La gazette du carbonePour un arsenal juridique décarbonant |
|
Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.
2022 | Semaine 23La Gazette du Carbone de la semaine propose de procéder à une analyse bénéfices-risques sur l’installation d’antennes-relais dans des zones littorales protégées. Même réflexe au sujet de notre dépendance au gaz russe. Continuer l’approvisionnement de la France (et de l’Europe) avec une énergie fossile ou profiter de la crise pour enclencher une véritable décroissance de la consommation de gaz ? |
Sommaire |
|
Notre sélection de la semaineRéflexions décarbonées |
Notre sélection de la semaine |
Comment faciliter le développement numérique dans les territoires littoraux ?Proposition portée par Xavier BATUT (Seine-Maritime - LREM) et 13 députés Portée notamment par les députés de Seine-Maritime de La République en Marche, et en premier lieu par le député Xavier Batut, la proposition de loi visant à faciliter le développement numérique dans les territoires littoraux entend apporter une dérogation à la loi littoral de 1986 modifiée. Elle dérogerait à l’article L121-8 du Code de l’urbanisme concernant l’urbanisation des zones littorales protégées, afin de permettre aux opérateurs télécoms d’y installer des antennes-relais et ainsi d’étendre la couverture du réseau de téléphonie mobile dans ces zones. Si l’objectif premier affiché est de lutter contre les zones blanches numériques, et de permettre aux populations locales comme aux touristes de rester connectés au réseau mobile dans les zones littorales, il n’en demeure pas moins qu’il suppose également une extension des réseaux numériques et de leurs installations dans des zones aujourd’hui préservées. Lutter contre les zones blanches en termes de connectivité mobile, c’est aussi étendre l’usage du numérique, dont on sait aujourd’hui mesurer l’impact environnemental grandissant en France. L’ADEME, dans une étude1 menée conjointement avec l’ARCEP, a montré que la croissance des équipements et services numériques, souvent perçus comme dématérialisés, était associée à une augmentation significative des pressions sur l’environnement et les ressources naturelles. Les impacts du numérique sur le changement climatique sont légèrement supérieurs à ceux du secteur des déchets en France, et correspondent aux émissions de CO2 directes de plus de 12 millions de véhicules particuliers. Et ces impacts sont en augmentation constante, avec une croissance constatée de 8% par an. L’étude de l’ADEME invite en priorité les décideurs à se doter de méthodes d’évaluation partagées, à fixer des objectifs de réduction de ces impacts et à accroître la sensibilité des utilisateurs à ces enjeux. Comme le rappelle The Shift Project dans son rapport « Déployer la sobriété numérique » publié en octobre 2020, le numérique est à la fois un outil et un défi pour la transition carbone : les opportunités qu’il propose sont réelles, mais soumises aux mêmes contraintes que le reste de nos systèmes. Il est donc de notre ressort et de notre responsabilité de choisir les directions à donner à nos usages et infrastructures numériques pour en garantir la résilience et la pérennité. Rappelons que l’engagement des pays signataires de l’Accord de Paris à contenir l’augmentation des températures en-deçà de 2°C en 2100 par rapport à l’ère préindustrielle suppose une baisse annuelle de nos émissions de gaz à effet de serre (GES) de 5% par an d’ici à 2030. Cette baisse très rapide implique des efforts importants au sein des territoires où, comme le préconise le Plan de transformation de l’économie française, ou PTEF2, il faut « oser remettre en question ses manières d’agir dans un contexte radicalement nouveau et incertain. Il faut avoir le courage de lancer une démarche collective de prospective territoriale. » Le déploiement d’antennes-relais au sein de zones naturelles protégées doit être pensé dans une analyse bénéfices-risques intégrant non seulement l’empreinte carbone des territoires, mais aussi l’impact sur la biodiversité. 3 www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043956924 Liens utiles : |
Réflexions décarbonées |
