La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2021 | Semaine 39

On a bien rigolé, mais ce n’est pas une blague :
Le greenwashing s’est glissé dans la loi climat à la faveur d’une modification et le bois français exporté émet autant de CO2 qu’il n’en séquestre. Bonne lecture !

Sommaire

Notre sélection de la semaine

Questions émissions

Notre sélection de la semaine

Loi Climat et neutralité carbone : « Permis de Greenwasher »

À l’été 2021, la loi « Climat et Résilience » a été adoptée par le Parlement. Si elle présente des avancées dans la lutte contre le réchauffement climatique, force est de constater qu’elle n’est malheureusement pas en accord, ni avec le règlement européen pour le Climat, plus ambitieux, voté au printemps, ni avec l’accord de Paris, comme l’indiquait dès février le Haut Conseil pour le Climat.

Parmi les dispositions, l’article 12 a particulièrement attiré notre attention. L’intention initiale du législateur était d’interdire l’utilisation du terme « neutre en carbone » dans la publicité. Il fait suite à une recommandation de l’ADEME1 qui précise que la neutralité carbone n’a, en effet, pas de sens à l’échelle d’un produit ou d’une entreprise, mais uniquement à l’échelle nationale voire internationale. L’article initial interdisait simplement cette mention.

La Commission mixte paritaire (la dernière étape de la procédure législative) a reformulé le texte en incluant une exclusion. Il est désormais interdit d’utiliser le terme « neutre en carbone » à moins que l’annonceur fournisse :

  1. Le bilan carbone du produit
  2. L’approche pour éviter et réduire ses émissions
  3. Les modalités de compensation

À rebours de l’avis de l’ADEME et des scientifiques, la formulation actuelle de la loi autorise donc le greenwashing dès lors qu’une stratégie de réduction et de compensation — c’est-à-dire, planter des arbres, est mise en place. Ironiquement, avec la même approche « mesurer, réduire, compenser », Total annonçait fin 2020 le premier « Gaz Naturel neutre en carbone ».

La publicité est un des moteurs de la surconsommation. Le changement des comportements individuel permettrait d’éviter jusqu’à 20 % des émissions de gaz à effet de serre2. Encadrer et réguler la publicité est indispensable pour ne pas induire les consommateurs en erreur mais au contraire les orienter vers des pratiques sobres et moins carbonées.

1 AVIS de l’ADEME – La neutralité carbone

2 Faire sa part ? Pouvoir et responsabilité des individus, des entreprises et de l’Etat face à l’urgence climatique.

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Questions émissions

en partenariat avec Logo Dixit

Exportation massive du bois français : un non-sens écologique, un problème économique

Question posée par 34 députés et 33 sénateurs (!)

De nombreux députés et sénateurs interpellent le gouvernement sur la pénurie et la flambée des prix dans la filière bois depuis le printemps 2021 engendrés par les exportations massives de grumes (tronc coupés non transformés) des forêts françaises vers l’Asie et les États-Unis.

Les élus de la nation se soucient du fait qu’actuellement, un chêne sur trois récoltés part en Chine alors que les scieries de chêne françaises ont des carnets de commandes très élevés. Avec une récolte de 1,9 million de m3, une exportation de 0,6 million de m3, il ne reste que 1,3 million de m3 pour l’industrie française alors que les besoins sont estimés à 1,7 million de m3. 90 % des scieries de chêne manquent d’approvisionnement dans toutes les qualités. Les scieries nationales vont donc devoir chômer un jour sur quatre ou brider leur production à 75 % de leur capacité. De plus, cette pénurie entraîne d’importants retards de livraison et des hausses de prix fragilisant la filière qui emploie plus de 400 000 personnes. Pourtant, les besoins en bois de la filière construction sont fortement accrus en raison de la nouvelle réglementation RE2020.

Une pétition de l’industrie de la transformation du bois a été lancée cet été en France, puis élargie au niveau européen. En réaction, le Premier Ministre Jean Castex a annoncé 300 millions d’euros de soutien à la filière bois, et des assises « à la rentrée ». En réalité, c’est une affaire éminemment politique opposant les exploitants de la filière aux scieries et entreprises de la transformation, mais posant également des questions de souveraineté nationale (et européenne) d’approvisionnement en matière premières.

Pourquoi on en est là ?

  • La Chine vient d’interdire la récolte de chêne sur son territoire pour 99 ans et plafonne la récolte des résineux
  • La Russie, l’un des plus gros exportateurs de bois vers la Chine, a récemment mis en place un embargo sur l’exportation de grumes à compter du 1er janvier 2022
  • Les États-Unis connaissent une reprise économique caractérisée par un dynamisme sans précédent du secteur de la construction, les conduisant à intensifier leurs importations de bois. En conflit commercial avec le Canada depuis l’instauration par l’ancien président Donald Trump d’une taxe sur l’importation de bois d’œuvre canadien, ils s’orientent aujourd’hui désormais davantage vers l’Union européenne pour leurs approvisionnements.

Quels sont les impacts climat et carbone ?

Et c’est là notre combat : outre les problèmes économiques et sociaux, le transport de ces grumes de la France (et l’Europe) vers la Chine et les États-Unis génèrent des émissions de CO2 qui annulent ou augmentent les émissions gagnées par stockage du carbone dans les produits bois. Paradoxalement, la France est fortement importatrice de bois, générant par là même de fortes émissions par le transport, mais qu’en sera-t-il demain lorsque la ressource ne sera même plus disponible à l’importation?

Ce qu’en pensent les Shifters

Le secteur forêt-bois, particulièrement en ce qui concerne la construction, est crucial dans la lutte contre le changement climatique et pour une économie bas carbone : l’utilisation de produits bois à longue durée de vie dans la construction (charpente, ossature, panneaux, parquet, coffrage, menuiserie, mobilier) représente un puits de carbone —le bois n’est ni décomposé, ni brûlé, ni transformé— et la substitution du bois à des matériaux de construction à forte empreinte carbone (béton, acier) permet d’éviter des émissions de GES.

A l’heure de l’intensification de la mise en œuvre des objectifs de performance et de rénovation énergétique des bâtiments, le bois est une ressource stratégique pour parvenir à un secteur construction-rénovation sobre en carbone. Le Plan de Transformation de l’Économie Française préconise d’augmenter l’usage de produits bois de 140 % d’ici à 2050.
Cela nécessite d’accélérer la structuration de la filière en accompagnant l’ensemble des acteurs, de la sylviculture, de la gestion forestière et de la fabrication de produits en bois, ainsi que de sécuriser l’accès à la ressource bois et de favoriser une stabilité des prix.

Comme l’a fait remarquer Jean-Marc Jancovici, président du Shift Project, dés lors que la « disponibilité d’une ressource devient un sujet », on peut se poser des questions sur les enjeux de sa libre circulation… (Son post Linkedin est disponible ici)

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