La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2022 | Semaine 28

Nous analysons cette semaine le nouveau projet de loi sur le pouvoir d’achat et rappelons modestement que la difficulté de la réalité industrielle et géopolitique de la situation ne doit pas déboussoler les décideurs de leur objectif de réduction de nos dépendances aux énergies fossiles.

Sommaire

Notre sélection de la semaine

Notre sélection de la semaine

Projet de loi portant sur les mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat

Projet porté par Mme Élisabeth BORNE, Première ministre, par M. Bruno LE MAIRE, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, par M. Olivier DUSSOPT, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion, et par Mme Ag

Le projet de loi portant sur les mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat (PLPA)1 et les articles associés du projet de loi de finances rectificative (PLFR)2 pour 2022 sont les premiers projets de loi du gouvernement. À ce titre, ils éclairent sur sa compréhension de la crise énergétique qui se traduit entre autre par une montée inexorable des prix, mais aussi sur sa stratégie et sur les méthodes qu’il souhaite adopter pour y faire face.

Résumé pour les décideurs

Le gouvernement se doit d’agir devant une situation devenue critique. Sa réaction, qui ne peut être idéale du fait de la réalité industrielle, ne doit pas conduire à des réorientations stratégiques de long terme, et devrait profiter de toutes les opportunités pour enclencher un ambitieux plan de sortie des énergies fossiles.

Sans surprise, sa stratégie s’articule autour de deux axes :

  • Le premier concernant le « niveau de vie des français » : Augmenter les revenus et réduire l’augmentation des dépenses contraintes (PLPA articles 1, 2, 3, 5, 6 ; PLFR articles 1, 2, 12,15).
  • Le second portant sur la « souveraineté énergétique » : Augmenter les capacités de stockage (PLPA article 10), d’importation de gaz naturel liquéfié (PLPA articles 13 et 14) et de production d’électricité à partir des centrales à charbon (PLPA articles 15 et 16) ; avoir le pouvoir de restreindre ou arrêter le fonctionnement de centrales électriques fonctionnant à partir de gaz au profit d’usages plus prioritaires, et définir les modalités pratiques de  réquisitions des moyens de production par les pouvoirs publics (PLPA articles 11 et 12).

Augmentation de nos capacités de stockage, d’importation et de traitement d’énergies fossiles

Commençons par cette dernière orientation qui pose plusieurs problèmes :

  1. Accentuation de notre dépendance envers les gaz fossiles
    Sans complément, elle accentue notre dépendance envers les gaz fossiles en engageant des investissements qui constitueront rapidement des actifs échoués.
  1. Augmentation de nos émissions de CO2
    Le gaz naturel3 émet entre 10 et 40 fois plus de CO2 que les énergies solaire, nucléaire et photovoltaïque. Le GNL, gaz naturel liquéfié, dégage aussi bien plus d’émissions de CO2 que le gaz naturel en tenant compte des phases d’extraction, de compression et de transport. L’empreinte carbone du GNL américain équivaut environ à 80% de celle d’une centrale à charbon pour une même quantité d’énergie restituée4. Elle est de 50% supérieure à celle du gaz provenant de Norvège5, notre principal fournisseur historique actuellement en déclin. 
     
  2. Risque d’allègement généralisé des contraintes environnementales imposées aux projets énergétiques
    L’article 14 du PLPA allège très fortement les obligations environnementales afin d’accélérer l’installation d’un terminal méthanier flottant sur le port du Havre pour dégazéifier le GNL importé. Si cette disposition est audible dans la situation d’urgence actuelle, il y a un risque d’extension.
  1. Risque de blocage des projets
    Le temps gagné à court terme peut être générateur de blocages à long terme. Imposer des décisions sans concertation peut être le ferment d’une opposition virulente de la population à tout nouveau projet, en raison d’une perte complète de confiance dans la puissance publique.
  1. Faux sentiment de sécurité
    Cette surcapacité ressemble à une digue faussement protectrice contre une inexorable montée des eaux. Elle ne nous incite pas à redoubler d’efforts pour réduire nos consommations énergétiques alors que d’autres pays commencent à l’imposer. En Allemagne6, certaines villes rationnent l’eau chaude et prévoient d’ores et déjà de réduire à 17°C le chauffage central au gaz durant la nuit. 

Croissance ?

Certes, nous n’avons pas les mêmes dépendances vis-à-vis du gaz russe que d’autres pays européens. Sommes-nous pour autant exemptés d’une politique (volontariste) de sobriété énergétique ? Les mesures contenues dans les deux projets de loi semblent répondre à une crise transitoire et non à une crise qui va en s’aggravant. Elles nous permettraient d’enjamber la crise au prix de très légères restrictions de consommation et même, selon le gouvernement7, de générer une croissance additionnelle capable de les financer.

Or ce scénario optimiste est loin d’être certain.

Une étude de l’INSEE de juin 2022 énonce un scénario « dégradé »8, avec une croissance de 1,5% en 2022 et une récession de – 1,3% en 2023. Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP)9 juge que les prévisions de croissance, de consommation des ménages, d’inflation et même de recettes fiscales de Bercy sont réalisables… à condition que toutes les bonnes étoiles s’alignent. Mais les pénuries de matières premières et les hausses de coût peuvent couper le souffle aux entreprises et aux particuliers, et mettre un grain de sable fatal dans cette mécanique bien huilée. 

Et la planification écologique, comment est-elle intégrée dans ce projet de loi ?

La volonté de planification écologique ne transpire pas de ces deux projets de loi. Seuls un « verdissement du parc automobile », un rehaussement de MaPrimeRénov’ et des engagements en faveur du ferroviaire en émergent (PLFR p10).

