La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2021 | Semaine 38

« Qui réchauffe qui? » – Ça pourrait être le titre de la majorité de nos articles dans ce grand jeu législatif où tous essayent de se refiler le bébé du réchauffement climatique sans réchauffer l’eau du bain.

Nous répondons cette semaine à une consultation publique sur les renouvellements de concession d’hydrocarbure. Les prolonger est aux antipode d’un plan climat cohérent.

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Réponse des Shifters à une Consultation Publique

Questions émissions

Réponse des Shifters à une Consultation Publique

Faut-il prolonger les concessions des champs pétrolifères français ?

Consultation ouverte du 01/09/2021 au 01/10/2021

Le Ministère de la Transition Ecologique a ouvert une consultation publique concernant « la prolongation de la concession d’hydrocarbure dite de Bagneaux ». Située dans l’Yonne, le gisement, ouvert en 1996, est exploité par Geopetrol et sa cinquantaine d’employés. La PME française demande la prolongation de la concession jusqu’en 2040.

L’avis des Shifters : prolonger les concessions d’hydrocarbure sans contreparties est aux antipodes d’un plan climat cohérent

La France possède, en 2020, 64 gisements d’hydrocarbure en exploitation qui produisent environ 1% de la consommation nationale. La loi de 2017 « mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures […] » interdit, pour la première fois au monde, l’exploration ou l’exploitation de nouveaux gisements, ceux déjà exploités pouvant être prolongés jusqu’en 2040. Ce compromis devait permettre aux entreprises et aux employés une transition vers des secteurs décarbonés, mais aussi à l’État d’éviter d’indemniser les pétroliers pour leur manque à gagner.

Limiter les émissions de gaz à effet de serre à l’origine du changement climatique implique de cesser quasi totalement de consommer du charbon, du pétrole et du gaz. Cela revient à laisser inexploité un maximum de ressources en charbon, pétrole et gaz. L’exploitation des énergies fossiles est une des causes principales de la crise environnementale. Majoritairement importatrice, la France peut surtout jouer sur sa demande en décarbonant son économie. La réduction de la demande est prévue dans la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) et la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), avec notamment un objectif de réduction de 35% de la consommation d’énergies fossiles et de 16,5% la consommation finale d’énergie par rapport à 2012.
Parallèlement, contraindre l’offre en diminuant la production, même faiblement, favorise la transition et les solutions alternatives.

Dès lors, l’exploitation de pétrole et de gaz sur le territoire français doit prendre fin.

S’il est nécessaire de résilier la concession (et en aucun cas compenser par une importation d’hydrocarbures !), il est tout aussi indispensable d’accompagner Geopetrol et ses salariés le plus en amont possible vers respectivement des activités et des emplois décarbonés.
Comme le décrivent les rapports du Shift Project sur l’approvisionnement en pétrole de l’UE réalisé pour le ministère des Armées et celui sur l’emploi—moteur de la transformation bas carbone— la réduction de la consommation de pétrole est inéluctable. Il faut s’y préparer dès maintenant en transformant nos activités et en préparant les adaptations futures de l’emploi.
La transformation de l’économie implique de nombreuses créations d’emplois qui peuvent compenser les destructions si l’action est coordonnée et planifiée. S’y préparer dès maintenant permettra de nous « organiser et de piloter ces transformations, dès aujourd’hui, pour que l’emploi en soit le moteur, plutôt que la victime d’un énième chantage ».

Pour conclure, insistons sur l’importance d’une sincérité de l’État dans cette démarche. Il s’agit en effet d’un cas concret de transformation de l’économie, et une occasion de montrer la voie :

  • Si l’État souhaite porter un message fort sur la décarbonation et la nécessité de laisser la majorité du pétrole dans le sol, alors il doit mettre fin à la concession.
  • Si l’État souhaite organiser la transformation bas carbone de l’économie, alors il doit mettre en place une redevance sur la concession qui finance la reconversion des emplois, et demander à l’exploitant d’étudier à la fois possibilité de stockage de CO2 dans le puits et les possibilités de reconversion des salariés : à cette condition il peut légitimement prolonger la concession.
  • Si l’État ne fait au aucun des deux, alors son action ne peut pas être considérée comme sérieuse.

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Questions émissions

en partenariat avec Logo Dixit

Digitalisation du commerce de proximité et enjeux climatiques

Question posée par Jean-François Longeot (Union Centriste)

Le sénateur Jean-François Longeot interroge le gouvernement sur le soutien aux commerces de proximité, face à la concurrence des grandes surfaces et du commerce en ligne. L’élu propose la création d’une nouvelle plateforme, sur le modèle de « clique mon commerce.gouv.fr » créée lors de la pandémie, pour accélérer la numérisation du commerce de proximité. Bien que la plateforme se soit révélée insuffisante pour une véritable coordination des acteurs du commerce local et pour une communication à grande échelle, Jean-François Longeot demande le développement de nouvelles solutions pour la digitalisation des commerces de proximité.

L’impact écologique de la proposition doit se mesurer en mettant en balance les coûts liés à la numérisation accrue du commerce avec les gains potentiels d’une revitalisation des commerces de proximité.