Gaz : la France se prépare à un arrêt éventuel de l’approvisionnement russeArticle publié par le quotidien La Tribune [Un décret du 7 avril 2022 rend désormais possible les coupures de gaz ciblées en France, appelées aussi « délestages », pour faire face à une éventuelle interruption d’approvisionnement russe l’hiver prochain. Les plus importants consommateurs sont visés, soit ceux qui utilisent plus de 5 gigawattheures par an. Le texte prévoit aussi, qu’en dernier recours, cette mesure puisse être prise pour l’électricité. Si aucun embargo n’est pour le moment prévu sur le gaz, l’Union européenne a néanmoins banni le charbon russe, sa première sanction concernant le secteur énergétique depuis le début de la guerre en Ukraine.] Le décret1 a été pris en application de l’article L. 434-1 du Code de l’énergie2 permettant au gestionnaire de réseau de transport de gaz d’émettre des ordres de délestages auprès des consommateurs. Cela fait partie d’un arsenal d’outils à disposition des autorités en cas de pénurie de gaz en France3. On distingue deux types de dispositions législatives ou réglementaires relatives à la sécurité d’approvisionnement en gaz : celles visant à éviter les pénuries de gaz et celles visant à en gérer une. Quel arsenal législatif pour réduire le risque de pénurie de gaz ? Toutes les infrastructures gazières contribuent à assurer la sécurité d’approvisionnement en gaz. La production française de gaz étant marginale, les terminaux de regazéification et les interconnexions sont indispensables pour importer le gaz consommé tandis que les stockages souterrains sont essentiels pour couvrir la saisonnalité de la demande. Ainsi, la sécurité d’approvisionnement nécessitera de s’assurer que les fournisseurs sont capables d’importer du gaz et que le gaz stocké sur le territoire national permettra de couvrir un hiver très froid ou l’interruption d’une source d’approvisionnement. C’est tout le sens de l’article R. 121-4 du Code de l’énergie4 qui exige que le fournisseur soit en mesure d’assurer la continuité de fourniture même en cas d’hiver froid, de températures extrêmement basses ou d’interruption pendant six mois de la principale source d‘approvisionnement. En outre, l’article R. 121-1 du Code de l’énergie5 exige que les fournisseurs aient un accès à plusieurs sources d’approvisionnement, géographiquement diversifiées, et qu’ils aient deux ou trois points d’entrée sur le réseau français. Enfin, il convient de noter que la réforme de l’accès aux stockages souterrains de 2018 a fortement contribué à améliorer leur remplissage. Avant 2018, les fournisseurs avaient l’obligation de souscrire à des stockages français dont les prix étaient fixés par des opérateurs de stockage. Ces prix étant supérieurs à la valeur de marché du stockage, il en résultait une souscription a minima de la part des fournisseurs, conduisant à un niveau de remplissage des stockages jugé insuffisant par les autorités administratives. Ainsi, il a été décidé de réformer le système en offrant les capacités de stockage aux enchères et en garantissant aux opérateurs de stockage un revenu couvrant leurs coûts. En parallèle, afin de se prémunir contre un faible niveau de remplissage des stockages, (i) un arrêté du ministre exige de remplir les capacités souscrites à 85% et (ii) et qu’un un « filet de sécurité » soit déclenché, imposant aux opérateurs de stockage et/ou aux fournisseurs de souscrire des capacités supplémentaires en cas de souscriptions insuffisantes pour garantir la sécurité d’approvisionnement. Depuis l’entrée en vigueur de la réforme stockage, le filet de sécurité n’a jamais été déclenché. La proposition de la Commission européenne6 d’amender l’actuel Règlement 2017/1938 relatif à la sécurité d’approvisionnement gaz ne devrait pas bouleverser le système à court terme. En effet, en l’état actuel des discussions, il est prévu une exigence de remplissage de 80% le 1er novembre prochain et 90% pour les hivers suivants. Étant donné que plus de 95% des capacités opérationnelles en France ont été souscrites pour l’hiver prochain, l’exigence de remplissage devrait être respectée. Comment gérer une éventuelle pénurie ? Même si la réglementation française est exigeante en matière de sécurité d’approvisionnement, elle n’a pas vocation à couvrir tous les scénarios, en particulier ceux jugés peu probables mais induisant des coûts annuels déraisonnables pour s’en prémunir. De plus, il pourrait s’avérer difficile de se conformer à la réglementation en cas de forte pénurie sur le marché. Il est donc nécessaire de prévoir des mécanismes pour gérer la pénurie. En cas de pénurie de gaz, le plan d’urgence gaz7 est déclenché. Il prévoit la mise en œuvre de mesures graduées allant de l’incitation à la modération de la demande jusqu’au délestage obligatoire, en dernier recours. Si le délestage obligatoire ne suffit pas à rétablir le fonctionnement du marché, un appel à la solidarité européenne devrait être lancé. Concernant le délestage, le décret récemment publié prévoit que le consommateur qui reçoit un ordre de délestage a deux heures pour s’y conformer, c’est-à-dire que deux heures après avoir reçu l’ordre, il doit avoir soit interrompu sa consommation, soit réduit sa consommation au niveau exigé par le gestionnaire de réseau de transport d’électricité (RTE). La durée maximale de délestage n’est