Comment ces projets de loi pourraient-ils être amendés et inspirer les prochains projets, dont la loi de programmation énergie-climat ?

Ils pourraient mettre en évidence qu’il est tout à fait possible de préserver le pouvoir d’achat avec des mesures écologiques. Des mesures même symboliques ou techniques à ce stade montreraient la voie, y compris sous la forme de dispositifs provisoires qui seraient pérennisés ensuite.

Pour la mobilité — 28% de la consommation d’énergie finale en France
Faciliter la création de pistes cyclables et boxes sécurisés dans les gares et près des commerces  
Développer des parcs de vélos, de véhicules partageables
Accroître l’usage de transports en commun (bus, transports à la demande, trains …)
Encourager la mutualisation des réseaux de covoiturage en zones peu denses
Rapprocher les services publics, scolaires et médicaux des habitants.

Pour le logement — plus de 40 % de la consommation d’énergie finale en France :
Réduire les goulots d’étranglement à la rénovation thermique et aider à la massifier au-delà ménages à des bas salaires
Développer la formation dans la rénovation thermique, qui manque cruellement de compétences,
Élargir et développer l’autoconsommation locale d’énergie (trop limitée dans la réglementation actuelle).

1 PLPA - www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0019_projet-loi

2 PLFR 2022 - www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0017_projet-loi

3 Bilan ADEME - bilans-ges.ademe.fr/documentation/UPLOAD_DOC_FR/index.htm?renouvelable.htm

4 Connaissance des énergies - www.connaissancedesenergies.org/tribune-actualite-energies/gnl-americain-une-tres-mauvaise-idee-pour-le-climat

5 Carbone 4 – www.carbone4.com/publication-importation-gaz

6 Issues.fr – issues.fr/allemagne-rationne-deja-lenergie/

7 Les Echos - www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/lexecutif-promet-une-legere-hausse-du-pouvoir-dachat-en-2022-grace-a-ses-mesures-1775341

8 Au lieu de 2,3% et de 1,2% dans le scénario central – Prévisions économiques Projections macroéconomiques – Juin 2022 – Banque de France

9 HCFPwww.hcfp.fr/liste-avis/avis-ndeg2022-2-projet-de-loi-de-finances-rectificative-ndeg1

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Grandes plateformes de livraison : bientôt des véhicules à très faibles émissions

Portée par Le Gouvernement

Un décret d’application de l’article 114 de la loi Climat et Résilience prévoit l’obligation pour les plateformes de livraison de plus de 50 travailleurs de respecter une part minimale, croissante dans le temps, de véhicules à très faibles émissions, à deux ou trois roues, vélos et vélos à assistance électrique.

A partir de juillet 2023 et jusqu’à fin 2024 la part de vélos, vélos à assistance électrique, et véhicules motorisés à très faibles émissions à deux ou trois roues devra atteindre 20 % de la flotte. Cette transition se poursuit sur les années suivantes1 :
  • 50 % à partir de fin 2025,
  • 80 % à partir de fin 2027 et
  • 100 % à partir de fin 2030.

Pour rappel, le secteur des livraisons de marchandise en ville, aussi dit logistique urbaine, représente au niveau national 20% du trafic et des émissions de gaz à effet de serre (GES)2. A Paris, cela représente 20% du trafic, 25% des émissions de CO2, 35% des émissions d’oxyde d’azote et 45% des émissions de particules fines.3

Ce texte doit être salué dans la mesure où il prévoit une décroissance graduelle dans le temps de l’utilisation des 2 roues motorisés par une énergie fossile et une montée en puissance de l’utilisation de vélos électriques. Il s’inscrit parfaitement dans la proposition du Plan de transformation de l’économie française (PTEF) du Shift Project de « faciliter l’usage des vélos à assistance électrique et des véhicules de petite taille ».

Il est nécessaire cependant d’être vigilant sur la disponibilité et l’accessibilité financière de ces véhicules :

  • Disponibilité car ces biens dépendent de pièces produites hors de France. Le PTEF, dans sa partie emploi, évoque ces questions inhérentes à l’industrie du vélo, disposant aujourd’hui d’un fort relai de croissance. L’essor des mobilités actives pourraient permettre un gain de 230 000 emplois : 180 000 emplois pour les services aval de vente, d’entretien et de réparation et environ 50 000 emplois pour les activités de fabrication.
  • Accessibilité financière, car ces moyens de transport doivent être compétitifs en coût d’achat par rapport à leurs concurrents fonctionnant à l’énergie fossile. Plusieurs collectivités territoriales proposent des aides financières pour l’achat de vélos électriques par exemple.

Et la suite ? A partir du 1er juillet 2023, les entreprises concernées devront publier, chaque année en libre accès sur data.gouv.fr le pourcentage de verdissement et communiquer, par voie électronique au ministère chargé des Transports, les données relatives à leur parcs de véhicules. Si le pourcentage de nouveaux véhicules à très faibles émissions n’est pas respectée, la question des dispositifs incitatifs (ou punitifs) se posera.

1 www.ecologie.gouv.fr/loi-climat-et-resilience-nouveau-decret-verdissement-des-vehicules-utilises-dans-mise-en-relation

2 www.vie-publique.fr/en-bref/285331-vente-en-ligne-vers-une-fin-de-la-mention-livraison-gratuite

3 www.banquedesterritoires.fr/transport-de-marchandises-en-ville-il-faut-accelerer-le-verdissement-de-la-logistique

Liens utiles :

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