Impact environnemental de la digitalisation des commerces

La consommation énergétique liée à l’activité numérique est en augmentation continue (+9% par an environ) et représente une source importante d’émissions de gaz à effet de serre. Le Shift Project a émis des recommandations pour limiter cet impact à l’échelle nationale dans son rapport « Déployer la sobriété numérique » (2020).

Les potentialités liées à la redynamisation des commerces de proximité

La redynamisation des commerces de proximité peut cependant être un outil intéressant de la transition écologique des territoires.

Consommer auprès d’un commerçant de proximité et non d’une grande surface peut aider à limiter l’usage de la voiture au quotidien. Plus largement, la revitalisation des centre-villes et centre-bourgs est un élément indispensable d’un développement équilibré des territoires. Elle limite les impacts liés à la désertification des territoires – logements vacants, distances allongées etc. – et à la surdensité dans les métropoles, en faisant un outil important de la résilience territoriale.

On sait également que l’artificialisation des sols a des conséquences importantes en termes d’atteinte à la biodiversité, d’absorption du carbone, et de résilience face aux inondations. La création de grandes surfaces en périphérie urbaine a été l’un des moteurs historiques de l’étalement urbain, justifiant un encadrement depuis la loi Royer de 1973. Récemment, la création d’entrepôts de e-commerce, qui ne sont pas soumis au même régime d’autorisation administrative, a suscité d’importants débats.

Si la nécessité de préserver les espaces naturels est incontestable, il n’est pas certain que la proposition portée par le sénateur soit la plus à même d’y répondre. L’artificialisation des sols est une tendance lourde qui ne se réduit pas à la concurrence déloyale entre petits et grands commerçants.

D’une part, il faut souligner qu’il n’y a plus de séparation stricte entre commerce traditionnel et e-commerce. Les entrepôts utilisés par les géants du numérique servent aussi à la vente en ligne des commerces traditionnels, et la digitalisation des commerces de proximité les conduira à les utiliser davantage.

D’autre part, l’encadrement des règles de construction demeure l’outil le plus efficace pour limiter durablement la consommation de nouveaux espaces. France Stratégie a émis un ensemble de recommandations en ce sens : mobilisation des friches, réutilisation du bâti existant, densification du foncier artificialisé à travers les règles des Plans Locaux d’Urbanisme1. Les règles spécifiques sur la création de surfaces commerciales peuvent aussi gagner en efficacité, au-delà des acquis de la loi « Climat et Résilience ». Celle-ci n’a finalement encadré que les plus grands projets commerciaux, supérieurs à 10 000 m2.

Enfin, le bilan environnemental de la mesure proposée dépendra fortement du type de services proposés par la nouvelle plateforme. Celle-ci doit être l’occasion de soutenir spécifiquement les modes de consommations, d’acheminement et de logistique urbaine les plus sobres.

1 Objectif « zéro artificialisation nette » : quels leviers pour protéger les sols ?

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Secteur aéronautique, subventions publiques, planète : qui réchauffe qui ?

Question posée par Bérengère Poletti (LR)

La députée Bérengère Poletti interroge le gouvenement sur les effets du réchauffement climatique sur le secteur aéronautique. Le transport aérien représente 2 à 3 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. À l’échelle de la France, selon des statistiques de l’INSEE, l’aviation y participerait à hauteur de 1,4 %. Si son impact environnemental est bien moins important que celui du secteur routier (25 %), le secteur aéronautique doit s’adapter au dérèglement climatique. Aujourd’hui, il semblerait que la santé financière de l’aviation soit menacée si elle ne s’adapte pas aux mutations climatiques. C’est pourquoi elle l’interpelle sur la manière dont l’État entend accompagner le secteur aéronautique dans sa transformation afin de lui permettre de s’adapter pour assurer son avenir dans un monde menacé par les bouleversements climatiques.

Cette question a le mérite de ne pas minimiser le fait que le secteur aéronautique doit s’adapter au déréglementent climatique. Elle reprend l’ensemble des difficultés auxquelles le secteur aérien va être confronté au cours des prochaines années.

Le Shift Project a énoncé ses propositions dans le rapport « Pouvoir voler en 2050, quelle aviation dans un monde contraint? » (2021):

Le rapport préconise d’instaurer un budget carbone pour le transport aérien de 21,6 Gt CO2 au niveau international correspondant à 535 Mt CO2 au niveau français, tout en continuant à décarboner le secteur par la technologie.

Au niveau national, le secteur devra mettre en place des mesures d’efficacité opérationnelles (décarbonation des opérations au sol, incitation aux bonnes pratiques comme la limitation du fuel tankering), et engager des mesures de sobriété à court terme (densification des cabines, suppression de l’offre aérienne s’il existe une alternative ferroviaire en moins de 4h30, limitation des vols d’affaires, responsabilisation des voyageurs).

Enfin, il faudra prendre des mesures d’accompagnement et de planification pour les emplois des secteurs aériens et aéronautiques : encourager à la diversification du tissu industriel en le réorientant notamment vers la production d’équipements nécessaires à la transition énergétique.

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