pas définie. Les premiers consommateurs concernés par les délestages sont les centrales électriques fonctionnant au gaz dans la limite de ce qui est acceptable par RTE, viennent ensuite les gros consommateurs n’assurant pas de missions d’intérêt général. En dernier lieu, des ordres de délestages peuvent être émis auprès de tous les consommateurs8. Sécurité d’approvisionnement à long terme : Attention aux mauvaises idées Un embargo sur le gaz russe conduirait à mettre en péril durablement la sécurité d’approvisionnement en gaz. Ainsi, toutes sortes de projets visant à diversifier la sécurité d’approvisionnement surgissent ou ressurgissent : terminal méthanier flottant au large du Havre9, projet MidCat qui consiste à renforcer l’interconnexion entre la France et l’Espagne10, projet d’importation depuis Israël11… De même, la Commission européenne a annoncé un partenariat avec les États-Unis pour importer 15 BCM (milliards de mètres cubes) de GNL supplémentaires12. Malheureusement, ces projets pourraient conduire à pérenniser la consommation de gaz fossile et rendre inatteignable la neutralité carbone. À moyen-long terme, il est primordial d’accélérer le déploiement des énergies alternatives au gaz, telles que par exemple les pompes à chaleur pour le chauffage. Cette accélération est d’autant plus importante que la France s’est fixé comme objectif de réduire sa consommation de gaz fossile de 22% en 202813, objectif qui, au vu de la trajectoire actuelle14, parait difficile à atteindre. Le contexte de crise pourrait être une occasion pour enclencher une véritable décroissance de la consommation de gaz. Que préconisent les Shifters concernant la direction prise sur le gaz ? Selon le Plan de transformation de l’économie française (PTEF), notre consommation d’énergie finale en 2050 va devoir se passer de gaz fossile. De nouveaux investissements visant à sécuriser l’approvisionnement en gaz ne doivent pas nous éloigner de l’orientation de moyen terme nécessaire à la préservation du climat. La situation géopolitique actuelle devrait donc aussi nous inciter à faire évoluer plus vite nos équipements énergétiques. Le PTEF préconise le remplacement d’équipements au gaz par des équipements électriques (notamment des pompes à chaleur), en procédant de la même manière que pour la mise en service du réseau gazier (autrefois), c’est-à-dire, quartier par quartier, commune par commune. De plus, le recours à la biomasse devra être accru pour les besoins en combustible solide et en liquide. Mais aussi, plusieurs milliers de méthaniseurs devraient être mis en service pour traiter les résidus agricoles et injecter le méthane dans le nouveau réseau gazier. 1 www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045530674 2 www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000037835265 3 Ce décret n’a pas été pris, spécifiquement, pour faire face à une éventuelle interruption d’approvisionnement russe l’hiver prochain, les avis du Conseil Supérieur de l’Energie et de la Commission de Régulation de l’Energie de 2020 en témoignent. 4 www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000031747457/ 5 www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000031747451/ 7 www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Plan%20d%E2%80%99urgence%20r%C3%A8glement%20DGEC.pdf 8 La remise en route du gaz nécessite la présence d’un agent afin d’éviter des incidents majeurs. Ainsi, il parait très difficile d’interrompre massivement les petits consommateurs étant donné que la remise en route s’avèrera très compliquée. 12 www.latribune.fr/economie/international/les-etats-unis-vont-augmenter-leurs-livraisons-de-gnl-a-l-ue-pour-accelerer-la-sortie-de-la-dependance-energetique-de-l-europe-a-la-russie-907098.html. Il convient de noter que l’engagement de livraisons supplémentaires n’est en réalité qu’un effet de communication. En effet, les contrats d’achat et de vente de GNL sont conclus entre des parties privés. Les 15 BCM supplémentaires font probablement partie de l’augmentation attendue suite à la mise en service de nouveaux terminaux de liquéfaction aux États-Unis. 14 www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-energie-2021/livre p61 Liens utiles : |
La gazette du carbone résulte du travail des bénévoles de l'association The Shifters, essentiellement réalisé sur la base de l’expertise du Shift Project.
Son objectif est d'informer sur les opportunités que présente l'arsenal juridique français pour décarboner notre société. Pour réagir au contenu, demander des précisions, proposer des évolutions, contribuer à notre action vers les décideurs, une seule adresse : gazette@theshifters.org !
Vous pouvez également découvrir The Shift Project et devenir membre de l'association. |