancier. www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000042956321/?detailType=ECHEANCIER&detailId=

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