La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2021 | Semaine 45

Alors que la France s’habitue au télétravail, nous lançons une réflexion sur la durabilité de ces transformations : comment faire pour que le développement du télétravail contribue effectivement à la baisse des émissions de GES des entreprises et des travailleurs ? Enfin, si la question de l’aviation dans les transports de demain se pose de plus en plus souvent, les méthodes de calcul de ses émissions devront rapidement faire l’objet d’un consensus. Explications dans la Gazette de cette semaine. Bonne lecture !

Sommaire

Questions émissions

Questions émissions

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Comment déployer un télétravail durable ?

Question posée par Jean-François Portarrieu (Député LREM – Haute-Garonne)

Question de Monsieur Portarrieu à Madame la Ministre du travail sur sa position sur le télétravail et ses effets sociaux, la limite vie professionnelle-vie privée et l’évolution du bureau notamment.

Un développement récent et massif

Qu’il soit volontaire ou imposé, subi ou choisi, le télétravail a fait couler beaucoup d’encre ces derniers mois. De nombreux questionnements sur ses impacts économiques et sociaux ont émergé à la suite de sa généralisation pendant la crise sanitaire. Alors que la France comptait environ 7% de télétravailleurs réguliers et occasionnels en 20171, ils étaient plus de 25 % au printemps 2020. A terme, le télétravail ne concernera pas tous les actifs mais pourrait, selon un récent rapport du Sénat2, être pratiqué par 30 à 50% d’entre eux si une approche par tâches plutôt que par métiers élargit le champ des fonctions éligibles.

Ce mode de fonctionnement, dans lequel les outils numériques tiennent une place centrale, révolutionne la vie au bureau. Si les difficultés liées à cette pratique sont régulièrement évoquées (isolement du télétravailleur, etc), ce sont surtout ses avantages pour les salariés (meilleure conciliation vie professionnelle et vie privée) et les entreprises (baisse des coûts de gestion) qui l’emportent.
Au-delà des aspects socio-économiques, le télétravail offrirait aussi un potentiel de diminution des émissions de GES, principalement lié à la réduction des déplacements. Le télétravail est-il un puissant levier de décarbonation ?

Des bénéfices pour l’environnement à nuancer

Une étude de l’ADEME3 montre que la réduction des trajets pendulaires domicile-travail constitue le premier bénéfice attendu, avec en moyenne une réduction de 271 kg eq. CO2 par an et par jour de télétravail hebdomadaire.
Ce premier résultat peut être amplifié ou, au contraire, amoindri par des effets rebonds qui incitent à la prudence, car le télétravail interfère profondément avec les modes de vie et les organisations de travail.

La mise en place du « flex office » pourrait ainsi majorer de 52% les bénéfices du télétravail dès lors qu’il permet de réduire la surface immobilière et la consommation de ressources grâce à une résolution spatiale et temporelle élevée en fonction de l’occupation : cela concerne tout autant le contrôle de l’éclairage et du système de chauffage/climatisation que les équipements de bureau.
À l’inverse, la perte des bénéfices pourrait atteindre -31% en raison d’un usage accru des outils numériques (visio-conférences), des consommations énergétiques au domicile, du maintien de certains trajets contraints (accompagner les enfants à l’école) ou encore de l’émergence de nouvelles mobilités (activités de loisirs, voire week-ends de villégiature).
L’augmentation de la surface du domicile, et le sur-équipement des entreprises et des particuliers en matériel numérique pourraient accentuer ces effets délétères.

Penser le territoire, anticiper les effets à plus long terme

La pérennisation du télétravail pourrait également générer des transformations plus profondes, en matière d’aménagement du territoire et d’urbanisme, en modifiant les stratégies résidentielles et en contribuant à la désertification des centres d’affaires. The Shift Project note que le télétravail peut contribuer à l’étalement urbain, ce qui s’avère contre-productif du fait des risques d’artificialisation des sols et de plus forte dépendance à la voiture individuelle. Dans le même temps, l’allongement des distances rendu possible par le travail à distance pourrait contribuer à l’équilibre démographique des territoires et ouvrir des perspectives en matière de relocalisation des activités.

Le bilan coût-bénéfice pour l’environnement est donc très sensible aux mécanismes induits par le télétravail, qui sont nombreux et variés. Pour que cette pratique constitue une opportunité pour le climat, il est nécessaire d’anticiper les effets rebonds : nous devons pour cela penser le télétravail dans un cadre systémique en raisonnant globalement sur le système emploi-habitat-mobilité, avec une approche par zone (urbain, périurbain, rural).
Il pourrait s’agir, par exemple, de proposer à des télétravailleurs de zones de moyenne densité des tiers lieux à distance cyclable de leur domicile, aménagés de manière éco-responsable, en réutilisant des bâtiments existants.
Si les employeurs sont en première ligne pour promouvoir le télétravail et faire pencher la balance environnementale du bon côté, l’État et les collectivités ont aussi un rôle essentiel à jouer pour lever les obstacles réglementaires, orienter les comportements et surtout organiser les infrastructures de proximité nécessaires à une mobilité bas carbone du quotidien (tiers lieux, transports collectifs, système vélo, etc.).

1 INSEE: Pratique du télétravail régulier

2 Sénat : 8 questions sur l’avenir du télétravail, vers une révolution du travail à distance ?

3 ADEME : Caractérisation des effets rebond induits par le télétravail

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Pour une harmonisation des méthodes de calcul des émissions du transport aérien

Question posée par Matthieu Orphelin (Député Non inscrit – Maine-et-Loire)

M. Matthieu Orphelin interroge Mme la ministre de la transition écologique sur le calcul de l’empreinte carbone des trajets effectués en avion. Il a été alerté par Didier Barret, directeur de recherche au CNRS, sur l’absence de standard harmonisé permettant le calcul des émissions de gaz à effet de serre associées aux déplacements aériens. Les divers calculateurs existants fournissent des résultats pouvant varier d’un facteur 5 pour la même distance parcourue, ce qui porte préjudice à l’identification précise de l’impact climatique de l’aviation. Le ministère de la transition écologique, l’ADEME, les acteurs du secteur aérien, les entreprises de la compensation carbone, l’agence britannique d’État DEFRA (Department for Environment Food et Rural Affairs) fournissent des calculs qui varient fortement, comme l’illustre Didier Barret ainsi que cet article. Il paraît en particulier étonnant que le ministère de la transition écologique n’utilise pas les facteurs d’émission fournis par l’ADEME et obtienne ainsi des résultats bien plus bas que cette dernière. La principale cause de ces différences semble résider dans le choix du facteur multiplicateur lié à la création de traînées et au dégagement de gaz autres que le dioxyde de carbone, contribuant eux aussi au forçage radiatif. Cependant, après de longs travaux sur le sujet, la communauté scientifique arrive aujourd’hui à une conclusion proche d’un facteur multiplicateur de 2. Il paraît étonnant que le ministère de la transition écologique ne retienne pas ce facteur 2, alors que sa prise en compte est désormais recommandée par le GIEC. L’agence britannique DEFRA constitue aujourd’hui l’une des sources les plus fiables sur le sujet. Les chiffres de l’ADEME se rapprochent fortement de ses résultats, ce qui est un bon signe. Le ministère de la transition écologique en est en revanche très loin. Il l’interroge donc sur la raison pour laquelle son ministère n’utilise pas la méthode de calcul des émissions de l’aviation employée par l’ADEME et sur les moyens qu’elle entend prendre pour procéder à une nécessaire harmonisation.

Calculer l’empreinte carbone de l’aviation sans facteur d’émission revient à ne considérer que 30% de son impact climatique

La méthode de calcul utilisée par le ministère de la transition écologique pour matérialiser l’empreinte carbone de l’aviation tient compte des émissions de dioxyde de carbone (CO2), or comme l’indique Didier Barret et le Shift Project dans son rapport « Pouvoir voler en 2050 », ces émissions de CO2 ne constituent pas l’unique contribution de l’aviation au changement climatique : on peut prendre en exemple les émissions d’oxydes d’azotes, gaz de combustion précurseurs d’ozone qui est présent dans les gaz d’échappement des moteurs. L’ozone a des propriétés radiatives qui lui confèrent un rôle de GES s’il est présent dans la troposphère.

Le Shift Project rappelle également que le transport aérien contribue au dérèglement climatique par le rejet d’autres GES que le dioxyde de carbone. « En 2011, l’aviation contribuait ainsi – en comptabilisant les effets hors CO2 – à hauteur de 3,5% au forçage radiatif1 effectif net ; en 2018, la part des effets hors CO2 au forçage radiatif est deux fois supérieure à celle du CO2 seul ».

Si l’on souhaite évaluer l’impact climatique de l’aviation dans sa globalité, il est absolument nécessaire de pondérer les seules émissions de CO2 avec un coefficient de 2 tel que recommandé par, entre autres, le GIEC.

Une nécessaire harmonisation pour prévenir la confusion

Voici ci-dessous un aperçu de la diversité des paramètres pris en compte dans les outils de calcul disponibles :

  • La consommation du kérosène : sans conteste, ce paramètre est calculé par tous les outils disponibles. Il est calculé à partir d’une moyenne des consommations relevées sur l’ensemble des types d’avions utilisés sur un trajet spécifié à date (réactualisation plus ou moins régulière selon l’outil)
  • Les facteurs d’émission dont la prise en compte varie selon les outils de calcul :
    • La production et distribution du kérosène
    • La classe utilisée par le passager
    • Les effets hors CO2 (oxydes d’azote, traînées de condensation) :
      Certains calculateurs les font apparaître distinctement sans afficher l’indice de fiabilité des chiffres associés quand d’autres ne les intègrent pas du tout : les calculateurs de l’OACI et DGAC

Les problèmes principaux liés à la diversité des calculateurs disponibles en ligne et soulevés par The Shift Project dans son rapport « Pouvoir voler en 2050 » sont liés à la réalisation d’estimations différentes pour un même vol sans faire apparaître les incertitudes associées. En outre, le détail des estimations donné à la fin du calcul sont souvent peu compréhensibles par un non initié. Le risque associé est la mauvaise interprétation des résultats obtenus.

L’application de règles distinctes d’un calculateur à l’autre revient donc à « comparer des choux et des carottes ». On peut s’inquiéter du biais de confirmation que cette multiplicité peut générer, et encourager une standardisation des méthodes de calculs.

1 Le forçage radiatif est la mesure du déséquilibre entre l’énergie qui arrive chaque seconde sur Terre et celle qui repartirait si la température était restée fixe depuis 1750.

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